Dans cet entretien, le chef d'orchestre et compositeur Mokhtar Boudjelida nous parle de son parcours artistique, de la Star Académie dont il était président de jury et de ses impressions sur la musique en Algérie. Le Temps : Vous avez eu le 1er prix de la musique en Egypte dans la sixième édition de la chanson radiophonique. Quelle est votre impression ? Mokhtar Boudjelida : Effectivement, j'ai eu le 1er prix de la musique, c'était d'ailleurs ma première participation à ce genre de concours. J'ai participé avec un morceau de musique typiquement algérien d'une durée de 7 minutes. J'étais très satisfait de cette récompense, car participer au Caire avec de grands maîtres de la musique venus de plusieurs pays arabes et avoir le 1er prix devant l'Egypte, il y a de quoi être fier. Cependant, lorsque je suis revenu en Algérie, je n'ai pas été encouragé, à part une réception qui a été organisée par M. Azeddine Mihoubi, DG de l'ENRS et le ministre de la Communication. Depuis ce jour, plus rien. Je n'ai pas été encouragé, c'est décevant. Est-ce que vous allez composer d'autres musiques ? Certainement, avec ces jeunes talents de Star Académie. Avec de beaux textes ? Ah ! Oui, moi je ne peux pas composer une musique pour une chanson, si les paroles ne sont pas bien faites. Est-ce que nous avons vraiment des paroliers ? Justement, je peux dire que nous n'avons presque pas de paroliers. La plupart des chansons qui ont eu du succès et ont résisté au temps sont puisées du patrimoine. Je ne sais pas si vous êtes de mon avis que les chansons d'El Hadj M'hamed El Anka ont eu un grand impact sur la société algérienne grâce en grande partie aux textes de grands poètes, tels que Mustapha Ben Brahim, Sidi Lakhdar Ben Khlouf, El Maghraoui. C'est vrai qu'il a apporté beaucoup de choses à la chanson algérienne, mais il avait aussi du talent pour savoir choisir les textes. Il y a aussi Mustapha Toumi qui a écrit des chansons. Si nous avions une dizaine de paroliers comme lui, la chanson algérienne aurait une bonne place dans la musique universelle. Que pensez- vous de ces nouvelles musiques, telles que le rap ? C'est un phénomène social qui est en vogue, je ne pense pas qu'il va résister à l'usure du temps. Les Egyptiens, jusqu'à présent, écoutent Mohamed Abdelwahab. Même le public algérien a un goût musical, il sait apprécier. On doit initier notre jeunesse à la belle musique, mais quand nos jeunes ne trouvent rien, ils vont vers les autres musiques venues d'outre-mer. C'est aussi le rôle de l'école et de la société. A propos de l'école, parlez-nous de votre parcours... J'ai commencé à étudier la musique en 1965 à l'école de musique des Dunes. Pendant une année j'ai appris le solfège puis à jouer au violon. Après, je suis allé étudier à Notre-Dame d'Afrique, puis à Boudouaou et au conservatoire d'Alger, dont le directeur était le défunt Mahieddine Bachtarzi. Nous avons eu comme professeur des Français, des Tchèques, des Turcs et des Russes. J'ai commencé à travailler dans l'orchestre du défunt Boudjemia Merzak et j'ai participé comme violoniste au festival panafricain où l'Algérie a eu la médaille d'or. J'ai suivi ensuite mes études à l'Institut national de musique (INM) et là j'ai décroché un autre diplôme de hautes études d'instruments à cordes. Pendant deux années, j'ai effectué un stage à la Radio algérienne (ex-RTA) sous la direction de Boudjemia Merzak, et c'est à partir de 1972 que j'ai signé mon premier contrat avec la radio. Ensuite de 1972 à 1985, j'ai commencé à travailler comme chef d'orchestre et, bien sûr, j'exerçais en parallèle dans des galas. Dans ce cadre, j'ai effectué plusieurs tournées dans différents pays arabes : Egypte, Syrie, Tunisie, Maroc, Irak… Avez-vous composé des musiques pour des chansons ? Oui, j'ai composé plusieurs musiques pour des chansonnettes, mais aussi pour des opérettes, pour des feuilletons, des documentaires… L'Algérie est mal représentée dans les festivals internationaux, qu'en pensez-vous ? C'est vrai, dans les années 1970 l'Algérie avait une bonne place dans le concert des nations, ce n'est plus le cas aujourd'hui. Où se situe le problème à votre avis ? Je ne sais pas. C'est peut-être le problème de formation. Il n'y a pas aussi une politique culturelle. C'est pour cette raison que nos voisins marocains et tunisiens nous devancent dans le domaine, parce qu'ils ont des conservatoires et assurent des formations musicales solides, ils ont la relève. Tandis que chez nous, il n'y a pas beaucoup de débouchés pour les musiciens, à part la radio et la télévision. Ailleurs, le théâtre, le cinéma et les spectacles offrent de l'emploi aux musiciens. Vous avez été membre de jury à la Star Académie, version algérienne, quelle est votre impression ? J'étais président de jury et c'est une très bonne initiative de l'ENTV, car cette action nous a permis de découvrir de jeunes talents qui pourront assurer la relève. Ces jeunes ont été bien encadrés, et après deux mois de travail nous espérons que ces efforts porteront leurs fruits. D'après vous, à combien estimez-vous le nombre de ces jeunes ? Je pense que sur les 19 finalistes, 10 d'entre eux, s'ils travaillent sérieusement, atteindront leur objectif, qui est celui d'être de véritables artistes. Moi, je suis confiant en l'avenir de ces jeunes. Que faut-il à votre avis pour développer la musique en Algérie ? Le public est une victime en quelque sorte. Il n'a pas beaucoup le choix. Il faut avant tout une bonne formation. Actuellement, nous sommes en manque de musiciens, il faut aussi de bons enregistrements, et puis une bonne composition, une bonne interprétation et des textes respectables. Entretien réalisé par Belkacem Rouache