Quand je mis le premier pas à Boufarik de l'année 1968, je fus sidéré par la tranquillité de cette ville qui ne connaissait pas encore la fluidité des villages environnants qui déversent leurs foules et voitures tonitruantes. J'étais venu avec mon père qui récoltait des melons. Nous avons atterri de nuit dans le marché de gros qui se situait à Blida. Avant la levée du jour, nous avions déjà vendu une camionnette de melons et mon paternel m'envoya en compagnie du chauffeur remettre la marchandise à son acheteur qui se trouvait au centre de Boufarik. La ville était très calme. Les maisons coloniales n'étaient pas très hautes, mais il y avait des jardins à l'entrée, ce qui rendait la vue assez agréable. J'avais fait un tour dans le marché qui existe toujours au centre-ville où j'ai acheté une paire de chaussures et demandé aux gens à quelle distance se situait Alger. Comme la distance était assez longue, le chauffer a refusé de m'y accompagner en me promettant le voyage pour une autre fois. J'ai gardé de Boufarik le souvenir d'une ville calme et ouverte. Quand je repassais plus tard par la ville, parce que la route d'Alger passait par le centre-ville, je m'arrêtais pour prendre un café ou m'acheter des trucs avant de poursuivre mon chemin. J'ai appris en lisant Hamdane Khodja, plus tard, que Boufarik fut le premier village colonial, créé par Clauzel après de rudes batailles avec la Résistance où la Mitidja a donné le meilleur exemple de vaillance et de bravoure face à un ennemi surarmé puis il y a eu des carnages atroces puis une grande caserne fut créée en 1836 pour couper la voie de passage aux maquisards. Une fois la résistance menée par l'Emir Abdelkader ptit fin en 1847, les colons s'y installèrent, bâtirent la première église et la première école à Boufarik puis une mairie qui sera confiée à un autre Clauzel - certainement un parent du général- qui ouvrit la voie aux colons qui vont en prendre possession pour en faire « leur village », le premier du genre dans la terre conquise. Et ainsi commença l'histoire bouleversante de Boufarik. Ils aspirèrent l'eau en plantant des bouleaux et en créant de vastes champs d'agrumes parce que l'eau était abondante et la terre fertile. Un colon créa une fabrique de jus d'orange qu'il dénomma Jucop. Petit à petit ce jus avait conquis l'Europe et le monde entier, y compris les pays de l'Est, et grâce à Jucop Boufarik devint le centre des agrumes dans une ville très prospère. Après l'indépendance, Boufarik garda son caractère de « ville des oranges » ou simplement « ville de Jucop», doublée de villages agricoles datant du temps de Boumediene tout autour, pour ouvrir le champ aux AEC et EAI du temps de Bendjedid, qui existent toujours. Puis bien après, au centre des vergers, des fabriques de plastic et d'un tas de choses furent créés, surtout pendant les dernières décennies, jusqu'à rendre Boufarik blafarde et où la clémentine avait perdu de saveur et son prix réel. Beaucoup de villages sont sortis au grand jour tout autour de la ville et le flux de véhicules a donné un tumulte invivable pendant les dernières années. Puis il y a eu les années noires du terrorisme suivies de la pandémie du Covid-19, supposé être sorti, pour la première fois, de Boufarik avant de se répandre à d'autres villes du pays. On ne pouvait ni entrer, ni sortir, ni acheter la zalabia de Boufarik à notre guise, pendant le Ramadhan. Et Jucop a disparu des étals. Mais l'orange est restée bien présente, en pierraille, au carrefour du centre-ville, comme pour rappeler les jours de gloire de Boufarik. En sus de sa zalabia, il y a des usines qui se créent aux alentours, en donnant à la ville une seconde nature. Boufarik est en transformation continue où l'on assiste à la naissance d'une grande agglomération, sans qu'on se rende compte. De ville des oranges, à ville de zalabia, puis ville des vêtements car le marché est très prospère, Boufarik est en train de perdre son label de ville tranquille où il faisait bon vivre. Mais surtout, ses agrumes qui avaient conquis le monde...