Que pouvait bien faire un «non footeux» algérien hier ? Eh bien, angoisser comme tous les footeux. Salah est ce qu'on pourrait appeler un extraterrestre même si on ne croit pas à «ces être étranges venus d'une autre planète, leur destination la Terre, leur but en faire leur univers…» A la différence des envahisseurs de la célèbre série télévisée, il n'y a pas un seul David Vincent qui a vu Salah mais toute l'humanité qui partage son espace vital ainsi que sa proche et lointaine périphérie. Ils sont plus nombreux à le voir, à le railler, voire à le persécuter mais hier, personne ne pouvait le «calculer». C'est qu'ils ont trop à faire, les footeux. Salah, un passionné de littérature, s'est rappelé alors cette succulente anecdote racontée par le géant des planches et de l'écran, Sid Ahmed Agoumi. Cela s'est passé lors d'un voyage que ce dernier allait faire en compagnie du célèbre écrivain Malek Haddad. Sid Ahmed avait remarqué que le policier préposé aux formalités riait à gorge déployée en tenant à la main la fiche que venait de remplir Malek Haddad. En cherchant à savoir ce qui pouvait le faire rire à ce point, le policier apprend à Malek Haddad qu'à la case «profession», il avait mis «Algérienne», confondant sans doute avec l'espace réservé à la nationalité du voyageur. C'est alors que Malek Haddad a eu cette réplique de génie, restée dans l'histoire. S'adressant au policier, il lui dit avec tout le sérieux des fins humoristes : «Mais c'est un… travail que d'être algérien, mon frère !» C'est donc du «boulot» que d'attendre le premier match de foot de l'Algérie en Coupe du monde. Et dans ce cas précis, c'est sérieux. Contrairement à Malek Haddad qui disait ça pour rire même s'il y a quelque part une part de vérité, tout était vrai hier, pour les footeux. Comme d'habitude, ils s'y sont mis avec tout l'enthousiasme et toute la fébrilité des grands jours. Salah en a rigolé presque autant que le jour où quelqu'un lui avait raconté l'histoire d'aéroport de Malek Haddad, mais il s'est mis inexplicablement à stresser comme tout le monde. Peut-être pas pour les mêmes raisons, mais n'est-ce pas que tout est finalement lié ? Que pouvait faire Salah par un mardi de footeux ? Il aurait pu en profiter pourtant. Pour une randonnée solitaire à l'air libre, ne pas aller au boulot parce que personne ne lui demandera pourquoi dans l'euphorie de la victoire ou la gueule de bois de la défaite. Rouler pendant quelques heures en ayant l'autoroute à lui tout seul. Aller à la plage et se permettre une baignade en tenue d'Adam. S'enfermer avec sa mère pas plus footeuse que lui pour une longue discussion dont elle rêve depuis longtemps. S'enfermer tout seul et relire «Le quai aux fleurs ne répond plus» de Malek Haddad. Inviter sa femme au restaurant. Faire un aller retour Alger-Jijel, «juste comme ça», même pas pour le plaisir de le faire… Avant que les idées ne continuent à affluer vers sa tête, Salah s'est dit que c'est finalement plus stressant que de ne pas attendre le match. Alors, il l'a attendu. Même si, au moment de sa décision - ou de sa résignation - il ne savait pas encore s'il allait le voir ? [email protected]