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Docteur Hachemi LARABI :
«Certains parlent de la Révolution sans rien y connaître»
Publié dans Le Soir d'Algérie le 10 - 02 - 2015

Le Soir d'Algérie : Dans Chronique d'un Algérien heureux, sur plus de 700 pages, vous donnez l'impression d'avoir épuisé tous les sujets concernant votre engagement politique, votre parcours professionnel, votre vie affective...
Hachemi Larabi : Et privée ! Non je n'ai pas tout dit de mes convictions profondes pour aller plus loin que ne l'a fait notre ami Kamel Daoud. J'ai voulu rester dans l'orthodoxie. Je considère le brahmanisme, le boudhisme, le judaïsme, le christianisme et l'islam comme du folklore. Vous savez, que ce soit le boudhisme ou le confucianisme c'est dans le Coran que j'ai trouvé une certaine morale de l'humanité dans les écrits la concernant. Je ne suis pas un bigot, mais quand j'ai un problème c'est vers lui que je me tourne d'autant que je suis de formation religieuse à l'origine. J'ai fait Djamaâ Zitouna. Ben Badis, Embarek El Mili, Bachir Ibrahimi, Larbi Tebessi, Zemouche sont des Zitouniens. Ce sont ces gens-là qui ont œuvré à l'authenticité de l'Algérie. Ben Badis signait ses articles Senhadji. Il est vrai qu'il y a aussi Messali, mais lui était loin, à Paris, et s'appuyait sur les travailleurs émigrés en majorité kabyles.
«Un Algérien heureux», c'est plutôt inhabituel dans l'atmosphère ambiante ?
Oui, c'est la vérité. J'ai 85 ans et je souffre ni de diabète ni de tension ou de problèmes de côlon ou d'une quelconque pathologie courante. Je n'ai pas eu à souffrir d'un accident de santé. Mon bonheur c'est d'abord celui-là.
On note toutefois un paradoxe : votre bilan de 50 ans d'indépendance (en 2000) est négatif à tout point de vue. Pourquoi être aussi sévère à l'endroit des trois générations que vous énumérez, je vous cite : la génération qui a arraché l'indépendance, mais qui a échoué à construire un Etat ; celle de l'islam tronqué, de la violence et de l'affairisme économique et politique et enfin les enfants de ces derniers, génération de la consommation non méritée, sans effort, sans travail ?
Négatif. J'ai parlé d'un Algérien et non des Algériens qui sont tous malheureux. Je considère que je fais exception.
Le mouvement national étant une partie de votre vie, vous vous insurgez contre l'impasse faite, volontairement ou par ignorance, sur certaines figures de la Révolution à l'exemple de Salah Bouhara ou Zoubir Bouadjadj, membre du groupe des 22...
J'ai dit que ceux qui sont morts pour la patrie ont droit à leur cercueil. Il se trouve que je connais de très près la famille Didouche. Cette famille-là devrait avoir droit à des égards, à une vie décente plutôt qu'au sort dans lequel elle se trouve aujourd'hui. Un neveu des Didouche habite dans un garage avec sa femme et sa fille. Cela n'est pas normal. Quant à Bouadjadj, il n'a jamais rien demandé et s'il l'avait fait il aurait eu tout. Un peu comme Yacef Saâdi. Il y a comme ça 200 000 moudjahidine. J'ai reçu récemment un certain Tahar «Chamaneuf» qui a parlé de la Zone autonome d'Alger comme s'il en était le chef alors qu'il n'en est rien. Heureusement qu'il y avait là Mme Zohra Drif qui a recadré les choses. Il ne figure pas dans le paysage de la Révolution. De 1954 à 1960, c'était le désert psychique, on ne se parlait pas, les gens avaient terriblement peur. Sinon c'est ou la prison ou le camp dans lequel s'était retrouvée d'ailleurs à 15 ans la femme que j'ai épousée pendant 4 ans et demi parce qu'elle a été surprise avec des tracts dans son sac. Elle était en deuxième année de collège. Des gens parlent de la Révolution mais n'en connaissent rien. Personnellement, j'ai de la chance d'avoir survécu et d'être aujourd'hui devant vous.
Cheikh Mohamed Saïd Zahiri, abattu sur ordre de Abane Ramdane, vous a beaucoup marqués vous, ainsi que Debbih Chérif. Que convient-il de faire aujourd'hui afin d'apaiser la mémoire des uns et des autres ?
On l'a réhabilité au cours d'une réunion à Tipasa. Larbi Demagh El Atrous a fait une lettre en hommage outre mon témoignage l'ayant connu moi-même. A Oran, j'ai rencontré Tarek. Selon lui, Zahiri a été tué parce qu'il aurait dit «une délégation douteuse pour une mission douteuse» à propos d'une délégation qui comprenait Ferhat Abbas (UDMA), Tewfik El Madani et Cheikh Hocine de l'Association des oulémas.
Zahiri a-t-il fait partie des membres fondateurs de l'Association des oulémas en 1932, comme vous l'affirmez, tandis que feu l'historien Mahfoud Kaddache affirme que la première réunion constitutive s'est tenue sur l'initiative de Omar Ismaïl le 5 mai 1931 qui se dota d'un comité directeur avec Ben Badis, El Ibrahimi, Lamine Lamoudi, Tayeb Okbi, Moubarek El Mili et Ibrahim Bayoud ?
Lors de la première réunion, Zahiri n'était pas présent car lors de la création de l'association, il y a eu des oppositions dont celle d'un courant qui s'appelait «Sunna» avec pour chef cheikh Mouloud Elhadi. Tout le monde connaissait Zahiri et on ne pouvait créer l'association sans lui. On le craignait ; pour preuve, son absence lors de la première réunion. Ça a fait grand bruit. Mais à la deuxième réunion, il y était et est resté de 1932 à 1935. Il était en accord avec Tayeb El Okbi. Il y a une quinzaine de jours est paru un fascicule de 100 pages Correspondances intimes El Okbi et Ben Badis, qui est une somme de lettres publiées par Chakib Bellaïli (ex-directeur d'Air
Algérie !) avec son ami, fils de Hamza Boukoucha, un personnage très important des Oulémas mais qui ne s'est jamais mis en avant. L'objectif était de démentir la rumeur de l'époque qui disait que cheikh El Okbi était un apolitique acquis à la France. Dans ces correspondances, El Okbi accusait Ben Badis de le bloquer. Quant à Ferhat Abbas, dans un livre, Cherkaoui affirme qu'avant de rejoindre le FLN il prit contact avec le gouvernement général et les principaux responsables français. Et c'est là que Zahiri a dit : «Une délégation douteuse pour une mission douteuse.»
Et Debbih Chérif a été victime d'une cabale au maquis et a vu sa vie menacée. Considérez-vous que lui, comme d'autres moudjahidine, n'a pas eu droit à une reconnaissance à la hauteur de ses sacrifices ?
Oui, son expérience m'a beaucoup servi à Tunis où j'ai vu des choses inimaginables. Dans l'avenue Bourguiba, on rencontrait des dizaines de militants. Je n'avais pas confiance et donc je me suis prémuni en prenant beaucoup d'argent avec moi en cas de coup dur. En Tunisie il y avait une base commandée par un certain Kaci dont le secrétaire était maître Bouzida, avocat à Alger qui a rejoint le FLN. Il m'a proposé de rejoindre l'ALN à Ghardimaou. J'ai refusé. Aujourd'hui encore, je persiste à dire comme Goethe : «Je préfère passer ma vie en esclave que de participer à une révolution.» Je suis incapable de tuer une mouche ! Et pourtant, à 16 ans, j'étais militant du MTLD à El-Mouradia. Les artisans de la Révolution dont les 22 ont fait de la prison (Belouizdad, Bouadjadj, Kaci Abdellah Abderrahmane et d'autres) qui sont des gens respectés et respectables .D'autres sont partis au maquis pour s'échapper comme Krim Belkacem, Ouamrane. Ceux de la première Fédération de France, Doum, Mechati, Louanchi, puis ceux qui sont venus après eux et qui ont quitté la France. Boudaoud, Ali Haroun sont partis à Cologne, en Allemagne. Salah Bouhara m'a laissé un écrit de 10 pages.
Il a été arrêté en juin 1956, mis en prison à Saint-Leu (Béthioua) et a réussi à s'échapper. A l'indépendance, comme récompense, il a pris une maison quand certains en ont pris deux ou trois.
Il a été nommé député à la première Assemblée nationale, dissoute en 1965, et a vécu d'une pension de 16 000 DA en 1966, perçue comme une bouée de sauvetage. Il était tout le temps malade. Jusqu'en 1985, il a vécu de son métier de plâtrier... Du groupe Bouhara, Bouchafa, Debbih Chérif n'est resté que Mustapha Fettal avec lequel à lépoque j'ai fait mes cours du soir à la médersa Ettarbia Oua Taalim de Abderrahmane Djilali, de 1946 à septembre 1947.
Il n'a jamais connu Didouche Mourad qui était mon chef avec son adjoint Debbih Chérif. Lui était structuré dans le PPA de Belcourt et moi à la Redoute.
Passée l'euphorie de l'indépendance (le 5 juillet vous étiez à Munich), aujourd'hui vous donnez l'image d'un homme déçu, aigri et allez jusqu'à affirmer : «De Ben Bella à Boumediene, le peuple algérien a perdu l'espoir d'une vie normale»...
J'ai dit le peuple algérien, car moi je l'avais belle.
Vous admettez vous-même que l'Algérie post-indépendante vous a offert beaucoup d'opportunités professionnelles aussi bien à l'intérieur du pays qu'à l'étranger, au Koweït pendant 10 années généreusement payées en devises fortes ! Et vous avez ouvert une clinique, construit une villa... Vous faisiez partie de la nomemklatura ?
Tous les gens dont je parle ont profité du système et occupé de hautes fonctions comme aujourd'hui d'ailleurs. Bien après Boumediene, il y avait le dinar spécial de la nomemklatura, car pour acheter une brique au marché c'était un prix et dans les officines de l'Etat pour dix fois moins et sans limitation. C'était à un prix symbolique ! Pareil pour le ciment ou le fer. Tout système doit obéir à des règles et l'actuel est très mauvais.
Farouchement anti-socialiste, contre la politique industrielle de Belaïd Abdesselam, la Révolution agraire. L'avenir a-t-il confirmé vos appréhensions ?
J'ai dit que l'on ne peut pas faire taire en donnant de l'argent. Gouverner c'est très difficile. Vous serez étonné de ce que je vais vous dire : d'une manière générale, notre situation est meilleure que celle de la France, de la Belgique. Pour aller à l'université, il faut payer. Sauf que dans ces pays, les gens déboursent mais ils travaillent. Nulle part au monde on peut subvenir à ses besoins alimentaires à si bon marché.
Venons-en à votre vie affective, voire sexuelle, qui traverse de part en part Chronique d'un Algérien heureux. Vous parlez sans tabous, ouvertement, de ce que la littérature algérienne recouvre d'un voile de pudeur ou d'hypocrisie...
Nous devons sortir de cette hypocrisie qui mine l'islam. L'exemple pour moi c'est le Prophète Mohamed qui a contracté 33 contrats de mariage.
Je me suis amusé à comptabiliser vos conquêtes féminines, si nombreuses à vous croire, qu'à la fin j'y ai renoncé, incapable de faire le décompte précis. Quel Don Juan vous faites !
Il y a entre autres une femme qui m'a été présentée, médecin à Lille, exceptionnelle à tout point de vue, ensorcelante. Elle m'a fait aimer Oum Keltoum en me la chantant au téléphone, moi qui était plutôt Fayrouz qui était pour moi un symbole de modernité et de beauté. La voix stridente des chanteuses égyptiennes me déplaisait. J'avais 70 ans, elle était intriguée par mon âge. C'était sans appel ! J'ai vécu, je l'avoue !
Témoin privilégié de l'Algérie en guerre puis de l'Algérie indépendante, vous jetez un regard d'une grande sévérité sur notre incapacité à construire une société où il ferait bon vivre. Vous citez Ferhat Abbas qui déclarait à des journalistes français : «En Algérie, je m'ennuie, je m'ennuie... J'étouffe !»...
Dans tous les pays où l'islam est une force, la religion joue un rôle terrible. En Egypte, qui vit de tourisme, les gens des pays arabes, toutes catégories confondues, qui ne peuvent pas respirer chez eux, viennent se défouler au Caire où, à partir de minuit, il y a de la vie. C'est le problème de tous les pays musulmans. Le sexe est une fonction comme une autre qui doit être satisfaite. Il faut lire Le Harem et les cousins de Germaine Tillon.
La Révolution a produit des hommes d'exception qui ont conduit l'Algérie à l'indépendance. Qu'en est-il aujourd'hui ?
Un chanteur disait quand «imousnawene» (les savants) partiront, que pourrons-nous faire ? Pour l'anecdote, dans un grand lycée d'Alger, j'avais offert au directeur un livre sur Nizar Kabani (De l'amour et de la liberté) que j'avais écrit. Voulant savoir ce qu'il en pensait, il m'avoua ne pas l'avoir lu car il ne comprenait pas le français ! Même désillusion dans un autre lycée.
Des établissements dirigés par des illettrés ! Comprenez-moi bien, c'est le problème du monolingue et de surcroît d'une langue malheureuse en constante décadence. Ibn Khaldoun disait bien que tout ce que les musulmans ont créé n'est pas le fait des Arabes. El Boukhari est de Boukhara, ville d'Ouzbékistan, etc.
Au début de la Révolution, nous avons eu des groupes de jeunes qui ont été à l'école française, d'autres ont pris le train en marche. Aujourd'hui, je peux citer Kamal Senhadji, chercheur et spécialiste mondial du sida, Elias Zerhouni, médecin radiologue aux Etats-Unis, et en littérature Yasmina Khadra, notamment. Qu'en est-il de la production littéraire en arabe, au-delà de ce qu'a réuni notre ami Abou El Kacem Saâdallah. Tout au début j'ai parlé d'authenticité. Est-elle française ou arabe aujourd'hui ?
B. T.
[email protected]

Docteur Hachemi LARABI, Penseur, écrivain
Un algérien heureux malgré tout
«A 85 ans, je n'ai pas de souci de santé particulier, je ne souffre pas de diabète ou de tension ni de pathologie dont souffre le commun des Algériens, à savoir le colon.» Mieux, Hachemi Larabi lit et écrit sans lunettes ! Et si le poids des ans se fait ressentir dans sa démarche et son dos voûté, il reste que l'auteur de Chronique d'un Algérien heureux et de Debbih Chérif et l'ultime bataille de la Casbah a encore plus d'une corde à son arc.
Difficile aussi de mettre en doute sa mémoire, un trait particulier de ce personnage qui a traversé, dès l'enfance, une période de tous les heurs et malheurs, celle d'un pays profondément engagé dans la lutte pour recouvrer sa liberté. Difficile, en effet, de dissocier le vécu de Si l'Hachemi de celui de l'Algérie en guerre depuis la Seconde Guerre mondiale. Engagé dans les jeunesses du MTLD de La Redoute, Didouche Mourad étant le chef secondé par Debbih Chérif, puis au PPA, son positionnement est paradoxal en ce sens que bien qu'il n'ait jamais participé à une opération armée, il n'était pas loin puisque les acteurs étaient ses amis proches, voire intimes comme Debbih Chérif auquel il voue une admiration sans borne et à qui il a consacré un écrit biographique. Il est saisi d'horreur suite à l'assassinat de Cheikh Mohamed Saïd Zahiri, trop indépendant et jugé dangereux par ses écrits dans son journal El Maghrib El Arabi par le FLN. «J'ai quitté le Cheikh à 13h00, un moment après il est abattu devant la mosquée Ketchaoua.»
C'était le 19 mai 1956. Même indignation lorsque le cheikh Arezki, enseignant du Coran à la médersa de La Redoute, a été abattu par les mêmes commanditaires. Une rue de Clos Salembier, l'ex-rue des Mimosas, porte le nom de l'auteur de ce coup de main ! Il dénonce. D'où un conflit avec Mustapha Fettal pour avoir rappelé ces faits. Clos Salembier, La Redoute, Belcourt sont le triangle d'activités intenses, très structurées, du mouvement national. La médersa Ettarbia Oua Taâlim, ouverte et financée par les habitants de La Redoute, confiée à Abderrahmane Djilali («mon maître», dit Larabi), était un lieu de rencontres des jeunes nationalistes du MTLD qui vont marquer l'histoire de la zone autonome et donc celle d'Alger.
La faim, la misère, lot de la colonisation, l'auteur en parle. C'était la situation de tous les Algériens pour qui le débarquement américain allait les soulager d'une situation intenable : la farine pour le pain et les sacs pour en faire des vêtements ! Chronique d'un Algérien heureux, un pavé de plus 720 pages foisonne d'événements et de faits historiques semblables qui font de l'auteur le témoin de la vie du mouvement national à partir d'un quartier populaire passant par Djamaâ Zitouna, la France puis l'Allemagne de l'Ouest. De l'Algérie post-indépendante, il garde un goût amer lui qui a eu à frayer avec les grands noms de la politique de Ben Bella à Chadli, voire Bouteflika. Il ne mâche pas ses
mots : «J'avais définitivement compris la nature de la Révolution dévoreuse de ses enfants et que l'essentiel était de sauver sa peau.»Tout un programme. Il rappelle le crime d'une tendance du FLN dans le massacre des habitants de Melouza, acquis au MNA messaliste, son effroi quand il apprend l'assassinat de Abane Ramdane. En dépit des inimitiés de certains hauts responsables du nouvel Etat, Hachemi Larabi continue son parcours avec bonheur puisqu'il passe 10 ans au Koweit, membre du conseil d'administration du Fonds arabe de développement économique et social (FADES) et qui lui permet de voir le vide sidéral quant à la présence algérienne dans les institutions arabes. Il passe 15 ans à la tête de la Chambre de commerce pour finir inspecteur général des finances. Il s'enorgueillit d'être derrière la création de la Foire internationale d'Alger. L'autre facette de «l'Algérien heureux» est plutôt croustillante et frise parfois le voyeurisme. L'auteur renverse un tabou propre aux écrivains algériens qui couvrent d'un voile pudique tout ce qui a un rapport avec la vie affective, c'est-à-dire sexuelle. Ainsi l'on est ahuri par le nombre de conquêtes féminines qui n'en finissent pas jusqu'à l'ultime chapitre du livre. On serait tenté de croire à l'hérédité, l'auteur ne s'est-il pas dit scandalisé lorsque son père, à 85 ans, lui avait manifesté le désir de convoler de nouveau en justes noces avec une fille de 20 ans ?
«Je n'ai jamais cru à la monogamie, le plaisir se renouvelle dans le changement de la partenaire», «Le sexe a dominé ma vie. Il m'a fait vivre les meilleurs moments de mon existence» ! Coureur de jupons, comme pourraient le qualifier certaines ? Il balaie cette appréciation d'un revers de la main ; pour lui, l'amour des femmes est une certaine philosophie de la vie. «J'avoue que j'ai vécu», dirait le poète chilien Pablo Neruda.
Sur un autre plan, il se désole : «Les intellectuels n'ont jamais eu le pouvoir au sein du mouvement national, d'où l'échec de 50 ans de politique nationale» ! Anti- conformiste, il qualifie le système algérien de stalinien depuis déjà l'Etoile nord-africaine. Et pour ne pas paraître ingrat, il reconnaît que le système qu'il a servi l'a bien récompensé en retour ! Son témoignage sur les hommes est tout aussi iconoclaste : il dit de Mohamed-Cherif Messaâdia qu'il est «attachant, fidèle et serviable». Dans cet entretien au Soir d'Algérie, réalisé chez lui, il parle de bien d'autres sujets au crépuscule de sa vie.
B. T.
Dans le contexte de la chronique
1. «La dégénérescence de la Casbah est l'un des crimes les plus abjects du colonialisme qui visait à avilir et acculturer ce cœur frémissant des Algérois.»
2. «Toute la campagne algérienne en 1942-45 était habillée grâce aux sacs de farine des Américains revendus pour en faire des vêtements.»
3. «Entre 1962 et 1980 : 250 milliards de dollars investis. Résultat : rien, même pas le savoir-faire. Entre 1980 et 2000 : 300 milliards de dollars partis en fumée.»
4. «L'Algérie ruralisée n'est pas agréable à vivre. On peut être un universitaire brillant dans ce pays, avoir des dons et des capacités et vivre malheureux toute sa vie, que l'on soit salarié de l'Etat ou praticien libéral.»
5. «Djamaâ Zitouna : une immense zaouia qui jouissait d'un grand prestige en Tunisie et en Algérie. Sans plus. Les études étaient très dures pour des résultats insignifiants ; sur 10 000 étudiants, il y avait 3 000 Algériens en 1947.»
6. «Le mouvement nationaliste n'était qu'une mauvaise copie des partis communistes et du bloc de l'Est algérianisé.»
7. «Boumediene aimait le pouvoir plus que l'Algérie. Pour le garder, il lui fallait tout contrôler, jusqu'à la miche de pain du citoyen et le filet d'eau qui coule du robinet.»
8. «Le tandem Boumediene-Abdeslam a été la ruine de l'Algérie.»
9. «La chose la moins solide dans le monde, ce sont les serments d'une femme amoureuse vis-à-vis d'un homme.»
10. «Je n'ai jamais considéré que l'homme est monogame. On peut aimer une femme, la respecter et ne pas s'en suffire.»
11. «Le sexe a dominé ma vie, il m'a fait vivre les meilleurs moments de mon existence.»
12. «L'acte sexuel en Islam a été banalisé depuis 14 siècles. L'Occident y est arrivé mais en le transformant en marchandise.» — «L'Algérienne recherche dans l'homme en même temps que la liberté pour elle, le privilège d'être soumise. Elle travaille dur pour se libérer et elle se tue pour subir la tutelle de l'homme.»
13. «Dans la longue histoire du mouvement national algérien, les hommes de culture ont été marginalisés. Cette jalousie des politiques à l'endroit des intellectuels est devenue historique.»
14. «Le mal algérien s'est perpétué bien après l'indépendance pour s'accentuer durant la période du terrorisme où les intellectuels sont devenus les cibles des barbares.»
15. «Les Arabes nous considèrent comme des hermaphrodites ethniques : ni Arabes, ni Berbères, ni Français, ni Européens. Une catégorie à part.»
16. «Le jour viendra où le Maghreb fera partie de l'Europe comme il l'a toujours été. La Tunisie est à 17 km de l'Europe et à 1500 km de l'Orient et le Maroc à quelques brasses.»
17. «De Zohra Drif, citée par Hachemi Larabi dans Debbih Chérif et l'utime bataille d'Alger. «Debbih Chérif, un géant nommé Si Mourad. Cétait un homme droit et rigoureux, doté d'une profonde humanité qui en faisait un être particulièrement sensible à la souffrance de l'autre, quel qu'il soit.»
Une selection de brahim taouchichet


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