Pour une première projection publique au Fespaco, le pari est gagné. Un film très émouvant qui ne peut laisser insensible. Paris mon paradis est un documentaire poignant où l´humain est au centre du drame. Un film qui dévoile les conditions plus que précaires des émigrés et sans-papiers et casse le tabou du rêve de l´eldorado qui n´est que chimère et fausseté. Un film réalisé par une Africaine qui s´adresse avant tout aux Africains. Engagement d´une cinéaste burkinabée qui tend à faire passer un message fort via l´image. La réalité palpable au bout de la caméra pour que cesse l´illusion et prenne place la vérité... L´Expression: Tout d´abord, peut-on savoir ce qui vous a poussée à faire ce film, Paris mon paradis? Eléonore Yameogo: Je suis une réalisatrice du Burkina Faso. Ma motivation première à faire ce film après ma formation (études en audiovisuel à Ouagadougou, Ndlr) est le fait que j´ai voulu porter mon regard hors de mon continent d´origine et lors de mon premier voyage en France, j´ai été choquée de voir comment vivaient certains amis et voisins que je croyais avoir réussi en France. Je les ai retrouvés dans une précarité totale. Paris était un mythe en fait. Je me suis dit qu´il était temps, que nous Africains, on se prenne en charge et qu´on démystifie ce rêve occidental. Il n´y a pas que les hommes qui rêvent de partir, les femmes aussi et c´est encore plus difficile. Vous montrez une certaine facette de cette dure réalité en France pour elles, mais marquée d´espoir tout de même... Bien sûr qu´il y a encore de l´espoir en France. Mais il faut avouer que les choses se compliquent de jour en jour. Les lois changent, mais l´information ne passe pas au pays. Avant, quand tu avais ta carte de séjour tu pouvais bénéficier du RMI, aujourd´hui, il faut avoir séjourné pendant 5 ans pour obtenir le RMI. Je crois que la vie va être encore plus dure pour les émigrés en France. Dans ce film, mon combat n´est pas de dire: «Ne partez pas en Europe mais de bien préparer le voyage.» Car, une fois arrivé là-bas, ils sont pris au piège. Et c´est là où on arrive à des situations catastrophiques. Vous évoquez aussi un cruel tabou, celui de la honte de dire aux autres la triste réalité de la vie d´un émigré... Cette honte, je crois qu´elle ne date pas d´aujourd´hui et je ne sais pas quand prendra-t-elle fin. Tant qu´on ne démystifie pas ce pays occidental, on ne pourra jamais faire comprendre aux gens d´ici que la vie est dure là-bas. J´espère pouvoir, avec mon film, contribuer à changer les mentalités. Un mot sur les conditions de tournage Le film a été tourné dans des conditions très difficiles, car dans les quartiers d´émigrés où j´ai filmé, où tout le monde verse dans des affaires pas très claires, une fois que tu sors une caméra, ils se jettent sur toi et plusieurs fois on m´a retiré la caméra. J´ai dû négocier, ramener la police pour récupérer ma caméra. Donc, je suis très contente d´être arrivée à la fin de ce projet. Ce n´est pas évident. Et puis, ces personnages intervenus dans le film ont été assez forts, car ils ont compris ma logique. Ils ont voulu que leur histoire serve de leçon aux futurs candidats à l´émigration. En gros, entre la recherche de financement et le tournage, cela m´a pris trois ans. Cela fait deux semaines que le film est sorti. Ici au Burkina, c´est la première fois qu´il est projeté en Afrique et c´est très important pour moi. J´imagine que c´était difficile de trouver des gens et les convaincre de parler? Non...peut-être qu´ils m´ont fait confiance aussi. Les jeunes Sénégalais du Sacré Coeur,je me suis intéressée à eux, car j´avais assisté à une scène qui m´a marquée: le protagoniste du film s´est battu avec un touriste, car il a voulu lui vendre des bracelets, et ce touriste l´a insulté dans sa langue et quand la police est venue, ils ont immédiatement sauté sur lui car il est Noir. Ils l´ont mis à terre, menotté etc. Quand on voit des gens se battre, le minimum est d´essayer de comprendre pourquoi ils se battent et qui a raison et qui a tort? Le Noir est hélas! systématiquement le fautif. On en a discuté et puis voila, on m´a fait confiance. Et cela a donné ce que vous avez vu. Je suis algérienne et il y a beaucoup d´émigrés maghrébins en France, pourquoi ne pas s´être intéressée aussi à ces gens-là? J´ai ciblé mon public. Les conditions d´émigration pour le Monde arabe sont peut-être différentes. Je ne voulais pas me disperser. J´ai ciblé l´Afrique de l´Ouest. Je n´ai même pas pris l´Afrique centrale ou de l´Est. Quel est l´avenir de ce film? Mon combat actuel est d´avoir un sponsor. J´espère faire du cinéma mobile dans les quartiers périphériques, à Bamako, au Sénégal, au Burkina Faso. Le film a été sélectionné au Fespaco, c´est bien. Même s´il n´a pas de prix, pour moi c´est déjà une victoire et j´aimerai qu´il soit vu par un maximum de gens car je l´ai fait pour la jeunesse africaine. J´espère que le film voyagera. En France, la version avec les CRS ne va pas être diffusée. C´est un choix de la production de faire couper cette partie au montage. Mais moi, je suis africaine et en Afrique, je m´engage à montrer ces images. Ce sont des images réelles. Il faut que cela soit vu. Je ne critique pas non plus. Si des familles se mettent à occuper la place de la révolution ici, il y aura forcément des policiers ou des CRS qui viendront les dégager. Ce film sert à passer un message aux Africains: ce n´est pas parce qu´on réclame des droits qu´on peut aller occuper des places comme ça. J´espère qu´on trouvera, en tout cas, un bon distributeur pour que le film sorte en France. Mon but, après mes études, a toujours été de montrer aux miens l´autre facette de l´Europe. J´ai fait un autre documentaire qui est passé au Panorama du Fespaco dernier, en ce sens. Le film portait sur une fille qui cherchait à tout prix un Blanc comme mari pour améliorer sa situation et sortir de la misère. J´ai aussi réalisé un documentaire sur les clochards, en Belgique, pour montrer qu´il ne suffit pas d´être blanc et pouvoir se débrouiller. Quels sont les projets qui vous tiennent à coeur? Mes thèmes de prédilection portent, en fait, en général, sur la notion de justice. C´est sur quoi je travaille.