«La colline Oubliée» serait peut-être le roman de Mouloud Mammeri le mieux indiqué pour la circonstance. Il s'agit bel et bien de relire et non pas de lire. Car la lecture des quatre romans de Mouloud Mammeri est une chose évidente pour tout Algérien. Qu'il s'agisse de «La colline oubliée», del'opium et le bâton» ou de «la traversée» ou encore du «Sommeil du juste», ce sont tous des romans de haute fac»ture littéraire. Ces oeuvres font partie de ce qui a été écrit de mieux dans la littérature algérienne et maghrébine. Mais «La colline oubliée», qui est le premier roman de Mouloud Mammeri, demeure à tous points de vue, l'oeuvre majeure par excellence de cet immense intellectuel. Même quand il s'agit d'évoquer le fils d'Ath Yanni, on a tendance à écrire sans hésitation: l'auteur de «La colline oubliée». C'est dire qu'il s'agit de son roman phare. La colline oubliée a été édité, pour la première fois en 1952. L'écrivain Chabane Ouahioune, natif de la même région que Mammeri, nous a déclaré que ce dernier le lui avait confié pour lecture en primeur, avant son édition. «Quand j'ai lu ce roman qui était encore un manuscrit, j'ai été tout simplement subjugué devant autant de talent et face à la maîtrise de la langue française dont a fait preuve Mouloud Mammeri», nous a confié Chabane Ouahioune peu de temps avant son décès. C'est par un pur hasard que Ouahioune s'est retrouvé hébergé dans le même hôtel que Mammeri, au début des années cinquante. Cette proximité lui a permis de lire ce chef- d'oeuvre avant tout le monde, avant même qu'il ne soit édité. Puis quand le roman est sorti, l'une des plus grandes consécrations à laquelle il avait eu droit, c'est indéniablement la critique élogieuse rédigée par le monument de la littérature arabe, Taha Hussein. Ce dernier maîtrisant la langue française puisqu'ayant poursuivi ses études supérieures en France, a salué ce roman, dans son ouvrage «Critique et réforme» (Naqd wa islah). «Nous n'avons jamais reçu de ce pays (l'Algérie, Ndlr), une oeuvre littéraire écrite en arabe, réussie avec une pareille perfection et excellence», a écrit l'auteur de «Le livre des jours». Le résumé de «La colline oublié» montre qu'il s'agit bel et bien d'une oeuvre complète retraçant tous les aspects de la ville: «1939, au coeur des montagnes de Haute Kabylie. Dans un village gouverné par les valeurs et les coutumes ancestrales, les existences se déroulent au rythme des saisons. Mokrane y est né, y a grandi et y vit dans l'alternance des douleurs, des espoirs, des vengeances. Au moment de la guerre, la mobilisation et le départ des hommes engendrent un désarroi confusément ressenti comme une malédiction sur le village. Les habitudes et les mentalités changent, l'ordre colonial commence à ébranler l'harmonie séculaire d'un monde enchanté sentant sa fin prochaine». Quand un premier long métrage en langue amazighe devait enfin être réalisé par Abderrahmane Bouguermouh, le choix de «La colline oubliée» s'est imposé de lui-même. Et à l'écran, la magie de l'oeuvre de Mammeri a été restituée de fort belle manière grâce au travail colossal mené par Bouguermouh mais aussi par tous les membres de son bataillon ayant contribué à la réussite de ce film sorti en 1996. Le roman «La colline oubliée» de Mouloud Mammeri est une merveille littéraire qui mêle allègrement l'esthétique de l'écriture à la densité narrative. Tous les ingrédients d'un grand roman y sont réunis. C'est l'un des meilleurs romans algériens de tous les temps. Il le sera sans doute pour longtemps. Pour toujours.
