L'homme, dans une longue diatribe, propose une phase transitoire aux fins d'éviter «la violence de la rue». Ancien poids lourd du FLN du temps du parti unique, Chérif Bel-kacem, dans une longue lettre, vient jeter un grand pavé dans la mare en mettant en garde contre ce qu'il qualifie de risques de «dérive sur un pouvoir débridé, personnel ou dictatorial». Ce scénario-catastrophe est mis en avant dans le cas où la présidentielle devrait se tenir dans les délais impartis par la loi et dans les conditions politiques actuelles. C'est ce que laisse entendre l'auteur de cette longue lettre parvenue hier à notre rédaction. «Dès lors que l'armée s'est désengagée du champ politique, et qu'elle a réaffirmé à maintes reprises qu'elle se cantonne au seul rôle que la Constitution lui a confié, il est fait obligation à la classe politique, c'est-à-dire les partis, l'Assemblée nationale, le Conseil de la nation, les syndicats et les mouvements associatifs, de s'engager pour une action globale de sortie de crise et pour mettre fin à cette situation de déséquilibre fatal pour le pays.» Celui qui demandait en avril 2001 l'intervention de l'armée pour déposer Bouteflika, estime donc que son retrait a laissé libre cours aux seules forces qui lui sont loyales. Un constat alarmant est en effet dressé. Il y est notamment fait état, selon l'auteur de la lettre, que «les concordes civile et nationale se sont avérées des leurres (puisque) c'est au contraire la division qui s'est partout incrustée, entre les partis, au sein des partis, des associations. Ajouter à cela la discorde et la division dans des pans entiers de la société et, plus grave, le régionalisme du pouvoir entre l'Est et l'Ouest.» Cerise sur le gâteau, «le traitement des problèmes en Kabylie reste l'exemple le plus flagrant des méthodes criminelles du pouvoir.» Même si le document s'évertue à indiquer que la présidentielle à venir fausse tous les débats, son auteur n'échappe pas non plus aux mêmes critiques puisque sa contribution achoppe essentiellement sur cette question. «Aller à des élections dans la confusion actuelle, sans opérer préalablement la rupture, c'est reconduire la gangrène qui ronge le pays.» La sortie, qui rejoint celle d'Aït Ahmed, semble indiquer que le leader du FFS a peut-être donné le la en faveur d'une vaste campagne pour le report de la présidentielle. «Jusqu'à présent, le remplacement d'un président par un autre n'a fait que reconduire le système dans lequel se complaît le pouvoir actuel.» Telle que conçue, cette idée a de quoi plaire à beaucoup d'acteurs politiques très crédibles, ce que recherche peut-être l'auteur de ces lignes. Il n'hésite pas, ce faisant, à prédire les pires scénarios dans le cas où il ne serait pas donné suite à cette revendication : «Les résistances, bien qu'ascendantes, demeurent éparses et confuses. Elles risquent d'être anéanties et orientées dans des directions incontrôlables pour la stabilité et l'unité du pays. Ce sera alors le naufrage dont nous serons tous responsables si nous continuons de nous taire.» Une sorte de putsch feutré est ainsi proposé. Après des phrases grandiloquentes établissant le parallèle entre la révolution de novembre 1954 et ce qui attend ces «redresseurs» actuellement, Chérif Belkacem explique concrètement ses théories et choix stratégiques : «Il s'agit de désigner une instance à même de réunir, durant une période transitoire, les conditions qu'exigent ces objectifs. Ce qui naturellement nécessitera le report de ces élections, alibi d'une démocratie inexistante, afin de s'atteler à la sortie de crise qui doit englober les aspects psychologiques et moraux, la normalisation, la lutte contre toutes les formes de régression.» Il faudra, pour ce faire, retirer tous ses pouvoirs à Bouteflika ainsi qu'à son gouvernement. D'autant que Chérif Belkacem, sans aller jusqu'à parler de Constituante, prône «l'élaboration d'un projet de Constitution où sera consacré l'équilibre des pouvoirs avec des mécanismes empêchant toute instrumentalisation». Il y serait également question d'éliminer «radicalement les germes du pouvoir personnel et son corollaire, la cooptation, mais aussi prévenir toute dérive vers un pouvoir débridé, personnel ou dictatorial et définir le rôle du chef du gouvernement devant être issu de la majorité». Si de plus en plus de voix se prononcent pour le report de la présidentielle, rien ne dit que cela se fera à un moment où les préparatifs continuent d'aller bon train et où, à la suite de Rachid Benyellès, beaucoup de «grosses pointures» s'échauffent sérieusement afin d'annoncer leur candidature dès les premiers jours de l'année prochaine.