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L'incroyable stratagème de Shahrazade
MALEK CHEBEL ET CLAUDE DURAND RACONTENT LES MILLE ET UNE NUITS
Publié dans L'Expression le 24 - 10 - 2012

on entre dans ce livre comme on entre en amour, avec la fidélité de l'amant jaloux et la crédulité d'un peuple simple et souriant et, avec au bout, une leçon de vie surtout!
«Malek Chebel et Claude Durand racontent les Mille et Une Nuits» (*), voilà, à mon sens, un titre d'ouvrage peu courant mais conçu fort à propos pour une édition spéciale de contes historiques et populaires. Et d'autant que ce couple d'auteurs, bien formés pour une telle collaboration, se proposent, d'une part de nous raconter ces contes, à leur façon et dans une traduction qui leur est personnelle, d'autre part d'aborder seulement une partie spécifique du volumineux corpus de cette littérature qui, dès sa parution, s'est même différenciée des plus prestigieuses miscellanées de l'époque d'il y a plus de mil ans.
La trame des Mille et Une Nuits historiques est connue, en voici un bref récit courant: «Le sultan Shahriyar déçu par l'infidélité de son épouse, la condamne à mort. Persuadé de la perfidie de toutes les femmes, il épouse chaque jour une vierge qu'il fait tuer au matin de la nuit de noces pour se venger. Shahrazade, fille aînée du Grand Vizir, se porte alors volontaire pour faire cesser le massacre, et met au point un stratagème. Après son mariage, le soir venu, elle raconte une histoire captivante au sultan sans la terminer. Son époux veut alors tellement connaître la suite qu'il lui laisse la vie sauve pour une journée de plus. Ce stratagème dura pendant mille et une nuits au bout desquelles, Shahrazade, ayant mis au monde deux jumeaux, le sultan abandonna sa résolution et décida de la garder.» Depuis lors, on connaît les récits anciens et les récits ajoutés, parmi lesquels ceux que nous racontent Chebel et Durand: Dialogue de l'âne et du boeuf, le Génie faucheur de vie, Histoire de Sindbad le Marin, Badoure et Qamar az-Zaman, Aveugle et jaloux, Histoire d'Ali Baba et des quarante voleurs, Histoire de Djeha, Lorsque le savoir est prière.
Fidélité à l'âme des contes
Cette spécificité est caractérisée par la qualité des deux auteurs et de leur objectif «donner l'envie au lecteur d'aller voir de plus près l'énorme corpus dans ses traductions anciennes et modernes.» Sachant que Malek Chebel, né en 1953 à Skikda (Algérie), est psychanalyste, anthropologue, essayiste, auteur d'un «Dictionnaire amoureux des Mille et Une Nuits» et de nombreux ouvrages sur l'Islâm et l'Occident et sur l'islâm et la modernité politique, et que Claude Durand, né en 1938 à Livry-Gargan (France), est écrivain («La Nuit zoologique», 1979), traducteur et éditeur jusqu'en 2009, le choix de «raconter» Les Mille et Une Nuits est compréhensible et fait tout naturellement. Au reste, chacun d'eux s'en explique dans l'«Avant-propos à deux voix» de leur ouvrage commun.
Malek Chebel commente: «Réécrire les contes des Mille et Une Nuits peut paraître l'enfance de l'art à ceux qui n'en imaginent pas la complexité, les enchâssements successifs, la progression en poupées russes, l'infinité de détails dont la vertu principale est de charmer littéralement l'auditeur, de l'ensorceler [...]. Aussi, lorsque Béchir Ben Yahmed [fondateur de Jeune Afrique] me demanda si l'idée me paraissait réalisable, notamment en m'adjoignant Claude Durand [...]. Je lui donnai tout de suite mon acquiescement. Mais je ne savais trop à quoi je m'engageais: j'ai passé une année entière à relire l'ensemble de façon à isoler les contes principaux des contes secondaires, à suivre les fils inextricables de récits qui m'entraînaient loin à comparer les versions d'Antoine Galland et de Joseph-Charles Mardrus, et, dans une certaine mesure, à remonter jusqu'à la souche arabe. Là-dessus, il a fallu composer des phrases qui ne relèvent pas du simple travestissement ou de la parodie, trouver des enchaînements cohérents, et surtout contracter les conclusions afin de les rendre publiables dans un format donné.» Par parenthèse, pardonnez-moi, de dire ici combien je comprends les préoccupations de Malek Chebel. J'ai eu, dans les années 70, à connaître à peu près cette vérité d'expérience, lorsque je me suis engagé à concevoir une série de plus de trois cents émissions radiophoniques à la Chaîne 3 de la Radio Algérienne, sous le titre Le Temps d'un conte des Mille et Une Nuits, toutes réalisées par Djamel Benhabylès et avec les voix de comédiens célèbres comme Allel El Mouhib, Sid Ahmed Agoumi, Leïla, Lynda, Rachid Bouhachi, Hadj Smaïn, ou Namoune Madani,... J'en mesure donc l'intensité des diverses exigences des scrupules derrière lesquels Malek Chebel et Claude Durand se sont rangés pour ne pas tomber dans la facilité et traduire le mot à mot, sans sélection, c'est-à-dire, à la fois la trivialité gratuite et la préciosité insolente, la prédication souveraine et la vulgarité dominante. Or, le premier mouvement, que ce couple d'auteurs a eu, est d'être, avec raison, fidèle à l'âme et à la respiration de tout ce qui vit dans les contes des Mille et Une Nuits.
Aussi, la gloire des «Mille et Une Nuits» est-elle là, complètement. L'histoire de la littérature arabe (et même mondiale devrais-je même dire) n'a pas manqué de rappeler tout particulièrement le souvenir vivace de l'existence des contes des Mille et Une Nuits et, grâce à l'audace de leur charme et à l'éternelle fraîcheur de leur propos, leur rayonnement socioculturel dont avaient pu s'inspirer les grandes civilisations, notamment d'Occident. Effectivement, les contes, spécialement les contes merveilleux, se sont présentés comme un ensemble de plusieurs thèmes mettant en situation des vies de personnages (des humains et des animaux et des oiseaux qui parlent), se combinant, se juxtaposant ou se détachant pour créer des héros différents de l'humanité commune et évoluant dans un décor fantastique.
Chebel tout comme Gide
Dans cette conception du conte, tout est permis et l'imaginaire ne se refuse aucun dépassement: la plus raisonnable jouissance du narrateur est traditionnellement de forcer les portes de l'impossible et de renforcer les traits physiques et les caractères moraux qui concrétisent la légende. Les contes des Mille et Une Nuits, qui - on le sait - ont été constitués de thèmes indiens, parvenus aux Arabes par l'intermédiaire des Persans, ont été longtemps fusionnés par une oralité vagabonde puis recueillis par écrit au XIIIe s. Leur origine pourrait, dit-on, remonter jusqu'à l'Inde du IIIe siècle. Ils furent enfin connus en Europe, où le goût de l'exotisme et de l'érotisme se faisait jour au XVIIIe siècle, grâce à une traduction française d'Antoine Galland de 1704 à 1747. De 1889 à 1904, est parue une traduction des Mille et Une Nuits en seize volumes par le Dr Joseph-Charles Mardrus et au sujet de laquelle - tandis que Marcel Proust dans À la recherche du temps perdu, confie s'être tenu plutôt à la traduction de Galland qu'à celle de Mardrus -, son ami André Gide a pu écrire dans Prétextes, 1947: «Le récit est la voix même du peuple. [...] Que m'importe dès lors que le conte ici parfois traîne, qu'une souplesse manque à ce contour, que parfois tel sanglot soit trop bref; que tel rire paraisse un peu rauque; il ne s'agit plus de la Grèce et de sa souriante eurythmie, de Rome et de sévérité latine; c'est une autre race qui parle; il faut la prendre telle. [...] J'eus la chance d'entrer nu dans ce livre: je veux dire que c'est, je crois, avec la Bible, le premier livre que j'ai lu. Contes charmants. [...] À présent, je m'y vêts à l'arabe. J'oublie passé, futur, lois, religion, morale et littérature, et contrainte; j'emplis de moi la minute présente, et, comme je fais en voyage, j'ai soin surtout de ne pas me faire remarquer. [...] Ici, - non plus comme en Bible, - aucune menace divine n'y contrefait l'homme à plaisir. Ici, l'instinct seul, charmant ou vil, propose ce qu'Allah favorise ou non.» Et fustigeant ceux qui exigeaient du traducteur une meilleure langue française, il clame sa colère: «D'après eux, il aurait fallu, sous prétexte qu'un vocable «courait», enlever à la langue arabe toute sa spéciale saveur. Il est certain que chaque langue est farcie de métaphores si «courantes» qu'on n'en peut rattraper le premier sens; l'image sous le mot se recule, s'éteint enfin complètement.»
Je peux maintenant ajouter à la traduction de Chebel et Durand ce que Gide avait signalé en son temps à propos de ce que la traduction de Galland a laissé à celle de Mardrus: «... sa fleur, toute son authentique saveur et comme sa virginité.» Le lecteur de la traduction, fortement fouillée, de Malek Chebel le remettra devant son bien, l'héritage de la langue, proche de l'arabe d'Orient, proche du dialectal algérien. En effet, ici la traduction française, travaillée et saisie comme communication - si j'ose dire - toute spécialement fonctionnelle s'évertue à assurer la compréhension mutuelle de l'arabe et du français. La qualité de cette traduction est certifiée, d'une part par la double connaissance parfaite de la langue arabe et de la langue française par Chebel, d'autre part par l'expérience d'une technique de la traduction acquise par le tandem Chebel-Durand; les traits pertinents de l'original arabe sont formellement identifiés, explicités, actualisés et introduits dans la langue de la communication nouvelle. Le sujet et le verbe de l'original revivent dans l'actualité du texte traduit.
Nous entrons dans le livre des contes choisis des Mille et Une Nuits, racontés par Chebel et Durand, tout curieux d'en connaître, tout soumis à leurs admirables extravagances, tout heureux devant mille et un spectacles inimaginables autrement, tout ravis de jouir des interdits qui ne sont pas sans charme toujours ni de bon sens aussi. Les histoires scabreuses et les comportements répréhensibles, le culte du luxe et le culte de Bacchus, précipitent à l'aventure. La passion, quelle que soit son apparence, quel que soit son pays d'origine, est dépeinte pour surprendre, pour donner l'envie de goûter aux saveurs d'un voyage vers un monde merveilleux où s'entremêlent des fortunes contrariées, des drames, des morts, des vivants, des fêtes et des deuils, et pourtant le tout est totale imagination populaire! Autrement dit: il n'st pas nécessaire d'être un savant pour posséder un talent poétique...
Respectant la structure de la pensée véhiculée dans les contes des Mille et Une Nuits, restituant le rythme de la narration des aventures et fidèle à l'objet des récits, Malek Chebel et Claude Durand racontent à leurs lecteurs, dans une traduction savamment entreprise, l'un des chefs-d'oeuvre, parmi les plus appréciés dans le monde, de la littérature populaire orientale.
(*) Malek Chebel et Claude Durand racontent les Mille et Une Nuits, Idées du Monde, Nouveau Monde éditions, Paris, 2012, 308 pages.


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