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KABYLIE STORY II
Nator ou comment habiter un nuage Par Arezki Metref
Publié dans Le Soir d'Algérie le 16 - 10 - 2005

D�un c�t�, on ramasse en un regard l�anse douce de la baie, et de l�autre, le coup d��il oblique que l�on coule saisit, lui, Mcid lbab, cette petite b�tisse grise dress�e � la racine de deux monts, Yema Gouraya et Adrar Oufernoun. Mcid lbab, l��cole de la porte, que l�on voit mieux de la mer, est un des 99 mausol�es de B�ja�a. On est bedjaoui de souche, dit-on, lorsqu�on est prot�g� par un ou plusieurs de ces saints tut�laires. Nator, c�est ce hameau qui r�vasse sur le flanc d�une butte glissant vers Li-Loua, le lit de l�oued au go�t de paradis perdu. Dans un �lan de nostalgie r�paratrice, Ahmed Azeggagh, revenu de tout, des d�lices comme des avatars de la ville, c�l�brait Li-Loua, amours v�g�tales de l�innocence, dans des vers fleurant la s�ve et l�ancrage : �A Li-Loua/Il y a la mer/d�un bleu si frais/Que les poissons s�en excusent.�
Le flanc est couvert de v�g�tation. Une v�g�tation nourrici�re : oliviers, figuiers, caroubiers. Les figuiers ont le tronc noueux qui portent les branches des si�cles. Sur le tertre qui tient lieu de parvis au mausol�e de Slah Nator, deux pi�ces se font face. Leurs murs ont �t� ma�onn�s avec la foi du charbonnier. Les pierres tombales sont des morceaux de schiste, taill�s en lames, fusant d�entre les roches. Quelqu�un est all� chercher El-Hadi Natouri, l�oukil du Slah. Il arrive, d�charn� dans son bleu de chauffe, la moustache fine comme un accent circonflexe calligraphi� sur le visage parchemin� d�asc�te. Il ouvre la porte en bois de la petite pi�ce. Des ustensiles en fer blanc sont rang�s dans un coin : �Une �migr�e a donn� une oua�da, hier�, excuse-t-il. Puis, il se souvient : �Ahmed Azeggagh �crivait des po�mes sous ce fr�ne � l��ge de 14 ans.� On revient vers l�entr�e du hameau et d�j� notre petite �quipe est nombreuse. L�aire � battre le bl� a gard� sa forme ronde, mais elle est envahie de mauvaises herbes. �La derni�re fois que du bl� a �t� battu ici, �a devait �tre avant 1954�, nous dit cet habitant de Nator. Un couple d��migr�s sort d�une baraque haute comme la sup�riorit� de l�euro sur le dinar au march� du square Port- Sa�d. Fluide dans son bleu de chauffe, l�homme a la d�gaine cool du gentleman farmer. Le chapeau de paille n�est pas un accessoire obligatoire. C�est juste que l�on n�a pas invent� mieux contre le soleil. Elle, repl�te, le visage rond, porte des cheveux peroxyd�s au dernier degr� de blond. La poitrine bard�e de bijoux massifs, elle r�apprend � marcher sur les sentes caillouteuses. Etre �migr�, ici, n�a rien de singulier. C�est m�me la r�gle. Jusqu�� une certaine g�n�ration, tout le monde l�a �t�, ou l�est encore. �J�ai travaill� en France pendant douze ans. Je suis rentr� en 1975�, dit mine de rien cet homme qui a la g�n�rosit� de nous piloter dans le hameau. De ces villages tendus vers la mer, de ces hameaux perlant le territoire du arch des Imazayen qui ont pour nom Smina, Ighil Nalbordj, Oussama, des familles enti�res sont parties s�installer essentiellement � Marseille et dans ses environs. Leur point de d�part et leur point d�arriv�e se font face, comme si le destin de ceux qui ont �coup� la mer �tait de regarder la m�me M�diterran�e, mais � partir de l�autre rive. L�exode, qui s�est fait par vagues successives, s�explique par des raisons �conomiques et historiques. Le manque de travail, qui a pouss� la main-d��uvre � s�employer sur des rives plus glorieuses, est un fait connu. Cependant, compar� par exemple � l�aridit� de la r�gion des Beni Ouartilane, la terre d�ici est tout, sauf pauvre. Autant que de l�insuffisance de travail, ce d�sir de bouger vient aussi sans doute de l�invitation au voyage recel� dans le silence comme dans la houle de la mer. A regarder cette mer, on finit sans doute par avoir envie de la traverser. De Nator, un grain de ce chapelet de hameaux qui, la nuit tomb�e, font comme un diad�me de lumi�re sur le front de Yema Gouraya, la vue porte loin. Dans la brume, les Babors flottent comme un bateau pris dans la temp�te. Hassan Boucharba, intendant dans un lyc�e de B�ja�a, cousin d�Ahmed, qui vit dans la plaine d�Ihadaden d�o� sa famille est originaire, me d�signe par leur nom les agglom�rations qui se limitent � des formes vaporeuses au bord du regard : Tichy, lov�e dans une crique, Aokas, serr�e � l�entr�e de la grotte, Souk El Tnine et, plus loin, plus impr�cise, Ziama Mansouriah et les taches bleu�tres de Jijell. C�est le golfe de Beja�a qui dessine une demilune. En surplomb vertical, on voit moutonner la plaine maintenant coutur�e d�une enfilade de carcasses. Depuis la mort, le 24 avril 2003 d�Ahmed Azeggagh, le po�te torrentiel, son village natal se souvient de cet �ternel errant. N� dans une maison aujourd�hui effondr�e avec ses tuiles grises gisant dans la v�g�tation, il a grandi aux Cadenaux par la Gavotte, � un jet de lumi�re du phare de Marseille. Pour aller � l��cole Jacquart, dans la plaine de B�ja�a, Ahmed d�boulait de Nator en slalomant entre les chacals et les sangliers. Mais, un beau jour, le p�re, Rabah Azeggagh, 33 ans, ouvrier � la bouchonnerie Matas, accepte la proposition de son patron qui, avant l�heure, d�localisait son entreprise � Marseille. Un matin, les Azeggagh se r�veillent dans la cit� phoc�enne, c�toyant dans cet apprentissage de l�exil des compatriotes issus pour la plupart de la m�me r�gion. Tout un quartier de l�Estaque, ce village de p�cheurs aujourd�hui aval� par la m�tropole m�ridionale, est peupl� d�Azeggagh, employ�s au port ou � la cimenterie. Rabah, lui, en rupture avec le bouchonnier Matas, se met � nomadiser. Un coup, il est docker au Vieux-Port. Une autre fois, il travaille dans une cristallerie d�o� il ram�ne de temps � autre un verre gard� comme un bijou. Et, en permanence, il so�le ses enfants d�El Anka, d�El Hasnaoui et de Slimane Azem. En 1962, Ahmed Azeggagh a 21 ans. Il d�cide de rentrer � B�ja�a pour �pour raisons patriotiques�. Il participe � l��dification nationale en enseignant � l��cole Roussel. La famille en entier vient dans son sillage, p�re en t�te. Les Azeggagh sont provisoirement des anciens �migr�s. L�histoire, qui ne s�arr�te jamais en cours de route, leur r�serve encore des partances. D�autres d�parts sont �crits. Ils seront attir�s vers l�exil comme si, d�y avoir �t� contraint une fois, condamnait � la r�p�tition. Cette histoire d�errance a commenc� t�t. Un jour, l�anc�tre Arezki, amousnaw et irr�v�rencieux, est vitup�r� par la tribu des Azeggagh, �parpill�e de part et d�autre d�Adrar. Per�u comme marginal, lui qui �tait po�te, il est tout bonnement proscrit du berceau de la famille. Les Natouri l�accueillent dans le hameau de Nator. Arezki s�y construit une petite maison, dont il ne reste que des pans de murs enfonc�s dans la terre et recouverts de ronces. Il cultive ses jardins au Li- Loua. Le hameau est partag� entre les deux familles, les Natour et une branche des Azeggagh. Elles cohabitent si longtemps qu�elles finissent par croiser les alliances. Mais, en vertu d�une loi non �crite, non formul�e m�me, elles gardent chacune leurs terres, leurs chemins et leur cimeti�re. Elles ont surtout chacune leur m�moire. Celle des Azeggagh est parsem�e en bribes plus haut dans la montagne, dans d�autres villes, sur d�autres rives. Les villes o� ils se fixent, Alger et Marseille, ont en commun avec B�ja�a la m�me mer. On parcourt les quelques m�tres qui vont de l�entr�e du village au cimeti�re et c�est la m�moire d�un p�riple que l�on sent palpiter sur le chemin. Nous marchons et le bruit des pas sur le gravier du cimeti�re r�sonne comme une complainte surgie du fond des �ges. Nous sommes � pr�sent au bout du village. C�est comme le sommet d�une falaise. Des maisons sont agripp�es aux flancs de la montagne comme des naufrag�s � un esquif. La ville, b�tie en amphith��tre, d�gringole en vapeurs humides vers la mer. A main droite, la plaine d�Ihadaden s��tale comme une ville anarchique qui n�en finit pas de grimper sur les premiers contreforts du Djurdjura. A main gauche, c�est l�ellipse de la baie qui se referme. Plus tard, sur la terrasse en terre battue du Cheval Blanc, un cube jaune canari qui domine la mer, Nadir Azeggagh, agent de s�curit� � l�h�pital de B�ja�a, pr�sident de l�association Timsiyat (arme � double tranchant), regroupant depuis 1990 une douzaine de villages, raconte pourquoi ils ont tenu � organiser un hommage � ce cousin qu�il ne connaissait pas : �En v�rit�, j�entendais parler de Ahmed Azeggagh, sans en savoir plus. Je n�avais jamais rien lu de lui, en d�pit de ce que certains de ses po�mes sont enseign�s � l��cole. Puis un jour, j�ai lu un article sur lui. Il y a eu comme un d�clic�. Li�s, qui a roul� sa bosse dans le mouvement associatif, membre du bureau de Timsiyat, fou de th��tre � ses moments perdus, avait r�v� de monter avec des gamins la R�publique des Ombres, une pi�ce d�Azeggagh. Il n�en pas eu le temps. Ce n�est que partie remise car �on ne va pas r�p�ter les m�mes formes d�hommages chaque ann�e�. La nuit tombe sur la baie. Les lumi�res scintillent du c�t� du port. Les m�thaniers sont comme des loupiotes perdus dans le vide noir de la mer. Je demande � Nadir comment il nomme cette ville : Bougie, B�ja�a, Begayet, Vgayet ? Tous ces noms sont encore usit�s au quotidien. Il n�h�site pas une seconde : Vgayet ! Sans doute, fait-il partie de ceux qui sont les plus proches de la source. Le nom de la ville a donn� lieu � des recherches aux r�sultats les plus contradictoires. B�ja�a s�enorgueillit d�avoir donn� son nom, Bougie, � la petite chandelle. Mais le nom m�me de Bougie provient de l�alt�ration fran�aise de la Bugia espagnole qui est elle-m�me une alt�ration. Ibn Khaldoun rapporte que lorsque en l�an 460 (1067-68), Nacer des Beni-Hammad s�empara d�Adrar Imsyouen, il fonda une ville qu�il baptisa En Naciria, �mais tout le monde l�appelle Bega�a, du nom de la tribu�. Mouloud Ga�d, auteur d�une excellente Histoire de B�ja�a et de sa r�gion, ajoute aux explications d�Ibn Khaldoun : �l�alt�ration du g en j a donn� B�ja�a, mais les Kabyles l�appellent Bega�t. Les Espagnols l�appel�rent Bugia d�o� les Fran�ais ont tir� le nom de Bougie.� Retour de France, Rabah Azeggagh, le p�re d�Ahmed, prend un logement rue Fatima, cette longue art�re courbe comme une lame de cimeterre qui d�boule de l�h�pital Frantz- Fanon jusqu�au th��tre. Il ouvre un commerce de l�gumes. Ahmed, plein d�allant, se fait, parfois � coups de dents, sa place dans un monde o� l��pret� est d�j� la r�gle. Il est journaliste � l�APS. A Alger, o� il s�installe, il publie un recueil, A chacun son m�tier (Sned) dont certaines po�sies sont �tudi�es � l��cole. Ce qui fait de lui un membre de ce club tr�s ferm� de po�tes dont on a commenc� � �tudier les po�mes en classe de leur vivant. Mais, au lieu de l�embaumer dans une posture, cette cons�cration excite, au contraire, son naturel contestataire. En 1965, le coup d�Etat
de Boumediene lui fait enjamber une fois plus cette satan�e mer. Deuxi�me exil. Cette fois, c�est pour longtemps. Ahmed Azeggagh commence alors cette errance � travers les lieux et les r�ves, pouss� une fois de plus � cuver ses illusions dans la marginalit� incarn�e par l�anc�tre Arezki. Il ne cessera pas d�aller d�une rive � l�autre, poursuivi par une crise existentielle qui se transforme, par temps calme, en po�mes contondants. Si Mohand des temps de la vitesse et de l��criture, Ahmed Azeggagh partage sans doute avec le po�te kabyle le plus tragique de tous les temps ce tourment devant � la terrasse du Cheval Blanc, les derniers clients s�en vont silencieusement. La nouvelle ville, ruche bourdonnante, est encore en �bullition.


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