Les éthiopiens votaient en nombre et dans le calme, hier, pour des élections repoussées à deux reprises et scrutées à l'étranger, sur fond de doutes sur leur crédibilité et de famine dans la région du Tigré en guerre. Il s'agit du premier test électoral pour le Premier ministre Abiy Ahmed, 44 ans, qui avait promis à son arrivée au pouvoir en 2018 d'incarner un renouveau démocratique dans le deuxième pays le plus peuplé d'Afrique, rompant ainsi avec ses prédécesseurs. «La volonté du peuple éthiopien sera garantie», a-t-il déclaré lors d'une visite dans sa ville de Beshesha, où il a voté. Cela permettra de «garantir l'aspiration de l'éthiopie en tant que nation souveraine (et) de faire échec aux intentions néfastes de ceux qui nous veulent du mal», a ajouté le prix Nobel de la paix 2019, affirmant: «L'éthiopie l'emportera. Les éthiopiens prospèreront.». Dès le petit matin, les files d'attente devant les bureaux de vote étaient fournies, dans la capitale Addis Abeba comme à Bahir Dar, ville principale de la région Amhara (Nord-Ouest). La commission électorale a rapporté plusieurs incidents, évoquant de «hauts niveaux d'intimidation de représentants de partis» dans les régions de l'Amhara, du SNNP (Sud) et de l'Afar. Contactée, l'antenne du parti Ezema en Amhara a notamment indiqué qu'un de ses observateurs a été frappé dans le village de Dasra, à une cinquantaine de kilomètres de Bahir Dar, tandis que plusieurs ont été empêchés de travailler dans d'autres bureaux de vote. Plusieurs électeurs et responsables politiques interrogés ont eux salué un scrutin plus démocratique que les précédents, où la vie politique était sous la coupe d'une coalition au pouvoir depuis 1991. M. Abiy avait promis que ces élections législatives et régionales seraient les plus démocratiques que l'Ethiopie ait jamais connues. Berhanu Nega, un des principaux dirigeants de l'opposition, ancien prisonnier et exilé politique, s'est félicité de la participation «qui semble bonne». «Espérons que cela finisse proprement», a-t-il espéré. «J'espère que ça ne sera pas une élection du passé, que ce sera une élection qui détermine l'avenir, que ce pays emprunte une trajectoire totalement nouvelle.» Internet, réseaux sociaux et télécommunications fonctionnaient normalement en cette journée redoutée sensible, rompant avec les habitudes des autorités qui n'hésitent pas à opérer des coupures pour prévenir toute violence ou déstabilisation. Le Parti de la Prospérité, le mouvement d'Abiy Ahmed, qui compte le plus grand nombre de candidats au Parlement, est le grand favori pour remporter une majorité. En éthiopie, les députés élisent le Premier ministre, qui dirige le gouvernement, ainsi que le président, dont la position est honorifique. D'abord prévues en août 2020, les élections ont été reportées à deux reprises, en raison de la pandémie de coronavirus puis de difficultés logistiques et sécuritaires. Quelque 38 millions d'électeurs sont enregistrés mais tous ne se sont pas rendus aux urnes hier, le vote n'ayant pas lieu dans un cinquième des 547 circonscriptions du pays. La majorité de ces zones, touchées par des violences ou des insurrections armées ou bien connaissant des problèmes logistiques, voteront le 6 septembre. Mais aucune date n'a été fixée pour les 38 circonscriptions du Tigré. Dans cette région, une opération militaire lancée par le gouvernement en novembre a dégénéré en un conflit dévastateur, marqué par de nombreux récits d'exactions sur les civils (massacres, viols...). La Haute-Commissaire de l'ONU aux droits de l'homme, Michelle Bachelet, a rappelé, hier, les «graves violations» des droits humains dans cette région, où la situation humanitaire est «terrible». Selon l'ONU, plus de 350.000 personnes y sont en situation de famine, ce que conteste le gouvernement éthiopien.