Tombée de rideau pour la 78e édition du Festival d'Avignon. Comme chaque année, les festivaliers ont eu l'embarras du choix dans le In: 35 spectacles dont 29 créations, 218 représentations en 3 semaines, 55% de porteurs de projets étrangers de 11 nationalités différentes, avec une constante, pour les metteurs en scène invités, l'envie de raconter des histoires ancrées dans la réalité. Tiago Rodrigues qui a pris les rênes d'Avignon en 2023, a eu la belle idée de faire chanter une langue à chaque édition: «La langue invitée permet au festival de s'ouvrir à l'international, à l'autre, à l'étranger. C'est notre devoir de diplomatie culturelle». L'anglais l'année dernière, l'espagnol cette année soit trente pour cent de la programmation en lien avec la langue de Cervantès.: «Ce qui a permis, notamment aux peuples autochtones de s'exprimer qu'ils soient issus d'une minorité en Argentine, en Uruguay ou au Chili, ou qu'elles viennent de sortir de prison, les individus et leurs histoires vraies ont été entendus.». Pour 2025, Tiago Rodrigues a choisi.... l'arabe, cette langue retentira donc dans la Cité des papes. ll veut en célébrer l'importance (cinquième langue parlée dans le monde par quelque 274 millions de personnes) et la richesse. Dans la littérature, la musique et la poésie. Un acte politique?: «Le choix d'une langue au festival ne se fait pas au mépris d'une autre langue, explique-t-il. Il dépend beaucoup du dialogue avec les artistes de cette langue, d'une vraie volonté de partage des connaissances et des arts. Et il ne faut pas oublier qu'aux, premiers siècles de l'islam, la langue arabe a permis de préserver et de transmettre la langue grecque, ses philosophes, ses savants et a ainsi aidé à préserver une certaine idée de l'Europe....] Le portugais, par exemple, est nourri par la langue arabe, comme l'espagnol; et en français, plus de 800 mots en sont directement issus. C'est un héritage devenu souvent invisible, mais qu'on ne peut nier. Comme on ne peut négliger l'importance de la littérature arabe, de la poésie et de la musique arabes du Moyen-Orient à l'Afrique du Nord. Et la langue n'a pas tant bougé, ce qui n'est pas le cas de nos langues européennes: à la bibliothèque d'Avignon, des jeunes issus de l'immigration ont aidé sans peine à traduire un manuscrit très ancien. Il y a un an, j'ai donc entamé un dialogue avec l'ancien ministrefrançais de la Culture Jack Lang et l'Institut du Monde arabe qu'il préside depuis 2013. Il a tout de suite été d'accord pour collaborer avec nous.» On attend donc avec impatience l'édition 2025 qui fera résonner harmonieusement les mots de Kateb Yacine, Bashar Murkus, Ghassan Kanafani ou Naguib Mahfouz. En attendant, la cuvée 2024 se sera distinguée avec trois grands moments: l'adaptation virtuose de la française Séverine Chavrier du monumental Absalon Absalon de William Faulkner, dans lequel, l'auteur s'évertuera à démontrer que la mémoire croit avant que la connaissance ne se rappelle, et la magistrale mise en scène Elizabeth Costello sept leçons et cinq contes moraux par du polonais Krzysztof Warlikowski, d'après le roman du sud-africain J.M. Coetzee, ou bien Leviathan (monstre colossal) de la jeune Française Lorraine de Sagazan qui décrit la justice expéditive au cours de trois comparutions immédiates. Des procédures ultrarapides, dures et humiliantes vécues comme un cauchemar sans issue. Un festival Off mitigé Du côté du Off, le bilan est, par contre, moins réjouissant. En effet malgré ses 1666 spectacles sur 141 lieux et ses 24664 levers de rideau, en seulement 19 jours (contre 24 habituellement) pour cause de Jeux olympiques. Néanmoins dans le Off, le nombre total de billets vendus oscille entre 1,4 million (fourchette basse) et 1,6 million (fourchette haute) pour une jauge de 2,5 millions places. Ces premières estimations permettent de mieux mesurer l'ampleur du «Off» et de ses défis. Reste que le festival Off souffre du poids de la hausse des coûts financiers (location d'une salle et d'un créneau horaire, communication, logement et restauration des équipes et des comédiens...) mais aussi des difficultés de diffusion. Car les 1384 compagnies se doivent de jouer des coudes pour trouver, in situ, une scène dans les quelque 231 salles des 141 théâtres...«Pour la première fois, on songe à arrêter. On ne s'en sort plus», lâche un directeur de théâtre. «Autrefois, Avignon permettait de vendre suffisamment de dates de tournée pour être à l'équilibre ou en léger bénéfice. Désormais, ces dates - qui se raréfient parce que les collectivités locales n'ont plus d'argent - ne font que rembourser les pertes avignonnaises, constate-t-il avec dépit. Si on est honnête, ça n'a plus de sens.» Lieu de création théâtrale qui peut lancer une carrière, le festival Off, créé en 1966 par André Benedetto auteur et poète français, dans son théâtre place des Carmes (le In lui a été fondé en septembre 1947 par Jean Vilar) va devoir se réinventer s'il veut subsister. Dans le In, une constatation, la dissolution, fin juin, de l'Assemblée nationale et les deux tours des législatives en France semblent avoir peu impacér la fréquentation: Le taux de remplissage des spectacles tournait autour de 92% la première semaine, et de 97% la deuxième. «La lucidité démocratique des Français a permis d'éviter le pire au moment des élections législatives.» a relevé à l'heure du bilan le boss du festival Tiago Rodriguez qui a lui-même mis la main à la pâte en organisant dans la Cour d'honneur du Palais des papes un grand débat pour la sauvegarde de la démocratie au cours duquel il a averti solennellement que «exclure la culture du débat politique est une trahison».