L'ex-époux ignorait que le droit de visite venait d'être réaménagé. Madame l'ex. est poursuivie pour... Jamais, depuis qu'il a entamé sa carrière de magistrat, juste après avoir trempé ses doigts dans le calice de la robe noire des défenseurs, Khaled Benyounès, le président de la section correctionnelle du tribunal d'El Harrach (cour d'Alger), n'a eu sous les yeux un tel dossier que celui concernant un couple brisé. L'ex-mari est un chercheur aux Amériques. Madame est chirurgienne. Les deux ont une fillette de six. Elle est l'enjeu d'une rude bataille pour la garde ou le droit de visite. A la barre, seule la dame est debout, flanquée de Maître Nahnah, son conseil qui sera, d'ailleurs, sans le vouloir, la «star» des débats. De prime abord, le dossier à traiter est simple. La dame est poursuivie pour non-présentation d'enfant, fait prévu et puni par l'article 328 du Code pénal, un article qui dispose que: «Quand il a été statué sur la garde d'un mineur par décision de justice exécutoire par provision ou définitive, le père, la mère ou toute personne qui ne représente pas ce mineur à ceux qui ont le droit de le réclamer, ou qui, même sans fraude ou violence, l'enlève, le détourne ou le fait enlever ou détourner des mains de ceux auxquels sa garde a été confiée ou des lieux où ces derniers l'ont placé, est puni d'un emprisonnement d'un mois à un an et d'une amende de 500 à 5000 DA. Si le coupable avait été déclaré déchu de la puissance paternelle, l'emprisonnement peut être élevé jusqu'à trois ans.» Le chercheur, papa victime de non-représentation d'enfant, ignore cependant une chose capitale, selon son ex-épouse qui n'a pu retenir ses larmes durant les trente minutes de débat. Et c'est l'avocat qui tentera d'expliquer à Benyounès qui avait un rôle pas possible ce lundi. «Monsieur le président, le père de la fillette a été si aveuglé par la haine et même de faire payer cher à madame le refus de remettre l'enfant, qu'il ignorait, le jour de la visite, que le droit de visite avait été «réaménagé» par le juge fin septembre 2012. Or, le 4 octobre, Monsieur s'était présenté pour récupérer sa fille le samedi. Et le samedi était jour de visite chez le médecin, ce qui avait été l'excuse pour le juge de réaménager le droit de visite. Le vendredi seul avait été retenu. Le samedi a été réservé par le juge à cause des soins que la petite devait recevoir une fois par semaine. Bien assis sur son fauteuil, Benyounès ôte sa paire de lunettes de vue, essuie ses gros yeux clairs à l'aide du dos des deux pouces et pose une banale question dont la réponse serait tout un programme: -«Est-ce que le papa a été averti via l'huissier de la décision du juge?». Ce sera encore une fois, Maître Nahnah qui répondra à la place de la dame au bord de l'effondrement à cause des torrents de larmes qui ne cessaient de noyer les fossettes de son visage joufflu et meurtri: «Monsieur le président, la décision du juge a été prise fin septembre. Le papa est venu le 4 octobre récupérer son enfant. Mathématiquement, il était impossible qu'il soit informé à temps. De toutes les façons, ce jour-là, il a eu connaissance du réaménagement du droit de visite. Il n'y a pas le feu à la maison!». Le défenseur marque une courte pause, ce dont profite le magistrat pour tenter un coup de bluff car, il est bon et utile de le rappeler, avant d'être magistrat du siège, Khaled Benyounès avait été...avocat à la Cour d'Alger et avait eu comme directeur de stage un certain Maître Benouadah Lamouri, ce vieux renard des juridictions toujours prêt à dégainer sur tout ce qui bouge et la gibecière pleine de trucs à vous donner le tournis! Et le coup de bluff avait été cette question: «Je crois que madame redoutait l'enlèvement de la fille en direction de l'Amérique du Nord oui ou non?» La dame fit non de la tête, du cou, des épaules et de toute sa carcasse, d'un mouvement de métronome, de gauche à droite. Le juge en savait suffisamment. Il prendra acte du dernier mot de l'inculpée de non-représentation d'enfant qui sera: «Je ne veux que le bien de notre fille!». Benyounès avait remarqué le «notre fille» et c'est mieux pour elle qu'elle n'ait pas dit «ma fille» Cela compte dans la mise en examen de l'affaire sous huitaine. Comme quoi, les histoires d'amour commencent par des roucoulements et s'achèvent par des lamentations en passant par les...you-you avant les «aïe, aïe, aïe» i-e. les regrets, les remords, les mises en accusation etc... Les débats de lundi ont été édifiants car cette affaire n'était pas la seule. Il y avait surtout les histoires de coups et blessures réciproques entre les couples et les ex. Un drame que Dame Justice doit se farcir alors qu'il y a des dossiers plus importants, même si certaines décisions de justice ne sont pas exécutées. Mais là, c'est une autre histoire où l'on retrouve l'absence totale de l'Etat, via l'huissier impuissant et les appels que la loi prévoit. Hélas trois fois...