En 20 ans, entre 2003 et 2023, la pratique de la lecture en tant que loisir par la population américaine a diminué d'environ 3 % par an, selon une étude publiée ce mercredi 20 août dans la revue iScience. Si le déclin s'observe depuis les années 1940, des chercheuses craignent une contraction des moments de temps libre qui serait plus contemporaine. La lecture sera-t-elle bientôt une pratique du passé ? Jessica K. Bone, Feifei Bu, Jill K. Sonke et Daisy Fancourt, chercheuses affiliées à l'université de Floride et à l'University College de Londres, ont passé en revue les pratiques de lecture de la population américaine sur les 20 dernières années, entre 2003 et 2023. Elles se sont appuyées, pour ce faire, sur les données de l'American Time Use Survey (ATUS), une très large étude menée régulièrement par le Bureau de la statistique du travail des Etats-Unis, auprès d'environ 230.000 Américains. Ce sondage s'intéresse aux activités de la population, dans toute leur diversité, et porte notamment sur les pratiques culturelles. 2020 a été exclu, car, marquée par la pandémie, l'année risquait de déséquilibrer trop fortement les résultats. Des politiques publiques défaillantes ? L'année 2004 reste celle au cours de laquelle la plus grande proportion d'Américains a déclaré lire pour le plaisir (28 %), tandis qu'elle s'élevait seulement à 16 % de la population en 2023. Le déclin a été régulier, indiquent les autrices, d'année en année, avec — 3 % en moyenne. Le temps accordé à la lecture en tant que loisir a aussi connu un recul notable, sur la même période. La lecture en compagnie d'enfants, pour sa part, n'a pas connu d'évolution notable, mais, sur l'ensemble des participants à l'American Time Use Survey, seuls 2 % lisent quotidiennement avec les plus jeunes. Du côté des conditions de la lecture, l'intérieur, et en particulier le foyer, reste largement privilégié, et l'extérieur ne représente qu'une portion congrue. Certaines caractéristiques socioculturelles semblent aussi plus associées avec la lecture, les femmes, les individus plus âgés et plus diplômés sont plus susceptibles de lire régulièrement. À l'inverse, les personnes noires ou porteuses d'un handicap sont plus éloignées de l'activité. Contrairement aux idées reçues, les statistiques de lecture ne seraient pas tirées vers le bas par les nouvelles générations : en effet, la prévalence des âges plus avancés aurait décru entre 2003 et 2023. Les chercheuses s'inquiètent néanmoins d'écarts de plus en plus marqués entre des populations éduquées, disposant d'un héritage culturel ou matériel ou ayant mené à bien des études supérieures, et d'autres profils, pour lesquels la lecture serait moins évidente. Elles soulignent ainsi les carences de politiques publiques d'incitation à la lecture qui se concentreraient essentiellement sur les jeunes, alors que la pratique décline souvent avec l'âge. « Nos observations démontrent donc le besoin urgent de mettre en place des stratégies plus ciblées afin d'accroître les pratiques de lecture de l'ensemble de la population, et en particulier parmi les groupes à haut risque », indiquent-elles. La santé publique en jeu Sans sombrer dans le catastrophisme, les autrices de l'étude notent les risques liés à une baisse des pratiques de lecture. Jill Sonke, auprès du Los Angeles Times, rappelle ainsi que « la lecture pour le plaisir, comme d'autres interactions artistiques, relève de la santé publique. Elle va de pair avec la relaxation, le bien-être, la santé mentale, une meilleure qualité de vie. » Permettre au plus grand nombre d'y accéder serait donc crucial. Et s'appuyer sur de nouveaux usages, comme l'écoute de livres audio ou la lecture sur écran, ne sera pas forcément suffisant : les données utilisées par l'étude les prennent déjà en compte. Bien entendu, la multiplication des loisirs, puis la généralisation des écrans permettent d'expliquer en partie le manque de temps libre pour la lecture. « Notre culture numérique a forcément une influence », reconnait ainsi Jill Sonke, citée par The Guardian. « Mais il y a aussi des problèmes structurels, comme l'accès réduit aux livres, l'insécurité économique ou une contraction, au niveau national, des temps de loisir. Si vous jonglez avec plusieurs emplois ou faites face à des difficultés de transport dans une zone rurale, un saut à la bibliothèque peut être compliqué. »