Tôt dans la matinée d´hier, le Premier ministre Mariano Rajoy avait convoqué d´urgence la presse pour «une information institutionnelle», selon les termes du communiqué de la Moncloa, siège de la présidence du gouvernement. Les journalistes pensaient à un léger remaniement ministériel à la suite des mauvais résultats du Parti populaire aux élections européennes du 26 mai. La surprise a été générale, bien que l'abdication fut dans l'air depuis des mois. «Je vous annonce que la décision du roi Juan Carlos d'abdiquer au profit du prince des Asturies Don Felipe qui est, aujourd'hui, le roi d'Espagne». Le prince héritier sera nommé par le Parlement national à la tête de la Couronne d'Espagne. Le roi Juan Carlos devait s'adresser, le même jour, aux Espagnols pour leur expliquer sa décision. Le roi Juan Carlos a donc abdiqué, après 39 ans de règne. Le président Mariano Rajoy lui a rendu un vibrant hommage pour le rôle qu'il a joué dans le succès de la transition après la mort du général Franco, et la stabilité institutionnelle du pays. Bien qu'il ne gouverne pas, le roi Juan Carlos a joué un rôle de premier plan dans la vie économique de son pays. Il a déployé des efforts considérables en matière de diplomatie économique malgré la nette dégradation de son état de santé à la suite de la douzaine d'interventions chirurgicales à laquelle il a été soumis en un peu plus de deux ans. En cette période de crise économique, il a effectué déplacements sur déplacements à l'étranger. Depuis la mi-avril, il a engagé une série de périples fructueux dans les pays du Golfe arabe à la recherche de contrats d'affaires pour les grandes entreprises espagnoles. Son admission en avril 2012 en urgence dans un hôpital de Madrid à la suite d'une fracture de la hanche qu'il a contractée au cours d'une partie de chasse au Botswana, a semé les doutes sur son aptitude à continuer de régner. Les Espagnols ont été choqués d'apprendre que le Roi s'offrait des séjours d'agrément à un moment où eux vivaient une grave situation d'austérité, due aux coupes financières draconiennes introduites dans les budgets des ministères de la Santé ou de l'Education, et alors que le gouvernement est allé puiser jusque dans les petites bourses l'argent qui lui manquait pour équilibrer son budget, comme l'exige le Pacte de stabilité européen. Ce séjour a été entièrement financé par le magnat Mohamed Eyad Kayali, un milliardaire saoudien d'origine syrienne possédant la nationalité espagnole. C'est grâce à ses relations particulières avec ce bras droit du ministre saoudien de la Défense, le Prince Salman, que Juan Carlos a arraché, en 2011, le contrat du mégaprojet de la ligne TGV reliant la Mecque à Médine, pour une valeur de 6,7 milliards d'euros, malgré une forte concurrence française et allemande. Mais rien n'atténuera le choc subi par les Espagnols. Pour ce séjour privé au Botswana, et sous la pression de l'opinion publique, le roi Juan Carlos a dû présenter ses excuses au peuple espagnol. C'était une première dans l'histoire de la Couronne d'Espagne. C'est toutefois une affaire de corruption dans laquelle sont impliqués des membres de la famille royale qui va mettre en débat son abdication. Le juge José Castro du tribunal de Palma avait décidé, en 2013, d'entendre la princesse Cristina, fille cadette du roi Juan Carlos, dans l'affaire de malversations financières et d'utilisation frauduleuse de deniers publics, dans laquelle est impliqué son mari, Iñaki Urdangarin. Cet ancien capitaine de l'équipe nationale de handball championne du monde, avait été élevé au rang de Duc de Palma depuis qu'il fait partie de la famille royale. Iñaki Urdangarin est soupçonné d'avoir utilisé ses liens familiaux avec le roi pour négocier d'obscurs contrats financiers et des délits de corruption.