Le président ukrainien, Volodomyr Zelensky, a eu le beau rôle, hier, à Djeddah. Imposé par le prince héritier d'Arabie saoudite, Mohamed ben Salmane, à ses pairs arabes, le président ukrainien a trouvé l'opportunité de s'exprimer et même de blâmer certains pays pour leurs position vis- à- vis de la guerre en Ukraine. «Malheureusement, certains pays dans le monde et ici, parmi vous, ferment les yeux sur ces prisons et annexions illégales», a lancé Zelensky face à un auditoire désarçonné par cet invité annoncé à la dernière minute. Le président ukrainien est dans son rôle. Il défend son pays et, à ce titre, il expose sa version et tente, dans la foulée de «culpabiliser» les participants au Sommet arabe, qu'il appelle à «jeter un regard honnête» sur la guerre que son pays mène depuis février 2022. Avant de recevoir le privilège, octroyé par son hôte, de prononcer un discours à la plénière d'un Sommet, Zelensky a remercié MBS pour «son soutien à l'intégrité territoriale» de l'Ukraine. La présidence ukrainienne qui a relayé sa déclaration dans un communiqué, a annoncé une invitation adressée au prince héritier saoudien à se rendre en Ukraine. Que Riyadh accueille un président en guerre relève de sa pleine souveraineté et personne ne peut lui en tenir rigueur. Mais que la visite intervienne dans le cadre d'un Sommet réunissant 22 délégations sans en informer aucune, relève du «délit diplomatique». Peut-on, en effet, jouer à ce point, de la crédibilité d'une organisation transnationale, sans risquer son implosion? La réponse est certainement dans le déroulement «chaotique» des travaux du 32e Sommet arabe de Djeddah. Même si l'on n'a enregistré aucune «sortie de piste» de la part des responsables arabes présents à la réunion, la fin précipitée de celle-ci informe sur le préjudice causé à l'organisation panarabe par cette invitation surprise. Les observateurs ont noté une impression de bâclage du Sommet, juste après le mot du président ukrainien. Comme si l'objectif des organisateurs avait été atteint. Même si dans la déclaration finale, les résolutions d'Alger ont été reprises, il n'en reste pas moins qu'au niveau de l'exécution, il n'y avait rien à attendre. Avec plusieurs foyers de tension, en Syrie, au Soudan, en Somalie et au Yémen, en sus de situations économiques compliquées dans beaucoup de pays arabes, était-il si urgent d'associer le Sommet à une guerre qui n'intéresse les peuples de la région que de façon marginale? Force est de reconnaître que l'invité surprise au Sommet a gâché l'occasion d'évoquer les véritables problèmes que vit le Monde arabe. Même le retour de la Syrie au sein de l'organisation a été quelque peu occulté. L'une des principales raisons d'être de cette rencontre de chefs d'Etat et de gouvernement était censée être la reconstitution de la Syrie détruite par une guerre atroce et un terrible tremblement de terre. Cela avec la mère des causes arabes: la Palestine. Au moment où se tenait le Sommet, on enregistrait des morts parmi les Palestiniens. Le sang des victimes de la dernière agression sioniste n'a pas séché que l'on se met à parler d'une guerre, où l'on n'est concerné ni de près, ni de loin. La guerre qui devrait préoccuper les Arabes est celle, civile, qui se mène au Soudan. Le Yémen, la Somalie, la Libye constituent autant de sujets de débats nécessaires dans le cadre d'un pareil Sommet. Et ledit débat devrait déboucher sur des «Plans Marshall» en faveur de la Syrie, la Palestine et les autres pays où des peuples arabes souffrent au quotidien. En organisant ce Sommet, l'Arabie saoudite avait une opportunité historique de faire jouer le nouvel ordre mondial naissant, en remettant en selle la nation arabe. Les Brics ont apporté leur soutien aux pays arabes lors du Sommet d'Alger. L'heure est au multilatéralisme. Les Arabes ont la possibilité de constituer un pôle de puissance et de croissance. Au lieu de cela, MBS a visiblement opté pour une sorte de naufrage. Il a réduit le 32e Sommet de la Ligue des Etats arabes en un simple faire-valoir de l'Occident. De là à imaginer un soutien financier de l'effort de guerre de l'Ukraine à coups de dizaines de milliards de dollars, il n'y a qu'un pas. Pareille perspective serait désastreuse pour toute la région. Cela signifiera un renforcement de la présence occidentale au Proche-Orient, avec ce que cela suppose de tensions politiques majeures. L'une des lectures que font les observateurs pour expliquer l'invitation de Zelensky au Sommet de Djeddah tient dans la pression exercée par les Etats-Unis sur Riyadh qui a malheureusement cédé. De fait, la présence du président ukrainien en Arabie saoudite pourrait être d'inspiration occidentale. L'objectif est d'entraîner la région Mena dans le soutien direct à l'Ukraine et la couper de la Russie et, partant des pays des Brics. Si ce plan réussit, Zelensky aura été le plus indésirable des invités surprises.