Par Boubakeur Hamidechi [email protected] Alger tribune politique pour les présidentielles françaises ? En tout cas, c'est ce que souhaitait secrètement un certain Emmanuel Macron en s'y rendant sans crier gare ni exiger des rendez-vous improbables. A l'origine donc de certaines assertions qui sont en train de faire du bruit dans son pays, il y a d'abord la singularité de cette personnalité engagée dans la course pour l'Elysée qui décida de faire le voyage inverse vers une ex-colonie afin de remettre sur le tapis la question de la repentance en l'articulant subtilement à l'insoluble contentieux mémoriel qui oblitère les relations entre les deux pays. En choisissant cette destination, Macron avait sûrement préparé et même calibré au mot près sa communication. Il savait ce qu'il devait dire à ses hôtes pour leur plaire et dans le même temps braver la connivence hypocrite et faussement patriotarde de l'ensemble de l'élite politique de son pays. Sans coup férir il parvint, en effet, à faire coup double en s'affirmant à la fois comme le bon avocat des peuples de l'ancien empire et dans le même temps, en confirmant son statut de procureur du système régulateur de la vie politique en France. L'Algérie officielle qui, à juste titre, s'estime non concernée par les analyses de ce candidat dès lors qu'elles s'inscrivent dans un débat franco-français, ne peut cependant s'empêcher d'en apprécier sa relative «honnêteté» intellectuelle quand bien même celle-ci ne serait dictée que par le contexte et les enjeux électoraux. Il est vrai que la manœuvre politique s'accommode parfaitement de l'excès de postures et qu'il ne faut donc rien attendre des engagements de campagne a fortiori quand elles vous sont étrangères. Or, sur le thème de l'histoire coloniale que l'on considère comme le point d'intersection entre une culpabilité non assumée et l'exigence de repentance exprimée par les héritiers des victimes, il n'est de meilleur arbitre que la morale des nations. Celle qui, à l'évidence, manque cruellement aux deux ex-belligérants. Ici comme là-bas justement le passé n'est ponctuellement sollicité que pour servir d'alibi aux conflits d'intérêts surgissant dans l'immédiat. Par la stigmatisation de «l'autre», ce vis-à-vis historique, l'on parvient, souvent, à jouer sur la corde sensible des opinions au seul motif inavoué qu'il est possible d'engranger des dividendes de la moindre posture patriotique. L'exacerbation délibérée du ressort de l'adversité contribue ainsi à cimenter un dangereux nationalisme fondé essentiellement sur le ressentiment à l'encontre des «autres». Les élites politiques de France aussi bien que ceux d'ici ne réactivent en fait le sujet qu'à cette fin. Celle de jouer sur la carte sensible du passé pour s'exonérer de leurs turpitudes. «Vérité en deçà, erreur au-delà» de cette Méditerranée, voilà le prétexte pour surenchérir à bon compte. C'est ainsi qu'à force d'accommoder l'histoire selon ses prétextes, il arrive souvent que la mauvaise foi finisse par accoucher d'assertions outrageantes. Alors que les histoires des grands conflits se sont laborieusement écrits à deux comme ils se sont dénoués d'un commun accord, pour quelles raisons il n'en a pas été de même pour les grandes guerres anticoloniales ? S'agissant notamment de celle déclenchée en Algérie, l'on peut en imputer les raisons à une sorte de déni psychologique qui, à ce jour, empêche la France officielle de solder définitivement le mythe de l'empire sur lequel s'était bâti sa grandeur passée. Une curieuse autocensure qui contribua à la division des approches historiques. Or imposer un éclairage unilatéral au décryptage d'un évènement revient à réfuter la possibilité d'un autre regard sur les faits. Et c'est sûrement à cela que se référait implicitement le candidat Macron qui n'avait fait que cautionner politiquement les travaux les plus sérieux sur le sujet. Comme quoi, cette dette historique qui empoisonne deux nations souveraines est une affaire trop sérieuse pour laisser les politiciens de tous bords en faire leur joujou, toutes les fois où ils s'efforcent de donner des gages de patriotisme. C'est que la France du présent demeure tributaire de la pensée impériale avec tous les ingrédients diffus de «patrie de droits de l'homme» que des générations entières avaient pourtant trahie ou tout au moins respectée sélectivement selon les faciès où la croyance religieuse ! De surcroît la classe politique qui l'avait dirigée entre 1962 et 2002 était dans sa totalité impliquée dans la sale guerre menée en Algérie. La raison en soi était tout à fait suffisante pour justifier que les De gaulle, Pompidou, Giscard, Mitterrand et Chirac interdirent à tour de rôle le recours à l'auto-flagellation politique en admettant, même du bout des lèvres, que la colonisation fut bien plus odieuse que « civilisatrice ». Or il a fallu attendre les confessions de ce candidat de la transgression française pour faire amende honorable du passé alors que par deux fois, l'Elysée délégua des présidents prisonniers des poncifs en vigueur dans l'establishment parisien. Cinquante-cinq ans plus tard, Paris et Alger en sont encore là, à ratiociner sur une page noire de la guerre alors qu'ils n'ont plus le droit moral d'instrumentaliser le malheur au moindre malentendu. Ce qui est la marque de l'irresponsabilité face à l'histoire et la preuve que dans tout pouvoir se cache un faussaire de l'avenir. D'ailleurs dans une de ses fulgurances, Kateb Yacine anticipait déjà en 1960 sur la future désillusion qui allait affecter durablement les deux pays. «C'est un dilemme universel qui se reflète en Algérie, (...). Toute guerre étant fratricide celle de l'Algérie l'est encore plus si l'on considère les liens qui nous unissent depuis si longtemps. Or, nous n'en voulons nullement au peuple de France. Il doit savoir, à présent, ce qui se trame à l'ombre de son drapeau. Lorsqu'il aura enfin rompu avec ceux qui le trompent et vivent de son sang, il retrouvera, en nous, de vrais amis après ce long conflit où nous prenons conscience, les uns et les autres, de ce qui nous attend, si nous tardons à nous comprendre (...). Le plus stupide serait de sacrifier notre avenir à ce passé. Pour effacer jusqu'au souvenir de ces massacres, il nous faudra beaucoup de temps (...). Nous avons tous grandi sur une poudrière. Et si nous sommes si maladroits, à faire la paix, c'est que nous ne l'avons jamais connue. Tous les hommes en sont là.» Magistrales recommandations tombées, hélas, dans l'oubli.