L�arriv�e d�Hilary Clinton � la t�te de la diplomatie am�ricaine a fait passer au premier rang de ses pr�occupations une question inattendue qu�elle a m�diatiquement mise en avant lors de sa tourn�e en Afrique en ao�t 2009. Elle y a rencontr� des agricultrices du Kenya, des femmes viol�es en R�publique d�mocratique du Congo et d�autres femmes b�n�ficiaires de microcr�dits sur le continent. En Afrique du Sud, elle a effectu� deux visites d�inspection et de soutien � un ambitieux programme de logements pour femmes, pr�s de Cape Town, rel�guant au second plan ses rendez-vous officiels avec la pr�sidence et le Parlement local. Le message qu�elle voulait donner au continent noir est clair : doter les femmes de pouvoir �conomique et politique �rel�ve d�une croisade morale digne ; cela repr�sente peut-�tre la meilleure strat�gie pour poursuivre le d�veloppement et la stabilit� dans le monde�. Une de ses proches collaboratrices, Isobel Coleman, revient sur le sens de ce message dans le dernier num�ro de Foreign Affairs(*). Nombre d�observateurs, rel�ve-t-elle, sous le titre fort �vocateur de �La meilleure moiti�, ont applaudi le fait qu'un secr�taire d'Etat am�ricain ait fait des droits des femmes �une question critique de la politique �trang�re �. Clinton a m�me d�fendu son ordre du jour, notant que cette attention particuli�re �tait destin�e � �changer les priorit�s� du gouvernement. Un bout de phrase qui vaut son pesant d�or et qui n�a pas �chapp� aux experts les plus avis�s. Isobel Coleman m�diatise et justifie ce changement de cap en s�appuyant sur une publication am�ricaine r�cente de Nicholas Kristof et Sheryl WuDunn(**). Ces deux auteurs font valoir que �les brutalit�s inflig�es r�guli�rement aux femmes et aux fillettes dans une grande partie du monde� sont �l'un des probl�mes les plus importants des droits de l'homme de ce si�cle�. A l�appui de leur th�se, un premier chiffre frappant qui n�a pas besoin de grand commentaire : chaque ann�e, dans le monde entier, au moins deux millions de fillettes �disparaissent� en raison de leur sexe. Une batterie d�autres statistiques t�moignent des injustices commises � l�endroit des femmes : �Compte tenu de leur faible valeur soci�tale, les filles ne sont pas vaccin�es, elles ne sont pas soign�es quand elles sont malades, elles ne re�oivent pas d'instruction, et souvent elles ne sont m�me pas nourries. Les femmes de 15 � 44 ans sont plus susceptibles d'�tre mutil�es ou tu�es par la violence des hommes que par la guerre, le cancer, le paludisme et les accidents de la route combin�s. Le nombre de femmes mortes du fait de n�gligence et de violence au cours des 50 derni�res ann�es est sup�rieur � celui des hommes qui ont p�ri dans toutes les guerres du XXe si�cle.� Pour stup�fiante qu�elle soit, cette statistique macabre a un co�t �conomique que les auteurs, en bons Am�ricains, ne peuvent ignorer. Kristof et WuDunn reconnaissent la difficult� de venir � bout de pratiques sociales profond�ment enracin�es qui soustendent la discrimination entre les sexes, tout en pr�sentant �galement une s�rie de situations contrast�es qui t�moignent de la r�silience de l'esprit humain. C�est notamment le cas de Mahabouba Muhammad, une jeune Ethiopienne qui a �t� vendue comme deuxi�me femme � un �poux �g� de 60 ans et qui a subi des blessures terribles quand elle a essay� de mettre au monde son b�b� toute seule dans la brousse. Cette histoire est celle d�une femme brutalis�e par une culture misogyne, mais dont la volont� de survivre conduit � plus grand progr�s de la soci�t�. En effet, apr�s sa blessure, les villageois l'ont enferm�e dans une cabane ouverte hors de la ville pour y �tre d�vor�e par les hy�nes. Elle se tra�na � l'h�pital o� des m�decins l�ont soign�e et o� elle a appris � lire et � �crire. Elle y travaille aujourd'hui comme aide-infirmi�re et soigne les nouvelles patientes qui souffrent des m�mes traumatismes. Au tournant des ann�es 1990, les �conomistes du d�veloppement se sont �chin�s � quantifier les avantages �conomiques de l'autonomisation des femmes qui �tablit, en particulier, que le financement de leur �ducation est un moyen tr�s efficace pour �am�liorer la croissance �conomique et surmonter la pauvret� conjoncturelle �. Les femmes instruites fournissent une meilleure nutrition, des soins de sant�, de l'�ducation � leurs familles, outre qu�elles ont moins d'enfants et affichent un moindre taux de mortalit� maternelle. Sensibles � cet argument �conomique, des organisations majeures de la sph�re institutionnelle d�di�e au d�veloppement (comme la Banque mondiale, la Fondation Bill et Melinda Gates et Care) consacrent d�sormais une part substantielle de leurs immenses ressources � la cause des femmes. De m�me que les organismes de la micro-finance favorisent l�action en direction des femmes non seulement parce qu�elles sont statistiquement plus susceptibles d'�tre pauvres que les hommes, mais aussi parce qu�elles ont tendance � utiliser de fa�on optimale toute augmentation marginale de leurs revenus pour investir dans la nutrition, la sant� et l'�ducation de leur famille. �En 2008, Goldman Sachs a lanc� l'une des initiatives les plus ambitieuses du secteur priv� : un engagement de 100 millions de dollars pour 10 000 femmes dans des �conomies �mergentes comme l'Inde et le Nigeria, avec une formation commerciale. L'entreprise n'est pas motiv�e par l'altruisme : quand le P-dg de Goldman, Lloyd Blankfein, parle du programme, il ne manque jamais de mentionner que les recherches effectu�es par l'entreprise ont montr� que l'�ducation des femmes rapporte davantage en termes de main-d��uvre, une productivit� plus �lev�e et des retours sur investissement plus �lev�s. L�orientation des ressources au profit des femmes est donc tout simplement meilleure pour les affaires. Dans le monde, de nombreux gouvernements ont �galement reconnu que l'investissement dans l'avenir des femmes et des filles rel�ve du bon sens �conomique et se sont alors investis pour combler les �carts entre les sexes dans l'�ducation, la sant�, la nutrition et l'opportunit� �conomique. � La Chine semble l�avoir r�alis� mieux que d�autres : il y a un si�cle, les femmes y avaient les pieds band�s, le mariage des enfants et le concubinage �taient courants, et les filles nouvellement n�es �taient r�guli�rement abandonn�es. �Aujourd'hui, les jeunes femmes sont instruites pour alimenter le miracle �conomique chinois en travaillant dans des usines � vocation exportatrice et en �levant une g�n�ration d'enfants chinois qui seront mieux instruits que leurs parents.� Le Rwanda est un autre exemple r�cent de r�ussite dans la voie de la capitalisation du potentiel f�minin. Le g�nocide de 1994 a tu� un nombre disproportionn� d'hommes, laissant une population constitu�e de 70 % de femmes. Son pr�sident, Paul Kagame, a fait adopter une nouvelle Constitution qui r�serve 30 % des si�ges parlementaires aux femmes. Aujourd'hui, le Rwanda est le seul pays au monde o� les femmes repr�sentent une majorit� l�gislative � 55 % dans la chambre basse. Le Rwanda est � par un rapport qui semble �tre de cause � effet � du coup, �galement, l'un des pays les moins corrompus, � plus forte croissance, avec la meilleure gouvernance en Afrique. Les exemples chinois et rwandais montrent que le r�le des femmes peut changer en un laps de temps relativement court. L'exp�rience des grandes puissances �conomiques asiatiques � en particulier le Japon, la Cor�e du Sud et Taiwan � montre, par ailleurs, que d'importants investissements dans l'�ducation peuvent changer les attitudes envers les femmes, �presque aussi vite qu�un traumatisme social de grande envergure�. Le d�fi fondamental est donc culturel. Et le changement doit venir du monde en d�veloppement lui-m�me. Kristof et WuDunn citent une �tude qui a examin� les incidences de la r�ception de la t�l�vision par c�ble sur un village rural en Inde. Les villageoises y ont acc�d� � l'autonomie : elles ont gagn� la possibilit� de quitter la maison sans la permission des hommes et de participer aux d�cisions du m�nage. Les villageois �taient plus enclins � envoyer leurs filles � l'�cole, et moins susceptibles de dire qu'ils pr�f�raient le gar�on � la fille. �Les attitudes ont chang� juste parce que les gens regardaient les feuilletons.� Les Am�ricains ont parfois une facilit� th�orique d�concertante � changer le monde en le ramenant syst�matiquement � sa seule dimension �conomique ou militaire (la contrainte). Qu�il s�agisse de l�Irak ou de l�Afghanistan, la r�alit� semble pourtant leur indiquer toute autre chose. A. B. (*) Isobel Coleman, The Best Half : Helping Women Help the World, Foreign Affairs, 1 January/February 2010. (**) Nicholas D. Kristof et Sheryl Wudunn : Half the Sky: Turning Oppression Into Opportunity for Women Worldwide,paru en 2009 chez Publisher Knopf.