Madame l'Afrique de l'écrivain camerounais Eugène Ebodé, édité chez APIC, est un récit truculent, cocasse mais aussi tendre, triste et dramatique. C'est l'histoire de Stéphane, un médecin métis parisien, qui se remémore son enfance douloureuse et déchirante malgré des embellies. Il fait un bond dans sa mémoire pour narrer les turpitudes et les frasques de son père, de ses souvenances heureuses et de ses réminiscences tristes. Il tente de faire un portrait haut en couleur de ce paternel fort libertaire qui a délaissé femme et enfants pour une femme blanche, blonde, qui a comme passion l'Afrique et ses légendes. Au fil du récit, l'enfant se rappelle ses souvenirs de vacances, le divorce de ses parents, leurs disputes et les moments heureux chez les grands-parents. Sans l'ombre de cette rivale, Stéphane comme sa sœur et son frère assistent impuissants à ce coup du sort qui les laisse orphelins de leur père. Cet homme aux idées libertines qui aime éperdument les femmes a marqué leur enfance par ses multiples absences. Tapis dans leurs chambres, ils entendent parler de cette africaine qui a séduit leur père. C'est par hasard qu'ils comprennent qu'elle est des Cévennes, une région de France rude, à l'image de cette femme qui n'accepte aucun écart de la part de cet homme et qui finit par le quitter. L'univers des pieds-noirs D'une écriture alerte pleine de vigueur et d'intensité, l'auteur restitue par le biais de sa mémoire ce père si aimé et adulé qui était un personnage pittoresque hors du commun. Eugène Ebodé rapporte toute la démesure de ces situations parfois cocasses et souvent insoutenables où enfants impuissants, ces personnages assistent à une véritable tragédie familiale. s'accommodant de ses absences et de ses frasques, ils font abstraction de son penchant pour les femmes. L'auteur appréhende un thème d'une grande acuité avec un regard badin et mordant tout en se gaussant de son héros central. Loin de tomber dans le drame, cette narration donne des fous rires mais aussi renvoie à l'irresponsabilité des parents, à l'adultère et au divorce, qui font partie des choses de la vie. Dans certains chapitres, l'écrivain fait une incursion dans l'univers des pieds-noirs et leur nostalgie d'une Algérie taillée selon leurs désirs. Cet ouvrage Madame l'Afrique, bien documenté, avec le souci du détail, ne lasse pas : bien au contraire, il apporte une note de fraîcheur et d'espoir dans cet univers tragique.