La manière avec laquelle les islamistes pensent et comprennent la gouvernance est antinomique aux principes qui fondent la pratique du pouvoir hier et aujourd'hui dans le monde. Les islamistes veulent gouverner au «nom de Dieu» quand les démocrates le font au nom du peuple. Toute une philosophie et une dialectique séparent ces deux concepts de gestion des affaires publiques de l'Etat. Il y a donc, quelque part, maldonne sur les notions de pouvoir, de peuple, d'Etat et de citoyenneté. C'est essentiellement l'interprétation que font les islamistes du pouvoir et de la gouvernance qui pose problème. La vision sectaire et fascisante qu'ils ont du pouvoir, exclut d'emblée les composantes non musulmanes de la société, aggravée par la répression des libertés culturelles et de culte. Cela a été le cas durant la gestion par l'ex-FIS des communes algériennes. Admettons toutefois que les tenants de «l'Etat islamique» n'ont jamais caché que leur objectif premier restait l'instauration et l'application de la «chari'â». Ce que rappelait «opportunément» récemment le chef du Front Al Nosra, Abou Mohamed al-Joulani - qui a mis la Syrie à feu et à sang - affirmant la semaine dernière: «Nous, en tant que musulmans, ne croyons ni aux partis politiques ni aux élections parlementaires, nous croyons à une gouvernance islamique basée sur la choura et la justice.» En 1991, l'un des chefs de partis islamistes algériens, Abdallah Saad Djaballah, ne disait pas autre chose qui expliquait: «La démocratie est une valeur puisée dans la pensée positiviste dont les références et les fondements sont une pure invention de l'homme (...) Nous considérons qu'il n'y a aucune source ou influence à partir de laquelle nous pouvons asseoir les bases juridiques d'un Etat: il n'y a que le Coran et la Sunna (cf; la tradition du Prophète, Qsssl) et qu'en dehors de ces deux principales sources-bases, de toute vie institutionnelle, politique, culturelle et morale, rien n'est accepté et nous oeuvrons graduellement et pacifiquement pour concrétiser cet idéal.» (cf; le Matin, septembre 1994) M.Djaballah, résume de manière plus élaborée, ce qu'a déclaré le chef islamiste syrien du Front Al-Nosra. Ni l'un ni l'autre ne semblent tenir compte des expériences passées des islamistes au pouvoir et de leurs échecs répétés, ne cherchant pas en analyser les causes et à en comprendre le pourquoi dans un environnement qui est loin d'être aussi propice à leur projet de société. En fait, le concept de «Dawla islamiya» recouvre l'interprétation que les fondamentalistes font de la primauté du «pouvoir de Dieu» sur toute autre approche de la définition de la gouvernance. Se pose dès lors la question de savoir qui est habilité à dire et/ou à désigner ces «délégués» appelés à «gouverner» au «nom et par procuration de Dieu»? N'est-ce pas plutôt un paravent permettant aux hommes, sous couvert d'une légitimité «supra humaine» du «pouvoir de Dieu» de «sacraliser» un pouvoir tout à fait «humain»? De fait, les fondamentalistes utilisent l'instrument institutionnel - ils se font élire au suffrage universel, pour ensuite, une fois au pouvoir, dire que les élections sont «kofr» - pour combattre ce qu'ils considèrent comme un «pouvoir positiviste et mécréant» des hommes. Les islamistes ne croient pas aux élections mais y participent pour accéder au pouvoir. En Egypte, c'est au nom de cette «légitimité électorale» que les pro-Morsi ont mis le feu au pays. En fait, pour les islamistes, la politique est une guerre, et la guerre est ruse (el harb khidaâ). Cette ruse peut se traduire par l'axiome que l'on peut résumer par cette métaphore qui exprime bien la vision islamiste du pouvoir et de la politique: «Quand vous (démocrates) êtes forts, nous demandons la liberté, car cela s'accorde avec vos principes; lorsque nous (islamistes) serons forts nous vous retirerons la liberté, parce que cela est conforme à notre doctrine.» Aussi, pour eux, la participation à la vie démocratique ne peut être que de pure forme comme l'indiquent bien les déclarations d'al-Jalouni ou de Djaballah. De fait, nous nous trouvons en face d'un phénomène à tout le moins rédhibitoire de voir la démocratie servir à l'accession au pouvoir d'hommes dont l'objectif est de mettre un terme aux libertés individuelles et collectives. Phénomène encouragé par le silence, pour ne point dire la collusion, de parties officielles ou officieuses gravitant autour du pouvoir (politiciens, ouléma, imams, intellectuels...). Personne, en fait, ne pouvait dire qu'il ne savait pas, les islamistes ont plutôt clamé haut et fort leurs concepts et doctrine pour que chacun en soit averti.