Voilà deux individus qui font un chahut à cause d'une dette de quinze millions de centimes. Et le chahut à cause du fric mène à tout. Il mène même jusqu'à la barre. Et à Bir Mourad Raïs (cour d'Alger), il ne fait jamais bon d'être un inculpé face à Saloua Makhloufi, cette redoutable juge qui demeure une valeur sûre de notre justice souvent décriée et montrée du doigt. Mihoub est un inculpé de menaces. Saïd, la victime, dramatise jusqu'au moment où l'inculpé parlera d'une poursuite avec une arme blanche à la main. A un moment donné, on ne savait plus qui était la victime et qui était l'inculpé, sauf la présidente qui avait sous les yeux le procès-verbal de la sûreté de daïra sise à la Colonne Voirol... L'inculpé de menaces déclare depuis le box que c'est plutôt la victime, Abdelouahed, qui a couru derrière lui. «C'est moi qui avais alerté la police. Je ne comprends pas ce que je fais ici en détention préventive. Ce n'est pas juste...» Saloua Makhloufi, la présidente de la section correctionnelle du tribunal de Bir Mourad Raïs, joue la sérénité et prenant le dialogue sans tolérer les écarts. Elle a un rude dossier qui tourne autour de l'article 284 du code pénal, un article puisé de l'ordonnance n°75-47 du 17 juin 1975 et qui prévoit une peine d'emprisonnement de deux ans à dix ans et d'une amende de cinq cents à cinquante mille dinars. Or, en l'espèce, cette histoire est beaucoup plus des palabres échangés dehors... Maître Tahraoui prend acte de l'an de prison ferme requis par Abderahim Regad, le procureur de l'audience, et parle de deux versions, où l'arme blanche est la «star». «Qui fuyait devant l'autre ? Moi je dis sans ambages : c'est le détenu. La preuve ? Sur le procès-verbal, la victime a déclaré qu'il l'avait poursuivie, un couteau à la main, et que l'adversaire s'était réfugié dans une supérette. Non, madame la présidente, quelqu'un armé d'un couteau ne fuit pas.» Il poursuit qu'en l'état il y a une victime, et pas celle que l'on croit. Balayant des yeux les pages du procès-verbal d'audition, Makhloufi va poser de bonnes questions dont les réponses semblent calmer les deux antagonistes et surtout, à un moment, les accusations réciproques. - «Et au fait, c'est quoi cette triste histoire ? Elle est née après que l'inculpé eut réclamé quinze millions de centimes. Et dans notre société, quelqu'un qui demande son dû devient ‘'l'ennemi'' à abattre. C'est intolérable, c'est insupportable, c'est même révoltant que deux gars en viennent aux menaces, à l'usage d'une arme blanche, même si le couteau n'a jamais été utilisé, il a quand même été brandi.» Ces propos étaient puisés du procès-verbal du magistrat instructeur, et Saloua Makhloufi n'aime pas sortir d'un dossier balisé. Ce qu'elle adore par-dessus tout, c'est que les parties en présence ne tentent pas de gêner l'audience, de tenter des dribbles inutiles et donc de faire obstruction à la justice. C'est pourquoi, même si dans cette affaire est émotionnelle, elle est allée vite et a réussi à couper court aux palabres qui avaient disparu une fois les débats lancés sur les chapeaux de roues. Qui a fait quoi ? Qui a menacé qui ? Le tribunal, en ayant recoupé les affirmations des uns et des autres, est allé droit vers une décision sage : mettre en examen cette affaire en attendant de revoir, avec du recul, les aboutissants permettant d'émettre un verdict adéquat, même si, au fond, toute histoire de menaces est grave et donc doit être combattue avec la rigueur de la loi.