Elles ont réconcilié les Algériens avec la politique Jamais l'Algérie n'a été dans pareille situation où l'urgence ne se calcule pas en mois ou en semaines, mais en quelques jours seulement. Il reste que quelle que soit l'issue de ce bras de fer politique, il doit être exclu que la situation dégénère en affrontements. L'Algérie bouclera demain une semaine très particulière depuis l'indépendance du pays. Un certain 22 février, les Algériens sont sortis par milliers à travers tout le territoire national. Même si le caractère anonyme de l'appel a fait craindre des dérapages, en raison de la similitude avec les événements d'octobre 1988, les manifestants ont su démontrer à l'opinion nationale, comme au reste du monde, toute leur maturité et un sens très élevé de la civilité. Les forces de sécurité ont «joué le jeu» et les marches qui avaient suscité quelques appréhensions, ont fait bien mieux que briser le tabou de l'interdiction des manifestations de rue dans la capitale. Elles ont réconcilié les Algériens avec la politique. Tout le pays n'a que la prochaine élection sur les lèvres. Depuis le 22 février, les démonstrations se sont succédé. Celle de Mouwatana à Alger, suivie par les rassemblements et les marches estudiantines, à travers de nombreux campus universitaires, ont fini par redessiner la carte politique nationale, avec en son centre, une force nouvelle que personne n'avait vu venir. Cette «intrusion» dans un débat «d'initiés» aura eu le mérite de reposer les données de l'équation politique. La scène nationale ne se résume désormais plus à un face-à-face entre un pouvoir omniprésent, très bien structuré et une opposition dispersée, faible et incapable de s'unir. Le troisième acteur est cette nébuleuse qui monte de jour en jour et que personne ne peut, aujourd'hui contrôler, ni en connaître les limites. De marche en marche, l'opinion nationale voit grossir le «monstre anonyme». Personne ne peut estimer sa force réelle, mais tout le monde sait qu'entre de mauvaises mains, la formidable énergie, sortie des entrailles de la société, est capable du pire. La marche, dont l'appel est encore anonyme et qui aura lieu demain dans l'ensemble du pays, promet d'être la démonstration finale de ce que veulent les Algériens qui se mettent en travers de la candidature du président de la République. De la taille de cette manifestation dépendra la suite des événements, pourrait-on dire. Mais avant, les Algériens sont en attente d'un signe de la part du pouvoir et surtout, du président lui-même. Les Ouyahia, Bouchareb, Sellal et les autres ont certes tenté de donner les contours de l'état d'esprit du chef de l'Etat, à savoir que le respect dû au peuple et à sa liberté d'expression demeure une «religion». On pourrait, en effet, gloser sur la «surprise du système» ou encore sur la «panique qui règne en haut lieu», il y a un fait qu'aucun observateur ne pourra nier, c'est le comportement exemplaire des fonctionnaires de police. Ces derniers n'agissent pas de leur propre chef. Ils ont reçu des ordres. L'autre signal émis par l'entourage du président-candidat consiste à se mettre à la même hauteur que ses adversaires. Les Algériens ont le droit de ne pas apprécier l'actuel chef de l'Etat. Ce ne sera pas la rue qui en décidera, mais l'urne. L'échange entre des Algériens mécontents et le président, par responsables politiques interposés, n'est visiblement pas suffisant pour délier la situation, à voir la multiplication des appels aux manifestations. Le moins que l'on puisse dire est que les partisans de Bouteflika n'ont pas convaincu, puisque la masse des mécontents gonfle de jour en jour. C'est dire que l'exigence de la rue n'est pas satisfaite, mais plus encore, l'impression que l'Alliance présidentielle botte en touche est une évidence pour nombre d'Algériens. La prochaine étape sera-t-elle dans un message qu'adressera directement le chef de l'Etat à la nation? Beaucoup d'observateurs optent pour cette issue, et certains se portent «volontaires» pour «aider» le chef de l'Etat dans le choix des mots. Jamais l'Algérie n'a été dans pareille situation où l'urgence ne se calcule pas en mois ou en semaines, mais en quelques jours seulement. Il reste que quelle que soit l'issue de ce bras de fer politique, il doit être exclu que la situation dégénère en affrontements. Les événements d'octobre 1988, l'insurrection de l'ex-FIS en 1991, l'horrible décennie des années 90 et le printemps noir de 2001, sont autant de traumatismes qui doivent servir de leçons aux Algériens pour ne pas retomber dans le piège de la division. L'anonymat des appels à la marche du vendredi n'est visiblement pas un facteur limitant de la marche puisque des partis annoncent leur participation, mais gare aux dérives!Une étincelle et le pays risque de faire un autre bond dans le passé.