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Le retour du maquisard
5 JUILLET 1962 - 5 JUILLET 2017 55 ANS D'INDEPENDANCE
Publié dans L'Expression le 06 - 07 - 2017

L'autocar, à grands coups d'avertisseur, avançait avec attention dans la grand-rue presque totalement envahie par la foule joyeuse et insouciante
L'Algérie fêtait son indépendance, l'heureux et très attendu aboutissement de sa longue lutte de Libération nationale contre le colonialisme français.
Dans les villes, dans les villages, dans les mechtas, dans les douars, le bonheur s'exprimait par des cris de soulagement, de fierté et même par des larmes en souvenir des chouhada et des disparus, des moudjahidate et des moudjahidine, des militantes et des militants... Algérie libérée, le pays retrouvé! Algérie digne, constituée par des siècles de souffrances et de luttes héroïques contre les envahisseurs étrangers! Algérie, patrimoine riche et généreux, et avenir raisonné! Amnistiés, les prisonniers FLN avaient rejoint leurs familles. Les réfugiés et des centaines de moudjahidine avaient, à l'heure qu'il était, retrouvé leurs foyers. Pendant plusieurs jours, des autocars et des camions civils et militaires arrivaient des frontières et des maquis libérés, se vidaient de leurs heureux et fiers passagers puis ils repartaient immédiatement en chercher d'autres.
Mouallim arriva lui aussi, à Alger, à la caserne Pélissier, un des centres d'accueil des moudjahidine démobilisés. Après avoir accompli, dans l'effervescence d'un sentiment de rentrer chez soi, des formalités d'ordre militaire et administratif, il alla à pied, en plein soleil de midi, son léger sac de toile à la main, vers le Square Bresson.
Tout en marchant, il songeait à ses parents, à ses amis. «Dieu a voulu que je retourne vivant auprès d'eux», conclut-il avec satisfaction. Mais puisqu'il n'était pas sûr de la date de sa démobilisation ni de celle de son arrivée à Alger, il avait décidé de ne pas annoncer à ses parents quand rentrerait-il à la maison.
Il longeait un petit jardin public ruiné et peuplé de badauds. À peine eut-il cependant dépassé le lycée Bugeaud, où autrefois il avait été élève, qu'il observa qu'il boitillait toujours.
Non, il n'avait pas oublié ses blessures. Il s'immobilisa un court instant, visage levé sur le monumental établissement scolaire, - quel souvenir de jeunesse le troublait-il? Puis il repartit en boitillant, se frayant difficilement un chemin dans la cohue bruyante relâchée qui occupait la chaussée et les trottoirs. Trop longtemps désespéré, le peuple accédait subitement au bonheur d'être libre dans son propre pays. L'espoir donc n'était jamais un leurre fait de promesses extraordinaires durant la Révolution populaire armée pour l'indépendance. Il existait bel et bien cet espoir au bout de la lutte et des sacrifices; et le peuple, qui explosait de joie, le prouvait assez.
Un mal de tête surprit Mouallim en cours de route. Il traversa péniblement la place du Gouvernement - Plast el Aoud, La place du Cheval () - grouillante de personnes de tout âge, descendues de la Casbah, l'Héroïque, ou venues de Bab El Oued, le Résistant. Joyeuses et gesticulant de tous leurs élans de liesse incontrôlée, elles poussaient des exclamations formées au plus profond de leurs gorges.
Mouallim, remarquant l'absence de la statue équestre du duc d'Orléans, roula des yeux et, l'air altier, continua sa marche en avant.
Au début du boulevard de la République, son mal de tête ne cessait pas. Beaucoup de monde exalté, circulait, frappant dans ses mains, criant de joie, chantant à pleine voix des paroles exaltant la Libération nationale. Des voitures, rivalisant de coups de klaxon incessants ou dotées de poste radio diffusant, le volume augmenté à fond, des musiques et des chants patriotiques, étaient surchargées de jeunes gens exhibant des drapeaux algériens; les plus excités jouaient du tambour, de la derbouka, de la trompette, sans doute chipée quelque part.
Mouallim marchait machinalement suivant une direction qui semblait l'attirer. Il faisait chaud. Il se laissait entraîner, tantôt bousculé, tantôt poussé, tantôt ballotté par des vagues humaines tumultueuses. Pour respirer, il levait la tête, lourde du brouhaha autour de lui. Il passa la main sur sa nuque trempée de sueur. Brusquement, il ouvrit tout grands ses yeux, les referma, les rouvrit.
Le vacarme infernal
Incroyable, les arbres du square, il les voyait remuer sur place! Les ficus dansaient de toute leur taille ronde et épaisse et de tout leur feuillage persistant, les palmiers agitaient leur houppe de palmes frivoles au bout de leurs stipes droits, ondulés ou courbés et les bambous, resserrés dans leurs carrés piétinés par les passants pressés, s'entrechoquaient produisant d'horribles sons discontinus. Au milieu de cette cohue étourdissante, le kiosque à musique, envahi par un amas de jeunes gens remuants, restait figé, étouffé, muet. C'était effarant!
De nouveau, Mouallim leva la tête. L'Opéra municipal, et théâtre aussi, apparaissait, lui, telle une façade de montagne rocheuse taillée en une architecture coloniale démodée; et, pourtant, ce fut bien là que le théâtre algérien s'imposa. Ce fut grâce à l'inimitable comique et humoriste Rachid Ksentini et à l'incomparable homme de théâtre Mahieddine Bachetarzi. Celui-ci, organisateur habile, artiste doué et fin pédagogue, forma son public de longue main, - il programmait des séances spéciales pour «les femmes» en matinée et pour «tout le monde» en soirée (). Sa troupe, composée de comédiens de talents, pouvait jouer tous les genres de théâtre. «Mahieddine ()» - il était surtout connu de son seul prénom - s'entoura de grands auteurs qui savaient rivaliser d'intelligence pour contourner la censure inévitable des agents de l'administration policière de l'époque, triés sur le volet, pointilleux et soupçonneux par système. Et, faut-il le dire, ils n'avaient pas tort, car dans les dialogues, les expressions gestuelles, les éléments du décor, que de messages à caractère nationaliste étaient-ils glissés!
Ensuite, Mouallim descendit, clopin-clopant, l'escalier de la rampe Magenta et se retrouva exactement à l'endroit même où il avait pris clandestinement l'autocar de l'«Autotraction de l'Afrique du Nord ()» pour Soûr El Ghouzlâne, un certain jour, - quel jour de la semaine était-ce? Comment pouvait-il se le rappeler? Cela faisait des années! Un siècle, peut-être!... Il ne voulait pas le savoir. Dans sa tête, assez de bruit, de temps à autre, un vacarme infernal, l'incommodait, l'agaçait.
Pourquoi était-il revenu à son point de départ? Il hocha la tête, serra son paquetage. Mais non, ce n'était pas là qu'il devait aujourd'hui prendre son autocar. Vite, il retourna sur le boulevard de la République.
Enfin, il repéra, au numéro 1, la station des «Auto-Cars Blidéens (ACB)», les fameux autocars de couleur rouge vif pour Blida, Miliana, Affreville,...et qui s'arrêtaient souvent à Birkhadem, un des plus beaux villages de la grande banlieue d'Alger. Or, l'autocar, desservant Birkhadem, déjà complet, s'apprêtait tout juste à démarrer. Le conducteur, remarquant les difficultés de l'éventuel passager à se hâter, l'attendit. Aidé du receveur, Mouallim, le corps en sueur, réussit à monter et à prendre son billet. Tous les sièges étaient occupés par des femmes voilées, des jeunes filles ne portant pas le voile, habillées comme des Européennes, des hommes et quelques vieillards. Il se tint debout dans le couloir comme d'autres voyageurs, des jeunes collégiens excités qui, à les entendre se raconter mutuellement leurs prouesses de patriotes, rentraient chez eux après avoir participé à la liesse populaire dans les artères et les places d'Alger...
Durant tout le trajet par la route moutonnière, Le Ruisseau, Birmandreis, Les Vergers, Birkhadem, Mouallim les écoutait, parfois souriant, parfois distrait, parfois indifférent.
Et, plus que tout, il s'irritait lorsque l'autocar ralentissait, comme exprès seulement pour lui-même, pour heurter sa conscience présente en lui rappelant un passé trop douloureux dont il venait de sortir.
Birkhadem était en fête
En effet, pourquoi, tandis que des millions et des millions de guirlandes de petits drapeaux algériens embellissaient, tels des colliers, les rues, les avenues, les boulevards, les carrefours, les quartiers, pourquoi fallait-il qu'il lût ces sauvages et menaçants graffitis du passé, tracés sur les murs à la peinture de couleur noire ou de couleur rouge, les couleurs de la haine et du sang? Pourquoi conserver ces souvenirs horribles? Pourquoi ne les avait-on pas nettoyés? Il y en avait des quantités: «L'armée vaincra»;
«L'OAS veille»: «L'OAS frappe où elle veut et quand elle veut», «L'Algérie est française et le restera», «Vive l'Algérie française», «La France reste»,... Non, non, pas ces souvenirs!
Muet, Mouallim tremblait de colère et de déception. Son regard affolé cherchait peut-être une réponse. Dans l'autocar, il ne reconnut personne, et personne ne le reconnut...
Mais, à l'approche de l'entrée de Birkhadem, sur la route bordée alternativement de diverses espèces dont de gros ficus feuillus bien alignés, un peu d'air frais, entrant par les vitres baissées de l'autocar, le ranima.
Et puis, il frémit de joie en apercevant, loin à l'écart, au-dessus des toits d'un groupe de maisonnettes blanches, la cime verdoyante ébouriffée du ficus «révéré» par les Birkhadémois. D'une espèce rare et différente de tous les ficus environnants, cet arbre serait plus que centenaire. Pour le nourrir, ses racines puisaient profondément dans la terre fertile des lieux et dans l'eau pure alimentant la fontaine historique de la non moins historique mosquée édifiée par Hassan Pacha, en 1797.
Un peu plus loin, Mouallim écarquilla les yeux. Son coeur bondit, et son contentement se fit sur son visage: sur un mur fissuré, étaient tracées à la peinture verte, en français et en arabe, les lettres de cette juste et engageante affirmation: «Un seul héros, le Peuple!».
On entendait de la musique et des chants patriotiques diffusés par des haut-parleurs placés de distance en distance entre la mairie et la place centrale. La population birkhadémoise manifestait sa joie, comme la population d'Alger, comme partout en Algérie... Tout au long de la grand-rue, dans les rues adjacentes et aux frontons des édifices officiels, flottaient des drapeaux de grandes dimensions et, suspendus en guirlandes, des drapeaux plus petits, tous aux couleurs nationales.
L'autocar, à grands coups d'avertisseur, avançait avec attention dans la grand-rue presque totalement envahie par la foule joyeuse et insouciante. Il se frayait difficilement un passage qu'une troupe de scouts s'acharnait à lui ouvrir, prenant à coeur d'assurer un service d'ordre citoyen.
Mouallim, s'adossant fermement à un siège, frétillait d'émerveillement. Dans la voiture, personne ne semblait fâché ni impatient d'être empêché de passer au milieu de la foule qui s'obstinait à stagner plutôt qu'à s'écouler vers les trottoirs. C'était, entre les passagers et les piétons, un moment d'échanges, d'amusements et de sourires. Après plusieurs minutes d'avancées, d'arrêts et de reprises, l'autocar «rouge», aux lettres ACB formant un sigle très connu, parvint enfin au terminus de la ligne de transport Alger-Birkhadem, situé au centre-ville, près de la mosquée. Il se rangea le long du trottoir, à proximité d'un palmier. Il stoppa au grand soulagement des passagers trempés de sueur, mais ravis de trouver la même ambiance de liesse qu'à Alger.
Le receveur cria machinalement en posant le pied sur le trottoir:
«Terminus! Tout le monde descend.»
Extrait du roman: «La quatrième épouse» de Kaddour M'Hamsadji


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