Ce sont deux hommes religieux de haut rang, nourris de la double culture algérienne et française et représentant les deux religions les plus pratiquées dans les deux pays. Le cardinal Jean-Paul Vesco, archevêque d'Alger et Chems-Eddine Hafiz, recteur de la GrandeMosquée de Paris sont intervenus séparément, cette semaine, dans les médias des deux pays pour s'exprimer sur la crise qui secoue les relations entre la France et l'Algérie. Le représentant des chrétiens catholiques d'Algérie ainsi que celui des musulmans de France se sont élevés au-dessus de la mêlée pour prêcher une parole sage. Les deux interventions sur ce même sujet qui passionne les débats entre les deux pays sunt inédites de la part de deux personnalités religieuses. Il est, également, important de signaler que les deux hommes se rejoignent sur beaucoup de points, notamment celui à l'origine de cette envolée de violence verbale. Ils ont pointé du doigt le ministre français de l'Intérieur, ainsi que l'extrême droite française. L'archevêque d'Alger, dans une interview accordée au quotidien français La Croix exprime son «inquiétude» et sa «colère» face «aux propos jusqu'au-boutistes de certains responsables politiques français. L'impact de cette crise «est extraordinaire sur les personnes que je côtoie. Ici, l'attitude de la France est vécue comme insultante et injuste», fait-il constater. Dans l'histoire de la France, «la colonisation de l'Algérie est celle qui a laissé le traumatisme le plus profond (...)», a-t-il déclaré. L'archevêque d'Alger en appelle à «la conscience collective» pour mesurer la gravité des traumatismes causés, et ainsi refermer les plaies. Mais cela pourra-t-il se «passer autrement que par un geste fort entre deux hommes d'Etat? Comment cacher que j'ai espéré que les présidents soient les artisans de cette réconciliation historique», se dit le religieux. Mais les voeux du crdinal Vesco ne risquent pas d'être exaucés avec la politique de va-t-en guerre de Bruno Retailleau. «Ce qui me gêne dans les propos du ministre de l'Intérieur français, c'est le ton comminatoire de ses injonctions aux autorités algériennes. L'Algérie ne cède jamais face à ce type de discours, spécialement venant de la France. Le ministre de l'intérieur le sait mieux que quiconque. En Algérie, tout est fondé sur la relation de confiance» a-t-il dit. \À propos de l'avenir de ces relations, le religieux pense que la réconciliation est possible entre les deux pays, mais prévient que «le divorce entre la France et l'Algérie serait une voie suicidaire pour la France». Par ailleurs, et dans une tribune publiée par le quotidien national El Moudjahid, Chems-Eddine Hafiz, recteur de la Grande Mosquée de Paris, souligne la justesse de la position du président Abdelmadjid Tebboune, «face aux bourrasques d'un climat médiatique et politique français tout entier mobilisé contre l'Algérie - son Histoire, ses enfants, sa mémoire - n'a pas cédé à la tentation de la contre-offensive. Il a élevé la voix, non pour la hausser, mais pour l'habiter d'une hauteur» dit-il d'emblée. Celui-ci rappelle que «la République française a un président; c'est avec lui seul que se règle ce qui relève des relations bilatérales. Tout le reste est tumulte. Dans une époque où la scène médiatique est devenue une arène, où l'on lynche par tweets interposés et tribunes vengeresses, le chef d'Etat algérien choisit la gravité des institutions contre le vacarme des intentions. Cela, déjà, détonne», déclare Hafiz. Il se désole du fait qu'à travers cette guerre qu'on lui livre, «l'Algérien devient à nouveau figure du soupçon, héritier malgré lui d'une guerre que l'on veut faire survivre à travers lui». Dans le but de dépasser cette crise, le recteur de la Grande Mosquée de Paris, ne tarit pas d'éloges pour l'attitude sage du président algérien Abdelmadjid Tebboune. Cette attitude n'arrange pas, pour autant, les «fouteurs de trouble». «C'est ce calme-là, sans triomphalisme, sans effusion, qui dérange tant. Car il est l'antidote à la haine, et l'arme la plus raffinée contre l'oubli: la dignité» termine-t-il sa contribution.