Découverte au hasard de mes lectures en prévision de l'ouverture de La Petite bibliothèque de l'été 2015 - mais voyez-vous, le Hasard, s'il en est, est intelligent - elle m'a émerveillé et inspiré beaucoup de pensées, cette devise éducative, instructive, formative, mélange heureux du «savoir» et de la «lumière», ainsi désignée en l'honneur des frères Lumière. Et sur- le-champ, sur le champ de cette culture qui mène à la connaissance de son peuple et plus largement à celle des nations du monde, il m'a semblé bien naturel de me rappeler d'autres devises qui sont les miennes, qui sont les nôtres et qu'il nous arrive - par le temps qui court furieusement et qui nous agresse férocement l'esprit - d'oublier! Oui, le temps, le temps normal, efface les images et les savoirs, bigrement. Cette disparition du souvenir signifie l'état de faiblesse dont parfois nous sommes sujets et toujours victimes consentantes, car nous ne cessons d'admirer l'Autre, à tort ou à raison, et cette attitude n'est pas sans reproche, quand notre regard et notre esprit sont orientés systématiquement vers le brillant (vrai ou faux) de l'ancien colonisateur. Aussi, sans lever «le couvercle du puits» de notre subconscient où stagnent des affirmations théoriques, savons-nous que le sentiment de dépit et de malaise intellectuel est inégalement partagé par ceux qui pensent. Pour autant, n'oublions pas ces recommandations sacrées et fort utiles à l'homme de tous les temps et que, par son savoir, sa conscience, sa foi, chacun de nous est en devoir de faire reparaître dans certaines circonstances spéciales. J'en cite celles-ci, parmi les plus populaires: «Iqrâ! Lis!», «Apprenez la science, dussiez-vous aller jusqu'en Chine!», «Connaissance sans pratique est folie! Pratique sans connaissance, inutilité.»,... Voici donc la première proposition des ouvrages présentés au cours de la saison 2014-2015 dans Le Temps de lire et qui inciteront mes lecteurs à les lire ou à les relire. - À QUOI SERT LE LIVRE? de Kaddour M'Hamsadji, avec une préface d'Ahmed Fattani, 34 contributeurs et indirectement d'autres grands auteurs. ENAG Editions, Alger, 2013, 214 pages: «Hymne pour le Livre Algérien. À la vitesse où vont les technologies de l'information et de la communication, notre Planète aujourd'hui n'est plus qu'un immense village dont les vastes quartiers sont habités par des tribus différentes et vindicatives de l'authenticité nationale de leur personnalité. [...] Le livre du savoir-être algérien. Et donc le livre algérien doit porter la Connaissance algérienne, ainsi que font, chez eux, tous les pays dont nous admirons la culture. Par quoi l'Algérie est-elle connue et reconnue? - Par sa situation géographique sur le planisphère et par les richesses de son sous-sol,... Par quoi le peuple algérien est-il connu? - Par son héroïsme à travers les siècles. Et encore? - Pour sa générosité, dit-on, pour son hospitalité,... Et par quoi encore? - Par tant de choses que chacun sait, son intelligence, son esprit combatif, sa dignité,... Mais du Livre Algérien, conçu par les Algériens, pour les Algériens, où l'on éduque et l'on instruit, où l'on forme et l'on informe la jeune génération et les générations prochaines, comment va-t-il? Et du Livre du savoir-être algérien et ouvert au monde du progrès et à l'humanité diverse et solidaire, et du savoir faire connaître sa société, faire connaître son histoire aussi, qu'en est-il? Quel livre algérien pourrait-on acquérir et lire avec passion avant de penser à chanter et à danser... tout l'été? [...] Terminons par cette observation générale: LA NATURE algérienne croit fort à la profusion de ses illusions et, pourtant, elle refuse ce que l'esprit appelle l'inaction, le poète ́ ́ le sommeil, aventure sinistre» et l'homme d'honneur «l'incertitude d'être soi ́ ́». - ALGERIE: DIMANCHE 11 DECEMBRE 1960 (L'Expression du mercredi 10 décembre 2014, p. 21: «Quand on comptait son âge en années de printemps...» [...] 11 décembre 1960, manifestation de révolte extrême et populaire algérienne contre l'occupation et la répression de l'expédition française permanente, et pour une Algérie libre et indépendante. [...] - AUJOURD'HUI 11 DECEMBRE: Une fleur s'élève dans mon jardin / Sur la tombe de mes souvenirs / Aujourd'hui 11 Décembre / Les fleurs sont matinales / Souvenirs ô incendie dans les coeurs endoloris / Viens! que je reconnaisse moi aussi ma mère ma soeur mon épouse / Au fond de ce trouble transparent qui baigne ma mémoire / Aujourd'hui 11 Décembre / Viens! silhouette fragile, mère Zeïneb / Vacillante mais debout mais souriante sur ton corps étendu / Crevé par les échardes broyé par les aciers / Aujourd'hui 11 Décembre / Viens! ma jeune soeur au visage pourpre / Promise au bonheur de l'Algérie future / Ton fiancé pour un baiser tomba dans tes bras brisés / Aujourd'hui 11 Décembre / Viens! mon épouse aux clartés multiples / Pénètre dans mon temple constellé d'amour / Et dis-moi quel souffle t'anima et quelle couronne portes-tu? / Aujourd'hui 11 Décembre / Et je vois dans l'arrière brouillard un printemps / Des champs et des champs de fleurs blanches / Et ces calices chargés de tant de femmes me font fièrement gémir / Aujourd'hui 11 Décembre. (Kaddour M'Hamsadji, Aujourd'hui 11 Décembre 1960, in Oui, Algérie). - LE PEUPLE DE DECEMBRE: (À la petite Mériem qui avait 7 ans et 2 mois à l'époque). - De la lumière, du soleil / des couleurs, des vertiges / des cris, des mouvements / des danses / des défis, des coups de feu / des hurlements, des plaintes / de la lumière, du soleil / des inscriptions, des hystéries / des barricades, des flammes / Le Monoprix et les magasins / de Belcourt / sont brûlés, dévastés. / Ils sont noirs / comme les yeux de la certitude. / Le Clos Salembier. / Le Climat de France / répondent à l'appel du peuple / hommes, femmes et enfants / sont pieds nus dans les rues / armés de bâtons et de barres de fer. / La petite Mériem / avait une balle / dans la cuisse / et le soleil / se pose à l'horizon / les mères, les pères / et les fils de la Casbah / habillés n'importe comment / allant n'importe où / chantant n'importe quoi / étaient présents à l'appel / le peuple de la Casbah / apporte ses fleurs à la révolution. / Les zouaves, les paras / regardaient effrayés / cette force, cette dynamique / foncer sur eux / rue Randon / Ils ont tiré / ils ont tiré sur le peuple. / Mohamed le Noir / le porte-drapeau / tombe le premier, criblé de balles / de la lumière, du soleil / du sang plein les vêtements / et plein les haïks et les robes / de nos mères de nos femmes / et de nos soeurs. / [...] La petite Mériem / avait une balle / dans la cuisse et le soleil / se pose à l'horizon / Je pose un espoir / sur Décembre / une fleur / sur le peuple / un soleil / sur Mériem / un avenir / sur la Certitude. (Laadi Flici, Le Peuple de Décembre, in La Démesure et le Royaume.) - LA PROIE DES MONDES d'Anys Mezzaour, ENAG Editions, Alger, 2013, 315 pages: «Les jeunes nous apprennent à rêver. [...] Là où l'imaginaire est créateur de sujets humains exceptionnels et libres, peu importe que le monde, qui s'ouvre à nous pauvres idéalistes hésitants, soit un cosmos total capable de remodeler l'homme pour l'homme. [...] Le premier jeune auteur algérien de fantasy serait-il né? Anys s'adonne, en toute liberté, à la fantaisie de son imagination et à son écriture. Les personnages, les noms, l'action, les lieux de l'action, la description des formes, des êtres et des choses,... obéissent aux lois imposées par le jeune auteur. Ne cherchons pas si ceci ou cela est réfléchi, peut-être que oui, peut-être que non. Cherchons où se situe le charme de l'imagination humanisée, et comprenons pourquoi et comment pourrait-on construire, par exemple, un immeuble public avec quatre matériaux différents: la pierre, la lave, l'eau et les nuages ou se transporter grâce à une ceinture de volatilisation et réaliser bien d'autres choses époustouflantes. Aussi, Anys a-t-il le langage et l'écriture des jeunes, c'est-à-dire un style direct, truculent, sans fioriture inutile, souvent impliquant une merveilleuse didactique et soutenu par un irrésistible suspense jusqu'à la dernière ligne du récit. [...] Aujourd'hui, voici donc une oeuvre de jeunesse qui ravive notre imaginaire oublié. Le talent d'Anys Mezzaour est là et nos encouragements le sont aussi.» - CALEDOUN de Rachid Sellal, Casbah Editions, Alger, 2013, 157 pages: «Le camp des Arabes» au bagne», et-TÂRÎKH (ou el-khabar), idjîboûh et-touâlâ, l'histoire (ou l'information) sera rapportée par les suivants. [...] Tout au long des 157 pages de son intéressant document que constitue Calédoun, Rachid Sellal s'applique à nous initier à la connaissance de l'existence des déportés algériens en Nouvelle-Calédonie, terre de bagne. Le lecteur reste attentif, étonné, ému page après page, par le texte des enquêtes personnelles de l'auteur, et jusqu'aux annexes: «Références bibliographiques», «Liste des 213 accusés de l'insurrection de 1871 jugés à la Cour d'Assises du Tribunal de Constantine», «1895 - Liste de quelques concessionnaires d'origine «Arabe» de Bourail» et nombreuses photos d'époque et récentes de déportés algériens. L'ensemble est formé de treize «fiches» plutôt que «chapitres» aux titres révélateurs du sujet du livre; au reste, sujet traité sans fioriture de style ou d'intention émotionnelle. L'émotion est dans le contenu historique et l'authenticité des faits et des personnages et tout spécialement dans la valeur de l'enseignement à laquelle peut prétendre cet ouvrage, grâce à l'effort d'information fourni par l'auteur. Voici les chapitres proposés: 1- Prémices de l'insurrection. - L'insurrection de 1871. - Procès des chefs de l'insurrection. - En route pour l'exil. - L'Île des Pins - Camp des Arabes. - Le bagne. - Mémoire de communard. - Amnistie. - Retour au pays. - Boumezrag Mokrani «Le grand captif». - Aziz Ben Cheikh El Haddad. - Trajectoires. - Cette communauté de vue par les Algériens.» À suivre: La Petite bibliothèque de l'été 2015 dans Le Temps de lire du mercredi 26 août prochain.