Drôle d'époque que celle qui tend ses bras médiatiques à de mauvais esprits. Le premier d'entre eux a été ambassadeur de France en Algérie et ancien patron de la DGSE. Il se nomme Bernard Bajolet et, pour la promotion d'un nouveau livre, il livre à qui veut l'écouter ses divagations sur ses anciennes relations avec nos autorités. Le second est un polémiste, un amuseur public du nom d'Eric Zemmour. Entre les deux, pas la peine d'être devin ou rechigner à la nuance, leurs frustrations débordent ! Et si, pour le premier, «le travail de mémoire» se limite à des considérations personnelles et, donc, à peu de diplomatie, le second scande, une fois de plus, sa haine crasse de l'autre. Il n'a pas encore réagi aux dernières légions d'honneur attribuées aux harkis, mais ça ne saurait tarder. Il a, par contre, trituré la mémoire de Maurice Audin en le qualifiant de traître ne méritant, de sa part, que 12 balles dans la peau. Au-delà de la polémique stérile, la langue fourchue de cet hurluberlu se noie bien dans la mêlasse identitaire qui secoue son pays vis-à-vis de l'Algérie, vis-à-vis de l'étranger. Et, derrière la dénonciation des prénoms donnés à des «étrangers», telle la Corinne d'origine africaine, c'est l'idée ethnique du corps social en France qui le dérange, lui, le rejeton d'une famille juive d'origine algérienne. Cette idée expulse, en fait, des millions de ses concitoyens, considérés comme des «Français de papier». On peut croire que les passions tristes s'estompent d'elles-mêmes avec le temps, mais avec ce genre d'attiseurs de haine, c'est mal parti. Ils reviennent, sans cesse, plus insidieux, plus prétentieux dans la France d'un Zemmour. Cette France-là est rigidifiée dans la haine de soi. Elle se pâme de grandeur en expulsant les réfugiés, dresse des catégories de franchouillards contre des Français, pas de souche, sortes d'ennemis de l'intérieur. Les démentis les plus éloquents à ces discours identitaires nauséeux se perdent dans la nature. Les sciences sociales, la culture universelle, le vivre-ensemble appellent, pourtant, à un nouveau contrat social. Peine perdue. La banalisation du discours raciste est grande sur, notamment, des plateaux-télé ne cherchant qu'audience et buzz qui va avec. La France des Lumières, celle qui nous a fait aimer la littérature des Kateb Yacine, Albert Camus ou Victor Hugo, s'éteint lentement, inexorablement, par la faute de ces sentinelles nourries de frustrations, de rancœurs, mal camouflées finalement. En écrivant des livres, les Bajolet ou Zemmour espèrent par leurs laïus contribuer à la fameuse, et néanmoins fumeuse, liberté d'expression. Soit, mais l'enfumage sans le nécessaire respect des autres restera un suicide d'un universalisme qui renoncerait à combattre, pied à pied, les entrepreneurs de haine. Leur parole s'ébroue, se cambre, incendiaire et inconséquente de sa propre violence. Elle devrait être honteuse. La honte, ou plutôt l'absence de honte, les fait voyager au gré de leurs frustrations. Et, quand vient la peste, peu importe la couleur qu'elle prend. L'immigration, aux racines des deux rives de la Méditerranée, sait ce que la peste du discours raciste a apporté à la panne de l'ascenseur social. Cette panne perdure malgré une France à plusieurs visages, aujourd'hui. Et vu d'ici, on a, parfois, le sentiment que nos émigrés sont des citoyens de sang-mêlé, des passagers temporaires, un peu clandestins, seulement tolérés au cours d'un voyage qui se poursuivra sans eux. Mais ce voyage, ils ont droit d'y prendre part, de vivre sans devoir faire preuve de zèle «nationaliste» en prenant le prénom d'Alexandre ou Corinne. C'est une souillure, une insulte à la condition humaine telle qu'on la conçoit, au-delà des discours du petit Zemmour. Et, par ces temps de misère identitaire, il est une chose dont on est sûr et certain, c'est qu'un Zineddine Zidane aurait donné un magistral coup de boule mérité à cet attiseur de haine…