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BENJAMIN STORA
"Les uns �taient des citoyens fran�ais, les autres ne l'�taient pas"
Publié dans Le Soir d'Algérie le 08 - 05 - 2008

Le Soir d'Alg�rie : Vous avez con�u le projet de ce livre � l'occasion d'un voyage � Khenchela, berceau de la famille Stora. Pourquoi pr�cis�ment lors de ce voyage ?
Benjamin Stora : Depuis trente ans, je travaille sur le monde indig�ne, sur l'histoire politique et culturelle alg�rienne. Dans le monde indig�ne o� l'immense majorit� sont des musulmans, il y a cette minorit� juive. Et dans mes d�sirs d'�criture, il y a toujours eu cette volont� de travailler un jour sur cette minorit� indig�ne juive. Le voyage de Khenchela, � l'occasion du cinquanti�me anniversaire du d�clenchement de la guerre dans les Aur�s, � Khenchela pr�cis�ment, m'a beaucoup touch�. Khenchela est la ville o� le fr�re de mon grand-p�re �tait maire. Il avait connu tous les nationalistes alg�riens : Ben Boula�d, Ali Bachir,... y compris Bougara, l'un des responsables des Aur�s. J'en avais discut� avec lui avant sa mort. Je savais donc tout cela avant de partir mais je n'�tais jamais all� � Khenchela. Quand on fait des projets d'histoire, il y a le c�t� intellectuel, abstrait puis il y a aussi le contact avec la r�alit� physique. Il n'y a pas que les archives, le contact physique permet � un moment donn� de faire le saut. Ma volont� d'�crire sur l'Alg�rie a toujours �t� en rapport avec des attractions physiques : odeurs, couleurs, paysages, rencontres avec des acteurs de cette histoire. Je fais partie des historiens qui ont toujours voulu garder des contacts avec la nature, des villes, des quartiers, des personnages plut�t que de rester confin� dans la recherche acad�mique. L'accueil qui m'a �t� fait � Khenchela est extraordinaire. J'ai rencontr� des personnes qui avaient connu mon p�re n� � Khenchela en 1909. J'ai vu la maison de mon grand-p�re, le cimeti�re juif. J'�tais accompagn� de mon fils Rapha�l. Je me suis dit, il faut que j'�crive sur l'histoire de ma famille dans les Aur�s. La famille de mon p�re est originaire des Aur�s, celle de ma m�re, o� je suis n�, de Constantine. La famille Zaoui sont des bijoutiers juifs de Constantine. Je connaissais tr�s bien la famille de ma m�re mais mal celle de mon p�re. Or, quand on travaille sur l'Alg�rie, on ne peut que tomber sur les Aur�s.
On pourrait penser qu'il s'agit d'une saga, en fait l'historien reprend vite le dessus
Ma famille est le point de d�part. J'ai du mal � passer � un r�cit totalement autobiographique, familial et autocentr�. C'est un seuil que je n'arrive pas encore � franchir pourtant je pense que c'est une �tape n�cessaire. Un de mes projets est d'�crire sur mon propre cheminement intellectuel par rapport � l'Alg�rie mais pour ce livre, il m'apparaissait d'abord n�cessaire de faire le point historiquement. De partir de mon histoire personnelle pour aller vers une sorte d'�tat des lieux sur la question juive indig�ne et fran�aise dans l'histoire coloniale.
Vous parlez d'invisibilit� des Juifs d'Alg�rie dans la soci�t� fran�aise � l'inverse des Juifs marocains et tunisiens. En quoi et pourquoi cette invisibilit� ?
Quand les Juifs d'Alg�rie sont arriv�s en France en 1962, ils �taient fran�ais depuis d�j� quatre g�n�rations. Ils se vivaient comme des Fran�ais, des pieds-noirs. Ils �taient dans l'exode des pieds-noirs. L'une des figures embl�matiques, Enrico Macias, est un chanteur pied-noir. Cette invisibilit�, ils la revendiquaient, ils la pratiquaient. Ils n'�taient pas des �trangers au sens classique du terme. A la m�me �poque arrivent les Juifs de Tunisie, pas les Juifs du Maroc qui, eux, sont partis en masse en Isra�l. Les Juifs de Tunisie sont visibles en tant que Juifs s�farades. Ce sont eux que l'on verra au cin�ma dans des films comme La v�rit� si je mens par exemple. L'invisibilit� des Juifs d'Alg�rie est compl�te car il y avait cette revendication de francit� et ce d�tachement d'avec les autres indig�nes musulmans depuis tr�s longtemps, depuis le d�cret Cr�mieux. Beaucoup de Juifs d'Alg�rie, depuis des g�n�rations, �taient devenus des fonctionnaires de l'Etat fran�ais. Ils pensaient poursuivre une carri�re administrative de l'Etat fran�ais. Beaucoup de Juifs alg�riens n'�taient plus artisans, commer�ants, vendeurs de tissus, ce qui avait �t� la r�alit� � la fin du XIXe si�cle jusqu'aux ann�es 1940. Donc en 1962, lorsqu'ils arrivent en France, beaucoup sont d�j� des fonctionnaires. Dans la dimension identitaire, il y a la dimension sociale, la question du rapport au m�tier. On suit la France parce qu'on suit son travail. Cette continuit� du travail leur donne le sentiment d'une suite de l'histoire. C'est une illusion car en fait il y a une profonde d�chirure. Il a fallu une d�cantation historique beaucoup plus large et beaucoup plus profonde au fur et � mesure des ann�es pour qu'apparaisse cette diff�rentiation entre les pieds-noirs et les Juifs d'Alg�rie, d'o� le succ�s de mon livre qui est arriv� � son heure dans le sens o� les petits-enfants de ceux arriv�s en 1962 voulaient savoir qui ils �taient. Cette recherche plus profonde, ant�coloniale, d'appartenance � l'Orient qui ne se r�duit pas simplement � l'histoire fran�aise.
D'o� viennent les Juifs d'Alg�rie ?
Il viennent de partout dans l'Histoire. Ils arrivent de Palestine au 1er si�cle apr�s J�sus-Christ apr�s la destruction du Temple. Mais ils sont l� avant l'arriv�e du christianisme �videmment. Vers le 3e, 4e si�cle, il y a des conversions de Berb�res au juda�sme. Cette premi�re vague forme quelques petites communaut�s essentiellement dans les Aur�s. Il vont pratiquer une sorte de syncr�tisme avec l'Islam qui va arriver au 8e si�cle. Il y aura une forme de pratique rituelle commune entre les communaut�s juive et musulmane berb�res. La deuxi�me grande vague arrive d'Espagne au 16e si�cle. Ces Juifs d'Espagne appartiennent � une �lite commerciale et intellectuelle qui va s'�tablir dans les villes et commercer avec les Juifs francs, principalement en Italie et dans le sud de la France. Ce sont les megorashim qui vont prendre en main la communaut� juive d'Alg�rie. Fondamentalement, il y a deux grands courants. En fait, c'est un peu plus complexe car il y a aussi une diff�rence entre les Juifs des villes de l'int�rieur et les Juifs des villes du bord de mer. Ceux de l'int�rieur sont davantage dans les traditions, dans la langue, dans l'arabit� ou dans la berb�rit� m�me si, progressivement, c'est l'arabit� qui va s'imposer. Les communaut�s littorales, elles, sont davantage en prise avec l'ext�rieur. Ce ne sont pas les m�mes conceptions de l'Histoire. J'ai essay� de faire une typologie qui mette l'accent sur l'anciennet� de l'enracinement en 2000 ans d'histoire.
Vous structurez votre ouvrage autour de trois exils. Le premier �tant la cons�quence du d�cret Cr�mieux, le second celle de son abolition, le troisi�me celle de la guerre d'ind�pendance. En quoi le d�cret Cr�mieux a-t-il provoqu� le premier exil et son abolition le second ? Et de quels exils s'agit-il ?
La notion d'exil est probl�matique. Dans les deux premiers cas, il s'agit bien s�r d'exil int�rieur. Le plus compliqu� est le premier car il y a une fraction des �lites juives qui souhaitaient l'assimilation, sortir de la condition du dhimmi et jouer la carte de l'�galit� r�publicaine. Ils ont servi d'interpr�te dans l'arm�e fran�aise car, bien s�r tous les Juifs d'Alg�rie parlent arabe. Mais la majorit� des Juifs d'Alg�rie �taient tr�s attach�s � leur histoire, leurs coutumes. Ils n'avaient pas cette volont� de se s�parer radicalement de leurs traditions et ils suivaient leur rabbin. Comme les musulmans, ils �taient attach�s � leur histoire propre. Aussi, pour la majorit� de ces Juifs-l�, le d�cret Cr�mieux a �t� � la fois la possibilit� de s'�lever socialement tr�s rapidement de la condition d'inf�riorit� qui �tait la leur, mais ce fut �galement une d�chirure sur le plan identitaire et culturel du fait de l'abandon du statut personnel, donc des tribunaux rabbiniques. Ils se s�parent d'un univers culturel de mani�re rapide et radicale ce qui est pour moi une sorte d'exil int�rieur dont la profondeur n'a pas �t� per�ue � cette �poque car le prix � payer pour l'�mancipation sociale a �t� tr�s lourd sur le plan culturel : abandon progressif de la pratique de la langue arabe, la�cisation progressive induisant la perte des pratiques religieuses. Ils sortent d'une histoire qui �tait la leur depuis longtemps pour rentrer dans une autre histoire. Il y a en m�me temps une sorte d�ambivalence car le fait de sortir de leur histoire leur permettait aussi de s'�lever socialement, d'acc�der � des m�tiers comme la fonction publique, ce qui n'�tait pas possible pour les indig�nes musulmans � moins de demander la naturalisation fran�aise � titre individuel. L'acc�s � certaines professions dans l'Etat, c'est la possibilit� d'acqu�rir un statut social, des revenus importants, de quitter la mis�re sociale. La soci�t� coloniale ne permet d'entrer dans la soci�t� fran�aise qu'� condition d'abandonner de mani�re radicale l'identit� d'origine. Avec l'abandon du d�cret Cr�mieux sous Vichy, il s'agit d'un exil en sens inverse. C'est le choc du retour � l'indig�nat. Il y a une sorte de d�chirure que l'on retrouve dans toutes les biographies, les t�moignages, etc.
Pour qualifier ces exils successifs, vous faites r�f�rence � des termes de la religion h�bra�que : le passage, r�f�rence � la P�que juive, la �sortie� d'Alg�rie en r�f�rence � la sortie d'Egypte. Pourquoi avoir utilis� ce registre ?
Quand j'ai fait ma th�se d'Etat sur l'immigration, j'ai parl� de l'exil en rapport avec l'hegira, c'est-�-dire l'exil qui va vers La Mecque. J'aime entrer dans l'univers � La fois culturel et religieux des populations sur lesquelles je travaille. Prendre des symboles, des images, des trajets � partir d'un vocabulaire de r�f�rence qui est le leur. Ce sont des communaut�s indig�nes qui ont v�cu profond�ment dans un monde religieux avec des symboles religieux m�me lorsqu�ils ont �t� la�cis�s. Se faire comprendre de cet univers, c'est aussi en conna�tre les ressorts.
En quoi l'arm�e fran�aise, depuis la conqu�te, a-t-elle fa�onn� une image n�gative du Juif alg�rien ?
L'arm�e de la conqu�te est profond�ment antis�mite, pour une grande majorit� porteur des pr�jug�s europ�ens classiques de l'�poque. Viennent s'ajouter aux clich�s europ�ens les clich�s de l'Orient. L'arm�e a le pouvoir en Alg�rie jusqu'en 1871. Il a fallu attendre l'effondrement de Sedan en 1870 pour que le d�cret Cr�mieux existe.
L'arm�e, trop faible sur le plan politique, ne pouvait plus s'opposer � un tel d�cret. Elle perd la main et c'est un pouvoir civil qui s'installe en Alg�rie. Le pouvoir de l'arm�e a dur� de 1830 � 1871. Elle va revenir au-devant de la sc�ne pendant la guerre d'Alg�rie.
Si le d�cret Cr�mieux a s�par� la communaut� musulmane de la communaut� juive, comment expliquer que Ferhat Abbas ait demand� son maintien sous Vichy ?
La position de Ferhat Abbas a �t� tr�s longtemps celle d'une fraction des �lites musulmanes r�publicaines, c'est-�-dire favorable � l'extension du d�cret Cr�mieux aux �lites musulmanes. L'�largissement du d�cret Cr�mieux �tait d'ailleurs la grande hantise des colons europ�ens car pour eux derri�re le p�ril juif, se dessine la menace arabe et la fin de la supr�matie europ�enne. Donc du point de vue de la coh�rence des combats politiques qui �taient les siens � l'�poque, il �tait normal que Ferhat Abbas r�clame le maintien de ce d�cret pour lequel il avait toujours combattu. L'abrogation du d�cret Cr�mieux, le retour des Juifs au sein de l'indig�nat ont pr�cipit� les leaders musulmans dans la voie du s�paratisme politique car la France reprenait d'une main ce qu'elle donnait de l'autre. Il n'y avait donc pas de possibilit� de n�gociation � ce niveau.
Apr�s les massacres de S�tif, des personnalit�s juives ont d�nonc� la r�pression et les massacres. Pourtant, il appara�t que ces �v�nements ont mis � mal les rapports intercommunautaires.
Mis � mal, non, mais c'est assez compliqu� car des Juifs ont protest�, Aboulker en particulier �tait le premier � d�noncer les massacres de S�tif, mais cela signifiait aussi pour les Juifs d'Alg�rie qui venaient juste de r�int�grer la nationalit� fran�aise, se retrouver � nouveau devant ce dilemme : faut-il croire dans une nation alg�rienne ou faut-il rester dans le giron fran�ais ? De mon point de vue, la majorit� des Juifs d'Alg�rie �taient davantage orient�s vers la France sauf les minorit�s proches du Parti communiste qui esp�raient dans la carte d'une nation alg�rienne multiethnique, multiculturelle. C'�tait le r�ve d'un certain nombre de Juifs alg�riens des ann�es 1950-55. Mais c'est une minorit�, pour la majorit� les massacres de S�tif signifiaient qu'il fallait choisir entre une nation alg�rienne �mergente ou rester dans l'Alg�rie fran�aise. De mon point de vue, je pense que la plupart ont choisi l'Alg�rie fran�aise.
Le Congr�s de la Soummam somme la communaut� juive de se prononcer sur son appartenance ou non � la nation alg�rienne. Quelle a �t� sa r�ponse ?
Il n'y a pas eu de r�ponse officielle. Or, on sait ce que l'absence de r�ponse signifie en politique. La majorit� des Juifs d'Alg�rie �taient devenus des Fran�ais. Ils avaient �t� traumatis�s par la perte de la nationalit� fran�aise sous Vichy, ils tenaient donc � y rester. Pour la majorit� des �lites, l'objectif �tait d'�tendre cette nationalit� fran�aise aux musulmans donc de construire une Alg�rie fran�aise �galitaire et non s�par�e de la France. Ce qui, dans le fond, �tait la position de la SFIO, la position socialiste traditionnelle. La plupart d'ailleurs votaient SFIO. Ils �taient fid�les � leur engagement du d�but du si�cle du c�t� de Dreyfus, la R�publique, la Ligue des droits de l'homme, la SFIO. L'immense majorit� des Juifs d'Alg�rie �taient r�publicains parce que c'�tait la R�publique qui les avait �mancip�s sur le plan juridique. Ils n'ont pas franchi le pas du communisme avec la reconnaissance d'une nation s�par�e. C'est une minorit� qui l'a franchi.
Vous dites que la position de la communaut� juive �tait attentiste durant la guerre d'ind�pendance. Mais ils vont opter progressivement pour le maintien de l'Alg�rie fran�aise. Ce revirement date-t-il de l'assassinat de Raymond Leiris ?
Ce n'est pas un revirement, c'est une continuit�. Il y a une tendance lourde des Juifs d'Alg�rie pendant pratiquement un demi-si�cle jusqu'� la guerre d'Alg�rie, � vouloir rentrer dans la cit� fran�aise et se faire reconna�tre par la France. On peut toujours dire, tout le monde s'aimait, on vivait dans le m�me univers, ce n'est pas vrai tout �a. J'essaye de faire de l'Histoire. Je ne suis pas dans le mythe rassurant de l'interculturalit� indig�ne bris�e par la guerre, puis l'assassinat de Raymond, puis tout le monde est parti. Ce n'est pas vrai. Il y avait un espace mixte culturel commun, mais il y avait une s�paration radicale car les uns �taient des citoyens fran�ais, les autres ne l'�taient pas. Il ne faut pas se raconter d'histoires. Au bout de quatre g�n�rations, les uns �taient devenus des Fran�ais, les autres non. Lorsque la guerre d'Alg�rie commence, ils sont dans une position attentiste dans un premier temps puis progressivement � partir de 1956-57, la plupart de cette communaut� bascule sur les th�ses de l'Alg�rie fran�aise �galitaire, mod�le SFIO. L'assassinat de Raymond en 1961, c'est un �l�ment tr�s important mais qui arrive en fin de course, en fin d'histoire.
A l'ind�pendance, le d�part est-il, comme on l'entend souvent maintenant, la cons�quence exclusive du radicalisme nationaliste alg�rien ou n'est-il pas �galement d� aux positions procolonialistes de ces minorit�s ?
Bien s�r ! La fin de l'Alg�rie fran�aise, c'est aussi les crimes de l'OAS. Il y a une radicalit� communautaire du c�t� fran�ais dont fait partie un �l�ment important de la communaut� juive qui s'est radicalis�e � partir de 1960. C'est la naissance des activistes, les ultras dans un premier temps puis ensuite l'OAS. C'est une radicalisation communautaire qui va conduire aux drames, aux affrontements, aux exactions les plus sanglantes. C'est une radicalit� europ�enne qui veut maintenir le statu quo colonial. Il n'y a pas d'affrontement avec le FLN. L'arm�e des fronti�res ne rentre pas en Alg�rie, la population alg�rienne est massivement pour l'ind�pendance. La violence vient de l'autre c�t�. Il ne faut pas se raconter d'histoires.
En quoi la connaissance de l'histoire coloniale est-elle indispensable � la compr�hension de l'histoire contemporaine ?
On pensait que la question coloniale �tait r�solue par le passage aux ind�pendances des ann�es 60. Or, elle revient dans la soci�t� d'aujourd'hui car certains jeunes, en particulier ceux issus des immigrations postcoloniales, la vivent au pr�sent. C'est l� que cela devient compliqu� parce que cette question est un objet d'histoire classique mais c'est �galement devenu un instrument d'aujourd'hui. Les deux s'entrem�lent avec une force explosive qui complique la t�che des historiens. Car dire les choses simplement sur le plan historique devient compliqu�. Il y a beaucoup de mythes, de fantasmes, de reconstructions apr�s coup. Donc la question coloniale n'a pas disparu. Je suis frapp� notamment par l'actualit� de la mort d'Aim� C�saire ou de Germaine Tillon. Ce sont des personnages qui parlent � la soci�t� d'aujourd'hui. Ils nous disent ce qu'a �t� le colonialisme mais cela parle beaucoup aux g�n�rations d'aujourd'hui. C'est dire � quel point il y a une actualit� de la question coloniale v�cue comme telle.
Propos recueillis par Meriem Nour

Biobibliographie
N� � Constantine en 1950, Benjamin Stora est professeur d'histoire du Maghreb � l'Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco) � Paris. Il est le fondateur et le responsable scientifique de l'Institut Maghreb-Europe depuis 1991. Il est aussi ou a �t� auteur-r�alisateur documentaires, conseiller historique dans le cin�ma, commissaire d'exposition, producteur et animateur de magazine d'actualit� culturelle... Il a publi� une vingtaine d'ouvrages dont une biographie de Messali Hadj (r��dition Hachette-poche 2004), Histoire de la guerre coloniale 1830-1954 (La D�couverte 1993), Fin d'amn�sie (Ed. Robert Laffont 2004) un ouvrage collectif en collaboration avec Mohammed Harbi, ...


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