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Djallil Lounnas, professeur de relations internationales, au Temps d'Algérie : «L'accord de Paris sur la Libye a repris l'esprit de l'initiative d'Alger»
Professeur et chercheur en relations internationales, Djallil Lounnas s'est intéressé au cas de la Libye depuis l'éclatement de la révolte populaire, à la chute de l'ancien dictateur, en passant par les démarches d'Alger visant un règlement pacifique de la crise à l'accord de Paris, signé le 25 juillet par les deux puissantes organisations en présence en Libye, à savoir le chef du Gouvernement d'union nationale libyenne Fayez al-Sarraj, et le maréchal Khalifa Haftar, chef de l'Armée nationale libyenne. Le chef du gouvernement d'union nationale libyenne Fayez al-Sarraj, et le maréchal Khalifa Haftar, chef de l'Armée nationale libyennes, se sont rencontrés ce 25 juillet à Paris, en présence du président français Emmanuel Macron. Que vous inspire cette rencontre ? Cette rencontre est positive pour la suite des évènements en Libye. Elle intervient après celle qui a eu lieu à Abou Dhabi en mai et est l'aboutissement de longues tractations difficiles au cours des dernières années pour restaurer la paix. Le gouvernement de Tripoli issu des accords sous l'égide de l'ONU et celui de Tobrouk dont Khalifa Haftar est l'homme fort représentent les deux principaux antagonistes en Libye. Un accord entre eux devrait donc amorcer un véritable processus de reconstruction de ce pays en proie à la guerre depuis 2011. Il prévoit un partage du pouvoir, une transition rapide et des élections d'ici un an et l'arrêt des combats. Cela devrait donc permettre à la Libye de retrouver progressivement sa stabilité. Les deux responsables se sont mis d'accord sur un cessez-le-feu et sur la tenue d'élections présidentielles et parlementaires dès que possible. Cet accord peut-il permettre à la Libye de retrouver la paix perdue ? En théorie, cet accord et par ce cessez-le-feu ouvre la voie vers une réconciliation. Encore une fois, les principales factions se sont accordées sur 10 points, dont ces élections. Maintenant, il faut être très prudent. Il y a eu des accords et des élections par le passé et ils n'ont pas été respectés. Les deux factions sont très puissantes et je pense notamment à Haftar et à son armée qui contrôlent les champs pétroliers du croissant fertile et sont relativement bien armés. Même chose pour le Gouvernement de Tripoli. Ils n'ont pas grand-chose en commun ; le gouvernement de Tripoli étant issu essentiellement de Fajr Libya avec les frères musulmans et Haftar a bâti toute sa légitimité depuis 2014 à les combattre. Ils ont tous de puissants alliés qui les soutiennent. Il faut donc être prudent mais c'est un signal fort. Il reste à espérer qu'ils tiennent leurs engagements. Quelles seront les implications de cet accord sur la situation sécuritaire et politique dans le pays ? D'un point de vue sécuritaire, cet accord prévoit le démantèlement des milices et leur remplacement par une armée nationale ouvrant la voie vers le retour progressif à la sécurité. Ce processus doit être toutefois accompagné par la communauté internationale. Créer des services de sécurité à partir de milices qui se sont combattues n'est pas facile : il faudra un accompagnement notamment en termes de formation et d'équipement. C'est très important. Au-delà, l'accord a également un point qui est intéressant de ce point de vue : le cessez-le-feu ne concerne pas les organisations terroristes. C'est là le point le plus important pour les pays occidentaux et voisins de la Libye : les organisation telles que l'EI et les affiliés d'Al Qaida comme Jamaat Ansar el islam (coalition d'AQMI-Ansar Al Dine-Al mourabitoune) qui avaient des bases arrière en Libye et notamment Belmokhtar, doivent donc être combattues et ne pourront plus jouir de l'impunité du fait de l'instabilité en Libye. Celle-ci ne sera plus désormais une base arrière, «un marché d'armes à ciel ouvert», comme elle est souvent décrite. Rappelons ici que Daech a été défait en Libye, notamment à Syrte, mais que ses troupes se sont repliées dans le sud, notamment à Bani Walid. Une jonction avec l'Etat islamique dans le Grand Sahara ( EIGS, branche de l'EI dans le Sahel) serait possible. Pour l'instant, l'EIGS est trop faible, mais cela pourrait la renforcer. Des rumeurs parlent aussi d'appel à l'union entre l'EI et la Jamaa Ansar Al Islam. Ce que personne ne veut et surtout pas la France qui cherche par tous les moyens à se désengager du Sahel, notamment avec le G5 Sahel. Donc encore une fois, la stabilisation de la Libye, l'engagement de lutter contre les organisations terroristes dans le cadre de l'accord de Paris vont dans ce sens, surtout pour le Président Macron. En invitant les deux dirigeants à Paris, ne pensez-vous pas que Paris a court-circuité les efforts d'Alger pour un règlement pacifique de la crise libyenne ? En théorie, oui. Alger a effectivement effectué plusieurs médiations et tentatives de régler la crise. Le forcing de Paris donne à première vue cette impression. Mais une analyse plus fine permet malgré tout de nuancer ce jugement. Si on observe les développements depuis le mois de mai et le début du forcing de Paris, il y a eu beaucoup de consultations avec Alger, et notamment la récente visite de Le Drian en juin. Egalement, l'accord reprend en partie les demandes d'Alger, à savoir un accord incluant toutes les composantes afin de former un gouvernement légitime, même si Alger n'avait pas «d'atomes crochus avec Haftar», elle est contre l'intervention militaire étrangère et pour la formation d'une armée nationale qui permettrait d'isoler les groupes terroriste qui seraient combattus ensuite par les troupes libyennes elles-mêmes. On peut voir que cela ressemble grandement aux accords de Paris. Egalement, ces accords de Paris n'auraient pas pu avoir lieu sans les années de médiation faites par les autres pays, dont l'Algérie, qui ont permis de rapprocher les points de vue, et in fine d'arriver à cet accord. Paris est l'aboutissement de plusieurs années de tractations et encore une fois, une première rencontre fondamentale avait eu lieu à Abou Dhabi en mai, ouvrant la voie à ce qui vient de se passer. Donc je pense qu'il faut remettre les choses en perceptive. Bien sûr, l'absence de l'Algérie à la cérémonie est perçue négativement, mais je note aussi que l'Egypte n'y était pas non plus, comme beaucoup d'autres acteurs de la crise qui jouent les médiateurs. Mais sur le fond, je suis plus nuancé. En quoi réside la différence entre la démarche de Paris et celle d'Alger ? L'accord de Paris doit être vu dans le cadre d'une restructuration de la présence française dans la région. Paris et le président Macron ont lancé le G5 qui fait l'objet de toutes les attentions afin d'alléger la présence française dans la région. Or le G5 est mal perçu par Alger qui n'y est pas favorable. Un des problèmes était et est la Libye. Les groupes terroristes y avaient des bases arrière, etc. En réglant ou en espérant régler la situation en Libye, Paris renforce le G5 et donc son influence. Sur l'accord lui-même de Paris, les différences sont limitées, encore une fois, et tels que présentés, les principaux points demandés par l'Algérie sont pris en compte. Il semble que c'est plus l'absence d'Alger à cette cérémonie qui pose problème. Je doute qu'en coulisse, Alger n'a pas joué un rôle. Au-delà, il est trop tôt pour en tirer des conclusions définitives. Il faut voir comment les choses vont évoluer.