«Faites que le rêve dévore votre vie afin que la vie ne dévore pas votre rêve.» Antoine de Saint-Exupéry Le moment le plus dur est celui où on émerge d´un rêve agréable, surtout quand c´est quelque chose de l´extérieur qui oblige le rêveur à essayer de retomber sur ses pieds en tentant d´ouvrir les yeux. Je parle de cela (et ce n´est pas dans mes habitudes de parler de choses aussi intimes que le rêve) parce que, petit à petit, avec l´âge et aussi à cause des conditions de vie, le rêve est devenu le dernier refuge de l´homme sage. On dit que les Indiens trouvaient dans la nature les substances qui leur permettaient de faire des rêves, de communiquer avec les esprits, comme ils disent. Il faut dire que les conditions de vie dans la cité où j´ai échoué se sont tellement dégradées, qu´il vaut mieux pour l´homme sage, qui en a les moyens, de déménager ou alors de fermer les yeux sur toutes les inepties et les choses anormales qui se passent et essayer de rêver d´un autre ailleurs. Avec l´expérience, je me suis aperçu que c´est au petit matin ou durant la sieste, quand le sommeil se fait plus précieux et que l´inconscient agit sur le physique pour faire durer le plus longtemps ces derniers instants de confort, que les rêves les plus agréables se connectent. Alors, c´est un véritable déchirement quand un bruit quelconque qui n´a rien à voir avec le rêve vous connecte à la triste réalité. N´allez pas croire que mes rêves sont du genre paradisiaque, dans un décor de plage au sable fin avec une vahiné qui danse le tamouré sous les cocotiers. Non, ce genre de rêve est propre à ceux qui veulent devenir très riches à tout prix, quitte à voler, à détourner l´argent du peuple ou celui des travailleurs qu´ils exploitent. Mes rêves appartiennent, bien que l´on ne les commande pas, au réalisme poétique, comme disait mon regretté professeur d´histoire du cinéma. C´est-à-dire, qu´il y a toujours des oasis noyées dans un décor merveilleux et parmi des intrigues aussi anodines que farfelues. C´est le propre du rêve que de mélanger les genres. Figurez-vous que je ne sais pas comment, je me suis trouvé assis dans un bus à côté d´une femme qui avait l´air d´être d´origine africaine, dans une station de bus d´une ville qui était censée être Blida. Pourquoi Blida? Seul peut-être Freud pourrait me le dire après quelques séances de divan. Je n´ai pas particulièrement d´atomes crochus avec cette ville que je ne vois que de loin, bien que j´y compte quelques collègues de travail...J´y ai peut-être pensé sans faire attention. J´aurais dû rêver de Tlemcen puisque j´ai vu une séquence de défilé qui n´a ni queue ni tête...J´aurais pu rêver de Misrata à cause du matraquage opéré par Euronews sur cette ville qu´on présente déjà comme une ville martyre, alors que Ghaza a reçu infiniment plus de bombes que la ville libyenne...Quant à la station de bus, il n´est pas besoin d´être psychiatre pour en saisir le sens: comme tous les Algériens ordinaires qui n´ont pu accéder à l´automobile qu´après avoir trimé dans les transports publics quatre décennies durant. Ayant connu toutes les entreprises qui ont écumé la Kabylie et l´Algérois, depuis la légendaire Satas jusqu´aux sordides transporteurs de bestiaux qui font la loi entre la banlieue et Alger la grise, en passant par la Rsta, la Sntv, la Tpsm et autres services des marchés que ma mémoire a oubliés, le transport était devenu pour moi le cauchemar que je vivais au quotidien quand il fallait me rendre à mon lieu de travail où j´arrivais déjà fourbu par toutes les contraintes rencontrées en chemin...