Ce que le temps n'a pas réussi à opérer durant quatre siècles, l'homme a réussi à le faire en un clin d'oeil... Silence, on massacre la Casbah ! Chut ! Que personne ne parle et laissons l'usure poursuivre sa sale besogne. L'heure est à la destruction. Mais ne dit-on pas qu'avant de détruire, il faut savoir construire ? En Algérie, même lorsqu'on construit, on construit faux. L'heure est à tout revoir, de fond en comble. Pourtant, la Casbah, dont la construction a commencé en 1516, a été inscrite sur la liste du patrimoine mondial à la 16e session de l'Unesco, en décembre 1992. Maintenant que le temps a «plié le tapis de ses noces», on assiste tristement à sa lente agonie. Ce que le temps n'a pas réussi à opérer durant quatre siècles, l'homme a réussi à le faire en un clin d'oeil...et ça se poursuit encore. «On ne cesse d'en parler, mais notre écho ne parvient toujours pas aux oreilles des autorités censées prendre en charge cette cité historique. Si on poursuit dans cette politique, on assistera prochainement à la disparition de l'un des pans les plus importants de notre histoire», a tenu à souligner le secrétaire général de la fondation Casbah, M.Ammour, hier, lors d'une visite guidée organisée au profit de la presse nationale. Dans les ruelles étroites et disgraciées que nous avons traversées en compagnie des responsables de ladite fondation, nous avons «eu droit» à des sinistres paysages: des sacs de sable déposés à même le sol, barrant ainsi le passage; des détritus jetés çà et là et on passe par ces «montagnes» de terres dégagées suite à la destruction de quelques bâtisses. Attendez, ce n'est pas tout ! En levant la tête, le paysage est encore plus lugubre. Des maisons entières sont détruites. Dans certains coins, l'usure n'a pas uniquement touché des habitations, mais des rues entières. Ceci est le cas, à titre d'exemple, de la rue Kléber, sise en Haute-Casbah. Là, le panorama est désagréable. Des maisons ont assisté au délabrement des murs à la dernière brique. Certains autres murs tentent l'impossible: rester debout en défiant la pluie, la grêle et la neige. «Ne dites pas qu'il faut se taire. Regardez, le spectacle est désolant! Vous voyez bien?» indique le président de la fondation Casbah. Et là où le temps a oublié de mener sa mission à terme, intervient le facteur humai. Comment? En tentant de restaurer les habitations menacées d'effondrement, les propriétaires, par méconnaissance des règles architecturales qu'il faut prendre en compte dans ce genre d'opérations, ont donné à la Casbah un autre visage: celui d'une cité moderne. En effet, nombreuses sont ces maisons qu'on a «restaurées» en utilisant de la brique et du ciment. Certaines habitations sont devenues de véritables villas construites sur la base d'un plan moderne. «Ceci tue cela» écrit Hugo dans Notre dame de Paris. L'architecture moderne vient à bout de l'ancienne. Mais que font les autorités concernées, à savoir la wilaya d'Alger, pendant tout ce temps? «Elles sont tout simplement absentes», nous dit le SG de la fondation Casbah. «Le wali délégué de Bab El Oued est venu hier (samedi, Ndlr), il a promis d'envoyer une équipe pour faire l'état des lieux et prendre en charge les bâtisses menacées d'effondrement», nous indique un Casbadji. D'autres ont interpellé le président de la République pour intervenir. A se poser maintenant la question s'il faut laisser la plus vieille cité d'Algérie sombrer dans le chaos. Pourtant ce genre de ville est destiné exclusivement au tourisme. Cependant, les autorités ont procédé uniquement à la restauration d'un quartier destiné aux touristes. Et le comble, c'est qu'en réhabilitant les vieilles bâtisses, les autorités n'ont pas pris en considération les normes de construction spécifiques à ce lieu. Pour rappel, les premières études pour la sauvegarde du site de la Casbah d'Alger sont conduites dans les années 70. Un plan d'aménagement est mis en oeuvre à partir de 1981. Il porte en particulier sur le bâti de la période 1816-1830 pour mettre en valeur la ville à l'époque de l'influence ottomane, 1816 étant la date à laquelle le centre politico-administratif fut transféré à la citadelle; ce déplacement a entraîné un nouveau flux de population vers la Haute ville. Il a été notamment suivi d'un plan d'action-programme prioritaire en 1985 et d'un plan directeur d'aménagement et d'urbanisme en 1992. Mais à ce jour, rien n'a été fait.