Le principe de la création d'une Centrale syndicale algérienne remonte au Congrès du MTLD en 1953. Mais l'application de la décision du Congrès n'a pu voir le jour en raison de la scission du PPA-MTLD apparut l'année même. Il faut rappeler une décision essentielle en matière syndicale. En effet, les dirigeants du PPA-MTLD comprirent rapidement que sans l'appui des travailleurs le parti nationaliste risquait de se priver d'une force essentielle. C'est pourquoi le 1er Congrès du PPA-MTLD en 1953, reprit l'idée du Comité central et décida de créer une commission syndicale chargée de suivre toutes les questions intéressant le monde du travail. Aïssat Idir, membre du Comité central du PPA-MTLD fut chargé par la direction du Parti de constituer cette commission et de prendre les contacts préalables avec nos voisins marocains et tunisiens. La Commission syndicale comprenait: - Aïssat Idir, cadre aux ateliers de l'AIA de Dar El Beïda (ex Maison-Blanche), - Djermane Rabah, secrétaire au syndicat des dockers d'Alger et à l'Union algérienne des dockers, - Ben Aïssa Attalah, secrétaire au syndicat des hospitaliers et membre de l'Union algérienne des hospitaliers, - Bourouiba Boualem, secrétaire à l'Union algérienne des syndicats de cheminots, - Charef Bachir, secrétaire au syndicat des hospitaliers de Blida. - Oudjina Driss, permanent. C'étaient tous des militants du PPA-MTLD. Le rôle de la Commission prit rapidement de l'importance. Elle avait comme tribune l'Algérie Libre où la rubrique syndicale était assurée par Aïssat Idir. Pour la première fois l'activité des syndicalistes MTLD, qui militaient à la CGT, était coordonnée, des directives claires précisaient le rôle que leur imposait leur appartenance à un parti qui luttait pour l'indépendance de leur patrie... Au printemps 1955, Moulay Merbah tente de créer une Centrale d'obédience messaliste. Ex-membre du Comité central, il voulait en cela appliquer la décision du dernier Congrès du PPA-MTLD réuni en 1953, mais au profit exclusif du MNA issu de la scission du PPA-MTLD. Sachant combien ce projet tenait à coeur aux travailleurs algériens, il s'appuya sur Laïd Kheffache, Mohammed Ramdani, Mohammed Sellali, traminots, Ahmed Djemaï hospitalier et quelques autres pour tâter le terrain dans la capitale en vue de la création d'une Centrale syndicale nationale. Connaissant leur appartenance à la Commission syndicale du PPA-MTLD, les antennes du MNA prennent contact avec Djermane, Ben Aïssa, Bourouiba et les mettent dans la confidence. Ces derniers ayant opté pour le FLN, comme leurs activités en ce printemps 1955 sont limitées, ils se retrouvent fréquemment pour étudier l'évolution de la situation politique et plus particulièrement le sort réservé aux travailleurs algériens. Aïssat Idir étant chargé d'informer le Front, demande des instructions. Consigne donnée: maintenir le contact avec les représentants du MNA, assister aux réunions communes, faire traîner les choses en longueur. Ce qui ne les empêche pas de faire avancer leur propre projet de lancement d'une Centrale syndicale. Ayant tous des responsabilités syndicales à l'échelle algérienne, contrairement aux représentants du MNA, ils prennent contact avec les éléments nationalistes de leur connaissance. Une audience de l'Ugta d'abord algéroise Fin décembre 1955, la pression exercée par les messalistes se fait plus pressante. Djermane, Ben Aïssa, Bourouiba acceptent d'accompagner Kheffache et Ramdani à Paris en vue de préparer l'affiliation de la future Centrale à la Cisl (Confédération internationale des syndicats libres) qui groupe les travailleurs du «Monde libre». Ils rencontrent un représentant de l'Aflcio américain auquel ils demandent un appui lorsque la candidature de la future Centrale sera déposée au siège de la Cisl à Bruxelles. Les Américains sont réticents, car les membres de la délégation de syndicalistes qu'ils reçoivent sont tous des militants CGT et pour eux, qui dit CGT dit communiste. Avant de se rendre à Bruxelles, la délégation est reçue par Moulay Merbah qui insiste sur l'urgence de créer la Centrale, estimant que trop de temps a été perdu. Il décide de mettre à la disposition de la future organisation 6 millions de francs, ainsi que tous les militants dont ils auront besoin. Les militants du Front (Djermane, Ben Aïssa, Bourouiba) prennent quant à eux rendez-vous avec le représentant du FLN. Aïssat est mis au courant de la nature de la mission et des résultats enregistrés. Après un voyage en voiture, la délégation se rend à Bruxelles au siège de la Cisl. Le contact est froid. La CGT-FO, elle-même affiliée à la Cisl depuis sa création, a tenté de réduire à néant l'objet de la mission. L'étiquette communiste est sortie des tiroirs, le peu de représentativité est évoqué. Finalement le secrétaire général Holden Block déclare: «Constituez d'abord une organisation et on discutera après!». De retour à Paris, les parties concernées sont informées de la teneur des entretiens et des résultats enregistrés. À Alger un compte rendu est remis à Aïssat Idir qui le transmet aux responsables du Front soulignant l'urgence de prendre une rapide décision, si l'on ne voulait pas être coiffé au poteau, les messalistes étant prêts à lancer la Centrale. Les messalistes visaient à travers le regroupement des travailleurs algériens, dans une organisation syndicale nationale, la possibilité de recruter et d'organiser l'ensemble des travailleurs émigrés dans une «Amicale». Sous une couverture légale, ils pouvaient disposer d'une marge de manoeuvre et de pression importante qui aurait donné au MNA une autre envergure. Au cours de la période qui précède le 24 février 1956, Aïssat Idir et ses compagnons se retrouvent souvent. Les réunions se tiennent à Bologhine (ex Saint-Eugène), chez les parents de Boualem Bourouiba, chez Rabah Djermane à Oued Koriche (ex Climat-de- France) ou au café El Kamal à Nelson, à Bab El Oued, pour mettre au point un plan de mobilisation de tous les militants nationalistes qui, bientôt, seront à l'origine de la naissance de l'Ugta. Le Constantinois, l'Algérois et l'Oranie, aucune région ne doit rester en dehors de l'organisation syndicale. Le contact est maintenu avec Benyoucef Benkhedda, lequel s'est lui-même mis au service d' Abane Ramdane. Aïssat Idir, chargé d'informer le front La nouvelle année vient d'être entamée. Est-ce que 1956 sera la bonne pour l'Algérie, c'était encore du domaine du possible. D'autant que les Français avaient envoyé à leur Assemblée nationale une majorité favorable à la conclusion de la paix en Algérie. Mais rapidement, sous l'action des activistes français, la situation, notamment à Alger, se dégrade. Le départ de Jacques Soustelle, le 2 février 1956, dont le mandat n'est pas renouvelé, sera pour les Algérois, partisans de l'Algérie française, de faire une démonstration de force qu'ils renouvelleront, le 7 février, lorsque Guy Mollet, président du Conseil vient installer le général Catroux comme ministre résident. Ils ne veulent pas d'un monsieur taxé de bradeur. Il a fallu attendre que Mohamed Ramdani annonce dans les quotidiens du 16 février 1956 la constitution, le 14 février 1956, par le MNA, d'obédience messaliste, de l'Union syndicale des travailleurs algériens (Usta), pour que Mohamed Drareni informe Boualem Bourouiba que les responsables du FLN tiennent à rencontrer les militants syndicalistes au plus tôt. Trois à quatre précieux mois ont été perdus. L'annonce faite par les journaux d'Alger de la création de l'Usta, sonne le branle-bas de combat dans les rangs syndicalistes, mais également dans ceux des responsables du FLN. Là encore, Abane Ramdane fera preuve d'une lucidité remarquable, sa réaction sera à la hauteur de la nouvelle. C'est ainsi que la demeure des parents de Boualem Bourouiba, sise rue Delegny (Youcef Lamine) à Saint-Eugène (Bologhine) abritera cette rencontre, la première du genre, le 17 février 1956, à Saint-Eugène, chez les parents de Boualem Bourouiba, où est venu Benyoucef Benkhedda et Abane Ramdane, conduit par Pierre Chaulet dans sa 2 CV Citroën. Elle approuvera le rapport qui avait été préparé. Abane Ramdane et Benyoucef Benkhedda, au nom du FLN, appuieront totalement la démarche des syndicalistes et alloue, pour démarrer, une somme d'un million de francs. Dès l'arrivée de ses hôtes, qui passeront la nuit à son domicile en raison du couvre-feu, Boualem Bourouiba va chercher Aïssat Idir pour le ramener et entamer avec lui tous les détails de l'opération Ugta. Les statuts furent votés et déposés Après cette première réunion, une seconde, avant l'annonce officielle, rassemblera, chez le militant Mouloud Melaïne, où deux ans plutôt s'était tenu le dernier Congrès du PPA-MTLD, Benkhedda et le premier secrétariat de l'Ugta groupant Aïssat Idir, Ben Aïssa Attalah, Bourouiba Boualem, Djermane Rabah. Ce dernier propose Ali Yahia Madjid de la Caisse de sécurité sociale du port comme cinquième secrétaire, sa candidature est acceptée. Il fut ensuite décidé que le secrétariat sera l'émanation de la Commission exécutive composée de 21 membres, elle-même élue par le Congrès. Celui-ci composé d'une centaine de participants représentant plusieurs milliers de travailleurs de toute l'Algérie, se tint place Lavigerie à l'ex-siège de l'Udma, le 24 février 1956. Ce jour-là les statuts furent votés et déposés à la préfecture d'Alger. Les tâches sont réparties, les militants avisés, la déclaration préparée, c'est Aïssat Idir qui s'en occupe. Lettres à en-tête, logo, titre du journal, correspondance avec la Cisl, élaboration des statuts, recherche d'un siège. Ferhat Abbas accepte de céder le Nadi Saâdane, (El Mohammadia) ex place Lavigerie. Mais le dépôt des statuts des premiers syndicats, dans bien des cas, ne se fit pas lui-même sans problème. Les autorités françaises refusèrent dans un premier temps de les enregistrer. Ainsi les démarches insistantes de Djermane et de Mohamed Akeb tardaient à aboutir. Ce dernier suggéra de faire intervenir Ferhat Abbas. Le président de l'Udma conservait une grande autorité. Il reçut avec cordialité les militants et chargea Me Ali Boumendjel, avocat au barreau d'Alger, de prendre l'affaire en main. Ainsi fut enregistré l'acte de naissance de la Centrale. La Centrale créée, le recrutement bat son plein, l'audience de l'Ugta limitée d'abord à l'agglomération algéroise, s'étend rapidement à Blida, Boufarik, Sétif, Constantine, Annaba, Oran. Les délégations des travailleurs de toute l'Algérie affluent place El Mohammadia (Lavigerie), réclament les statuts types, des cartes, des timbres et s'en retournent constituer leurs syndicats. Il restait, pour sortir de l'isolement, une reconnaissance à l'échelle internationale. La même délégation du Front qui s'était déplacée en décembre 1955 en France et en Belgique reprend son bâton de pèlerin au courant de la première quinzaine d'avril 1956. Elle prend contact à Paris avec le représentant de la Fédération de France du FLN Mohammed-Salah Louanchi et le responsable des étudiants musulmans Mokrane Mohammed. Le franchissement de la frontière franco-belge ne se fait pas sans problèmes, les trois délégués sont constamment filés par la police française, aussi bien à l'hôtel qu'au siège de la Cisl. Les représentants de la Centrale internationale savent quel travail a été accompli en deux mois, les dizaines de milliers de syndiqués, la création d'une centaine de syndicats, la parution d'un journal L'Ouvrier algérien. L'audience recueillie par l'Ugta auprès des travailleurs ne fait pas l'ombre d'un doute. La candidature déposée est acceptée, elle sera examinée et retenue lors de la réunion de la Commission exécutive qui se tiendra en juillet 1956. À la tête de l'Ugta, Aïssat Idir avait pour mission le soutien au FLN, tout en évitant avec ce dernier une collusion trop apparente. Cette dernière précaution n'empêcha pas Robert Lacoste de procéder à la décapitation de l'Ugta. La totalité du premier secrétariat est arrêtée, ainsi qu'une partie du Bureau de la Commission exécutive. Le deuxième secrétariat subit le même sort avec Mohammed Flici (instituteur) qui était à la tête de l'organisme et son adjoint Mustapha Ladjel (employé de la sécurité sociale). Cinq secrétariats qui assurèrent la relève, furent arrêtés et le local de l'Ugta fermé d'abord, pour être ensuite occupé par l'armée française. Le 30 juin 1956 une charge de plastic explosa au siège de l'Ugta, Cercle Chérif Saâdane, El Mohammadia (ex place Lavigerie). De nombreux blessés dont deux seront amputés. Trente militants sont arrêtés. Les archives, des documents, de l'argent, une ronéo, une machine à écrire sont saisis. Le local est occupé quelques jours après, les nouveaux responsables syndicaux s'installent au siège du Mtld, 2, place de Chartres, Alger. Durant le temps que dura son activité légale, l'Ugta se distingua par son dynamisme. Avec des moyens de fortune, un journal L'Ouvrier algérien réussit à sortir une douzaine de numéros dont la plupart furent saisis, ce qui n'empêchait nullement leur diffusion non seulement en Algérie, mais en France, en Allemagne et dans les pays voisins, en Tunisie et au Maroc. Des actions patriotiques: le 1er mai, le 5 juillet, le 1er Novembre, des grèves réussies dans certaines corporations à la Somel, des élections du personnel chez les traminots. C'est au cours des onze mois que dura l'activité légale de l'Ugta, c'est-à-dire du 24 février 1956 au 28 janvier 1957 que se situe l'évènement important qui constitue un pas important vers l'indépendance, l'admission de la Centrale nationale algérienne au sein d'une organisation syndicale internationale et qui plus est, située dans le camp occidental. On a beaucoup épilogué sur les raisons d'un tel choix. Situé dans son époque, ce choix s'expliquait par l'étiquette que les Français voulaient à tout prix nous épingler: «Communiste». Faute de preuves, ils s'ingénièrent à fabriquer de toutes pièces des liens, en pure perte d'ailleurs. Sachant que la Fédération syndicale mondiale (FSM) ayant son siège à Prague et d'obédience communiste était favorable à l'indépendance de l'Algérie, l'adhésion de l'Ugta à cette centrale n'aurait rien apporté de nouveau, tandis que l'adhésion à la Cisl introduisait l'Ugta dans le camp où se situait les pays adversaires de l'indépendance de l'Algérie, pays possédant ou ayant possédé des colonies. La France était représentée par Force-ouvrière (FO) organisation soutenant la candidature de l'Usta (d'obédience messaliste). Par ailleurs au sein de la Cisl nous retrouvions et l'Ugtt et l'UMT et pouvions constituer un front maghrébin uni. Dekkar Rahmoun, militant du Front de libération et responsable de la fédération des postiers Ugta, et Mouloud Gaïd, furent chargés par Alger, de défendre le dossier de l'admission à la Cisl. Ils se rendirent à Bruxelles. L'Usta (messaliste) poursuit le même objectif mais la minceur de son dossier fit rejeter sa candidature; tandis que celle de l'Ugta est retenue au grand dam de la CGT/FO qui dévoilait ainsi les affinités et les alliances qui existaient entre les dirigeants du MNA et les responsables de la Sfio (la majorité des membres du gouvernement français). Désormais, il ne se passait pas un congrès important dans le monde ouvrier européen, africain ou asiatique sans que l'Ugta soit présente, pose le problème de recouvrement de l'indépendance de l'Algérie, dénonce le génocide perpétré par le colonialisme français. Clandestinité de l'Ugta En février 1957, alors qu'en Algérie l'Ugta était contrainte de plonger totalement dans la clandestinité, à Paris naissait l'Amicale générale des travailleurs algériens (Agta). Désormais il était possible, sous couvert d'une organisation légale, de regrouper les travailleurs émigrés, faire connaître leurs problèmes, dénoncer la répression dont ils étaient victimes, les aider à contribuer efficacement à la lutte de libération engagée par le pays tout entier. L'Ugta, après la grève des huit jours et l'arrestation de la plupart de ses cadres, dut renoncer à une activité légale sur le territoire national. Elle entreprit une activité internationale où elle affirma son rôle de Centrale nationale des travailleurs algériens, indépendante de toute centrale française. Tous ceux qui rejoignent le groupe, et ils sont de plus en plus nombreux, se retrouvent au siège de la Centrale. Aïssat Idir, habituellement réservé, s'adresse aux groupes de militants venus prendre la documentation, afin de constituer leur syndicat avec chaleur et conviction. Les jeunes sont enthousiasmés de la création de l'Ugta, mais aussi du soutien que tous doivent apporter au Front. Ils se renseignent: qui est cette personne à qui nous avons parlé? Lorsqu'ils apprennent que c'est le chef de file de l'Ugta, ils sont heureux et fiers. Le groupe, conduit par Aïssat Idir, va vivre trois mois, certainement les plus chargés de son existence. Beaucoup de travail sera réalisé, le journal lancé, plus de cent mille adhérents, une trésorerie florissante. L'adhésion à la Cisl est en bonne voie. Les syndicats naissent dans le Constantinois où les syndicalistes ne manquent pas. Rabah Djermane et Abdelkader Amrani se rendent en Oranie et feront, durant leur séjour, un excellent travail de recrutement et de structuration. Sans le soutien formidable, la coopération, la générosité, le patriotisme de militants et militantes hors du commun, jamais ils n'auraient pu réussir. Et l'Ugta vivra bien après le 24 mai 1956. Quatre autres équipes suivront le premier secrétariat national. Les unes après les autres se retrouveront à l'étranger, dans les prisons, les camps, ou bien encore dans les maquis d'Algérie.