Le Maroc gronde de colère. La mort, dans des circonstances abominables, du jeune poissonnier Mohcine Fikri a provoqué une véritable onde de choc qui s'est très vite transformée en une contestation généralisée. Forcément, l'épisode Bouazizi, en Tunisie, de 2011, revient dans tous les esprits. Le même scénario est-il envisageable au Maroc ? Eléments de réponse avec Omar Benjelloun, avocat et acteur politique marocain. Le Temps d'Algérie : Comment expliquez-vous la propagation de la protestation dans plusieurs régions marocaines suite à la mort, dans des circonstances effroyables, de Mohcine Fikri ? Omar Benjelloun : Comme dans tout pays du Maghreb, il y a une sensibilité aiguë vis-à-vis de la «hogra», ce qui interpelle la culture administrative qui régit le rapport entre autorité et citoyen. Le meurtre du poissonnier d'Al Hoceïma a cristallisé la conscience collective autour de la solidarité avec le jeune vendeur, pour dénoncer une méfiance sinon une défiance ancienne de l'Etat. Aussi, la région du Rif est très politisée et est en dehors de l'influence islamiste. Sa capacité de mobilisation a toujours été forte dans l'histoire du royaume. La colère est-elle encore perceptible ? Le Maroc n'a pas connu une telle mobilisation depuis les événements de 2011. Des milliers de manifestants dans 40 villes. Cette colère est aussi la résultante d'un quinquennat islamiste sans influence sur l'avancement de la démocratie, malgré la nouvelle Constitution de 2011. Le meurtre du poissonnier est certainement un alibi fédérateur pour dénoncer cette réalité. On pense forcément à la mort de Bouazizi, en 2011, en Tunisie, avec tous les événements qui ont suivi. Pensez-vous qu'un tel scénario peut se produire au Maroc ? Ce n'est pas le même environnement. Le Maroc est une monarchie où le roi vient de dénoncer lui-même les travers de l'administration et son rapport au citoyen, lors de la dernière ouverture du Parlement. Le peuple fait parfois appel à la monarchie exécutive, contrairement aux intellectuels qui revendiquent sa forme parlementaire. C'est aussi un pays qui vient de vivre un moment politique fort, en 2011, qui aboutit d'une part à un avancement constitutionnel et d'autre part, à l'avènement d'un gouvernement islamiste qui a retardé l'exécution de ladite Constitution. Il y a aussi un autre enseignement à tirer de ces manifestations : un autre peuple non inféodé à l'islamisme politique existe et est capable d'un comportement civique exemplaire. Le scénario tunisien est inenvisageable, mais le scénario marocain de 2011 oui. Comment le gouvernement marocain a-t-il réagi jusqu'ici ? Réussira-t-il à ramener le calme en jouant la carte de l'apaisement ? Le gouvernement n'a aucun pouvoir au Maroc, pour preuve que les ordres d'intervention sur les lieux du crime ont été donnés par le roi depuis l'Afrique orientale de l'aveu-même du ministre de l'Intérieur. Pendant ce temps, le président du gouvernement somme ses partisans islamistes à boycotter la solidarité populaire envers le poissonnier d'Al Hoceïma. Le Maroc est encore une fois une monarchie qui commande par l'injonction et l'influence. Il y a même une demande dans ce sens parmi de larges franges de la population, même si les textes peuvent évoluer dans un autre sens. Par exemple, durant les événements de 2011, le discours du roi annonçant la réforme constitutionnelle avait amené un calme relatif, aussi, lors, de son intronisation, la réconciliation territoriale avec le Rif a abouti à une forme de stabilité par le développement et non l'autoritarisme. Le gouvernement est, au contraire, une partie du problème non de la solution.