Les islamistes et les conservateurs donnent l'air d'être les vrais maîtres du jeu dans le pays La solidarité gouvernementale dont bénéficie la ministre de l'Education ne lui sera d'aucun secours sur le terrain face à la violence hystérique de ses adversaires. La réforme de l'école proposée par Benghebrit, bien que «pas du tout radicale» comme l'a souligné Sellal, a provoqué un tollé dans les milieux conservateurs et islamistes et elle risque de transformer l'école en un véritable champ de bataille entre sensibilités idéologiques, surtout que les islamistes et les conservateurs se comportent avec une assurance telle qu'ils donnent l'air d'être les vrais maîtres du jeu dans le pays. En effet, les adeptes de ces courants ont d'abord dénoncé la ministre de l'Education en l'accusant de vouloir «occidentaliser l'école algérienne» et porter atteinte aux constantes nationales. Ensuite, tous les moyens étant bons pour atteindre leurs objectifs, les islamo-conservateurs ont actionné les syndicats et les associations qui leur sont acquis pour demander la tête de Benghebrit. Mais l'hystérie des opposants à l'extraction de l'école des griffes du conservatisme stérilisant, du ritualisme aliénant et de l'archaïsme démobilisant est allée jusqu'à des menaces de mort à l'endroit de Nouria Benghebrit, notamment à travers des messages diffusés sur les réseaux sociaux. Cet acharnement est certes, motivé par une hostilité indomptable au projet de réforme, de modernisation et d'algérianisation de l'école, mais aussi par le soutien clair et sans cesse réaffirmé des acteurs mêmes du système éducatif. En effet, il est à signaler que deux syndicats de l'Education qui totalisent plus de la moitié du personnel du secteur, à savoir le Cnapest et l'Unpef, affichent clairement leur soutien à la campagne anti-Benghebrit et antiréforme en faisant leurs les arguments des islamo-conservateurs, notamment l'atteinte que porterait le projet de réforme aux «constantes nationales». Ces deux syndicats se sont rangés du coté des partis islamistes et ont revendiqué carrément la démission de la ministre. Bien entendu, la réforme peut passer, les deux chambres du Parlement étant acquises au gouvernement. Néanmoins, une fois entérinée, elle aura beaucoup de mal à se cristalliser sur le terrain puisque plus de la moitié du corps enseignant s'y oppose fermement. La désobéissance qui a déjà commencé avec le rejet des instructions du gouvernement quant au respect de la démarche réformiste du ministère de l'Education risque de déteindre sur l'école et d'entraîner celle-ci vers des confrontations entre pro- et anti-Benghebrit. Quelques jours seulement après la rentrée scolaire, une jeune enseignante, Sabah Boudris, s'est faite filmer en train de développer un discours devant ses élèves dans lequel elle fait l'éloge de la langue arabe en stigmatisant les autres langues. Mais, contre toute attente, son discours qui est pourtant aux antipodes des orientations de la nouvelle réforme, a été largement relayé par les médias et les réseaux sociaux, et a suscité une mobilisation de toute la famille islamo-conservaterice qui a solennellement affiché son soutien à l'enseignante. Les syndicats de l'Education se sont mis de la partie et ont affiché leur solidarité avec Sabah Boudris. L'Unpef, qui s'est exprimée à travers son chargé de communication, Messaoud Amraoui, a en effet apporté son soutien à l'enseignante en affirmant qu'«elle mérite d'être honorée pour le travail remarquable qu'elle fait avec ses élèves». Cette tempête intervient, pour précision, quelques jours seulement après que le Premier ministre a déclaré avec fermeté qu'il n'était plus question de tolérer une quelconque politisation de la réforme de l'école en cours.. «Il faut arrêter toute surenchère quant à la réforme de l'école. Il faut arracher l'école aux conflits idéologiques et aux surenchères politiques», a-t-il recommandé à partir de Saïda. Mais, au lieu de s'éteindre, la campagne anti-Benghebrit s'est exacerbée et des accusations de «trahison» dont elle a été victime, on est passé à des appels à sa démission, pour finir carrément par la menacer de mort. Ces proportions dangereuses prises par les évènements laissent penser que l'école est assise sur un volcan et qu'elle risque à tout moment d'exploser. Il est donc attendu non pas seulement que la réforme ne soit pas appliquée sur le terrain, mais aussi qu'elle soit l'objet d'un tiraillement entre les différents blocs idéologiques: les laïco-républicains et les islamo-conservateurs.