Par Ahmed Halli [email protected] Dans la chronique de la semaine dernière, sur la foi d'une information que j'ai validée sans vérifier, à la manière de qui vous savez, j'ai annoncé le décès de l'actrice égyptienne Chadia. Au moment où je rédige ceci, en guise d'excuses à ses admirateurs, Chadia est bien vivante, et elle a même reçu vendredi dernier la visite du Président Sissi, en personne et de son épouse. Ce qui a eu pour effet immédiat de relancer l'attention et l'intérêt des médias pour l'actrice, victime d'un AVC, et qui a finalement repris connaissance après plusieurs jours dans le coma. C'était d'ailleurs l'une des rares apparitions publiques de la première Dame d'Egypte, Intissar Sissi, habillée d'un tailleur occidental et portant le voile assorti, signe de la ferveur religieuse du moment. L'hospitalisation de Chadia, au-delà de la compassion sincère qu'elle a suscitée ici et là, a aussi donné l'occasion aux tartuffes de commenter en long et en large sa retraite anticipée. Comme je l'ai rappelé au demeurant, tous les islamistes d'Egypte se sont évertués à ergoter sur cette retraite-pénitence, ignorant la véritable raison, celle du refus de vieillir aux yeux de ses fans. Au jeu de dévaluation de l'art, en général, et du cinéma en particulier et de valorisation de la piété ostentatoire, comme marque d'identité religieuse, l'acteur Hassan Youssef s'est particulièrement distingué. Après avoir joué dans les années soixante et soixante-dix les rôles de jeune premier bedonnant et de don juan, Hassan Youssef s'est mis à cracher dans la soupe et à brûler ce qu'il avait adoré. Sans renoncer au cinéma, sa source de richesses matérielles en tant que comédien et réalisateur, Hassan Youssef s'est transformé en acteur prêcheur, d'un art tourné vers la religion. En 1970, il s'est uni, apparemment pour le meilleur, à la star de l'époque, Chams Al-Baroudi, qui venait de quitter l'émir saoudien Khaled Ibn Saoud, après quatre ans de mariage. Revenue au cinéma, après l'avoir quitté pour l'émir, et pour le meilleur aussi, Chams a tourné plusieurs films à l'eau de rose avec Hassan Youssef comme partenaire ou comme réalisateur. Chams Al-Baroudi a pris sa retraite artistique en 1982, après avoir rencontré Dieu, lors d'une Omra, et lui avoir promis de ne plus revenir vers son ancien métier, selon Hassan Youssef. Ce dernier a même affirmé que son épouse était une descendante du prophète Idris, l'inventeur de l'écriture, comme l'atteste l'arbre généalogique (?) conservé par sa grand-mère. Là où il dit vrai, c'est que la retraite de Chams Al-Baroudi a eu un grand retentissement en Egypte, où elle a fait progresser le port du voile et mérité l'hommage du cheikh Metwelli Chaaraoui en personne. Seulement, le cheikh en question a révélé ses accointances intégristes et ses penchants wahhabites en encourageant Chams à porter le niqab, tout en lui interdisant de retourner au cinéma. En revanche, il a été plus souple avec Hassan Youssef à qui il a demandé de jouer désormais des rôles plus corrects, comme ceux d'imam ou de juge, pour se racheter de son passé de séducteur au cinéma. Conseil qu'il s'est empressé de suivre, puisqu'il est aujourd'hui à la tête du syndicat des acteurs et qu'il continue de se faire l'apôtre des piétistes et notamment les artistes repentis. Dans le cas de Chadia, et pensant sans doute qu'elle ne serait plus là pour le contredire, il a affirmé qu'elle «vivait en recluse, et préférait la lecture du Coran aux conversations téléphoniques futiles». C'est du moins ce qu'elle aurait dit à sa «meilleure amie», qui l'aurait d'ailleurs persuadée, ainsi que d'autres comme Suhayl Albabali, de mettre fin à sa carrière, selon Hassan Youssef. C'est d'ailleurs à la suite des déclarations de l'acteur islamiste qu'un chroniqueur égyptien, Tareq Chennaoui, a évoqué la carrière des deux époux, sous le titre sans équivoque «Du bikini au niqab». Il rappelle, dans Al-Misri Alyoum comment dans le film Kaffak ya qalb (bezzaf alik ya qalbi), réalisé par Hassan Youssef en 1977, la vedette Chams Al-Baroudi est apparue en bikini. Une apparition qui n'a valu, à l'époque, aucun reproche aux deux partenaires, comme le relève notre confrère, mais une image inconcevable de nos jours, que ce soit dans la réalité des plages ou dans la virtualité du cinéma. Chams Al-Baroudi a expliqué plus tard que son apparition en petite tenue dans ce film était dictée par le respect du scénario (!!) et non pas par calcul. Pour bien montrer que tout était dans le professionnalisme, elle raconte avoir vu un film de Hassan Youssef, dans lequel ce dernier embrassait plusieurs fois sa partenaire Chouikar. Et elle ajoute que ces scènes d'amour à l'écran entre l'actrice et son mari n'avaient pas du tout suscité un sentiment de jalousie chez elle. Seulement, note Tareq Chennaoui, cette vision pratique de l'art a changé, et l'actrice s'est mise à regarder à travers le prisme du «halal», et du «haram». Elle n'avait plus qu'une seule référence, la religion, au point qu'elle a tenté de racheter les droits de la plupart des films où elle jouait des rôles plutôt suggestifs, pour empêcher leur diffusion. C'est ainsi, rappelle le chroniqueur, qu'elle a sollicité Salah Abou-Seif pour qu'il arrête la diffusion du film «Hammam Al-Malatili», exploité avec succès dans les salles. Le réalisateur lui a alors expliqué qu'il ne pouvait rien faire, parce qu'il avait déjà cédé tous les droits d'exploitation du film, au grand dam de l'actrice. Chams Al-Baroudi regrette tous les films qu'elle a tournés, note encore le journaliste, mais dans le même temps, elle encourage vivement son fils, Amr Hassan Youssef, à persister au cinéma. Ajoutons que le père aussi voit d'un très bon œil, celui qui ne regarde pas vers la Qibla, le choix de carrière de son rejeton, et qu'il espère même qu'il deviendra le nouveau Omar Sharif. C'est dire. Quant au niqab de Chams Al-Baroudi, il en a été question récemment lorsqu'elle l'a retiré sous prétexte que des personnes malintentionnées pouvaient se faire passer pour elle. En réalité, précise notre confrère, elle a oublié que dans une précédente version, elle a affirmé que c'était Karadhaoui qui l'avait autorisée à retirer le niqab, parce qu'il la gênait pour manger. Toutes les réponses sont dans ce verbe !