Membre du comité d'expert Track-2 du système des Nations unies pour le suivi de la résolution Unscr-1540, Arslan Chikhaoui revient dans l'entretien qu'il nous a accordé, sur les tenants et les aboutissants de la décision française de reconnaître la prétendue marocanité du Sahara occidental. L'Expression: La décision de la France sur la prétendue marocanité du Sahara occidental aura-t-elle un impact sur la géopolitique régionale? Pourquoi, comment et quelle pourrait en être l'étendue? Dr. Arslan Chikhaoui: En termes d'analyse, il y a lieu de préciser tout d'abord que depuis neuf mois, la diplomatie française en Afrique du Nord s'orientait de plus en plus clairement vers un rapprochement avec le Maroc, pays avec lequel la crise bilatérale avait été intense et virulente de l'été 2021 à l'été 2023. Il était clair que Paris devait amender sa position afin d'accommoder les revendications de Rabat. Depuis 2007, la France soutient le plan d'autonomie du Sahara occidental, proposé par le roi Mohammed VI, mais sans valider expressément sa «marocanité», comme le réclame le Royaume. Cependant, un recalibrage de la doctrine française sur le sujet était bien présente. En effet, lors de sa visite à Rabat le 26 février 2024, le ministre français des Affaires étrangères, l'avait annoncé sans ambiguïté: «... la France le sait, la question du Sahara occidental est existentielle pour le Maroc et pour tous les Marocains. Nous l'avons dit et je le redis aujourd'hui peut-être avec plus de force. Il est désormais temps d'avancer, j'y veillerai personnellement...» En parallèle, la France donnait son feu vert à l'implantation d'entreprises au Sahara occidental, un geste symbolique qui laissait présager un positionnement stratégique au regard de la reconfiguration géopolitique qui se déroule dans la région Afrique du Nord et Sahel. Le pas franchi ce jour-là par Paris était considérable, il s'agissait de la première fois qu'un membre du gouvernement français reconnaissait le caractère «existentiel» du Sahara occidental pour le Maroc. Ce signal ne pouvait qu'être inquiétant car l'inflexion de Paris était bel et bien en gestation. Jusqu'à ce jour, officiellement, Paris considérait que le plan proposé par le roi Mohammed VI était «.... une base sérieuse et crédible d'une discussion pour un règlement du conflit...» Depuis 2007, sa position n'avait pas changé alors que, depuis décembre 2020, suite à la reconnaissance de la «marocanité» du Sahara occidental par les Etats-Unis sous la présidence de Donald Trump, alors en fin de mandat, le Maroc avait obtenu une évolution de la position de certains pays européens jugée favorable à ses intérêts. Le recalibrage de la doctrine française a également pour finalité d'accrocher son wagon aux Etats-Unis d'Amérique en prélude aux élections américaines de novembre prochain avec une forte probabilité, selon des spécialistes, d'un retour de Trump aux commandes et d'éviter d'être distancé. Mais aussi de manière implicite de soutenir l'accord d'Abraham-1 dont le Maroc est signataire. En termes d'analyse, cette position française confirme que le Maroc est présentement le «cheval de Troie» pour pallier la perte de présence et d'influence de la France dans l'espace francophone africain et dans l'espace sahélo-saharien. Les enjeux sont éminemment économiques. En résumé, le «cheval de Troie» sert pour certains de levier de reconquête et pour d'autres de levier d'expansion. L'accélération des mues politiques et géopolitiques en Méditerranée occidentale avec sa profondeur subsaharienne fait que les acteurs de puissance extrarégionales sont à la recherche de compromis en vue d'une recomposition de leurs alliances. Par voie de conséquence, deux aires stratégiques s'affrontent, il s'agit pour les uns de l'«aire d'intérêt commun» et pour les autres de l'«aire d'intérêt spécial». L'enjeu demeure présentement l'ancrage de ces acteurs de puissance sur le continent africain pour, notamment leur approvisionnement futur en minéraux critiques et rares, ce sont les 17 minéraux du tableau de Mendeleïev destinés à l'industrie alternative, au développement technologique et à la reconversion énergétique. Le Sahel vit une situation d'instabilité qui exacerbe les tensions. Voyez-vous un rapport entre la décision et la fragilisation du Sahel? En fait tout est lié en géopolitique. Rien ne se fait en valeur absolue, mais plutôt dans une optique stratégique. Le syndrome «dominant/dominé» est toujours présent. Nous sommes dans la logique de la réactivation du projet dit du «Sahara central» de la Lybie à la Mauritanie et à terme de la mer Rouge à la mer Atlantique. À l'ère de la recomposition de la cartographie géopolitique de la région Méditerrafrique deux projets s'articulent en parallèle, celui du «Grand Moyen-Orient» et celui du «Sahara central» et dont la finalité est de servir l'approche de dématérialiser les lignes frontalières pour une fusion d'envergure. Cette approche des acteurs de puissance malveillants mise sur le maintien sous tension de deux zones principales de crise d'intensité variable, à savoir, le flanc oriental de la Méditerranée et le flanc sahélo-saharien avec ses axes d'ancrage en mer Rouge et en mer Atlantique. Toute cette situation ne fera qu'accentuer un climat de tensions dans cette sous-région méditerranéenne avec la montée exponentielle des fléaux transnationaux, tels que le terrorisme, le narcotrafic et le trafic d'armes, la traite humaine, ainsi que le déplacement de populations qui menacent la stabilité de cet espace géostratégique riche en ressources minières critiques et stratégiques nécessaires à l'industrie alternative décarbonée et à la poursuite de la révolution technologique.