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«C'est le verbe qui construit le rêve...»
YASMINA KHADRA À L'EXPRESSION
Publié dans L'Expression le 21 - 01 - 2008

Dans cet entretien, l'écrivain fait un large tour d'horizon et explicite sa vision des choses et des personnes.
L'écrivain Yasmina Khadra n'a pas perdu son sens de l'audace, son ambition universelle, sa soif d'être lu et sa faim d'être libre. Il évoque ses incessants voyages, ses projets d'écriture et de culture, et en appelle au réveil du peuple algérien.
Vous étiez en tournée à Damas au mois de décembre, et voyagez beaucoup: en tirez-vous toujours autant de bonheur?
C'est important pour un écrivain algérien de bénéficier d'un intérêt assez large. Cela permet aussi d'élargir mon audience. Lorsque j'étais en Amérique latine - je ne suis connu qu'au Brésil - j'essayais d'y attirer l'attention, pas seulement sur moi, mais sur la littérature algérienne en général. Parce que je pense que les Algériens ont quelque chose à dire.
Y a-t-il un pays qui, récemment, vous a marqué?
Dans tous les pays où je vais, je suis très bien accueilli. D'abord, les médias ont fait un travail exceptionnel; ils ont lu mes livres, ils les ont défendus. Quelquefois le peuple suit, quelquefois il ne suit pas - comme en Scandinavie, par exemple: malgré une couverture exceptionnelle au Danemark, le public n'a pas suivi. J'ai vendu à peine un millier d'exemplaires. En Suède, au contraire, je suis peut-être parmi les écrivains de langue française qui suscitent le plus d'engouement.
En Europe, tout va bien, sauf en Hollande, parce que le peuple s'est découvert une hostilité morbide à l'encontre des Arabes. Auparavant, mes livres marchaient là-bas, mais beaucoup moins depuis l'assassinat de Van Gogh(*).
ça l'a été par exemple pour les Sirènes de Baghdad. Cela prouve que beaucoup de choses en Occident sont des fantasmes: cette maturité, cette générosité, cette tolérance, toutes ces grandes valeurs qui sont supposées être occidentales sont préfabriquées.
Dans l'espace où votre écriture s'incarne, il y a quelque chose qui est très près de l'actualité; n'est-ce pas un défi, quelque chose de dangereux, et cela ne risque-t-il pas d'ôter à la littérature sa vocation de nous arracher à nos mauvais rêves, de trahir la fiction?
La littérature ce n'est pas seulement rêver, divertir, c'est aussi s'instruire. Quand je vois de quelle manière le monde est en train de patauger dans l'amalgame, la méconnaissance crasse de l'autre, il faut que je réagisse! J'ai la chance d'avoir une double culture, occidentale et orientale: je suis donc mieux placé que les écrivains occidentaux pour expliquer le monde.
J'essaie de lutter contre les stéréotypes, la désinformation médiatique, et la manipulation politique.
Vous pensez donc que la littérature a toute sa place dans ces tranches d'actualité...
Oui, elle y a toute sa place. Le monde se fait et se défait par le verbe. C'est le verbe qui construit le rêve, et aussi le désastre.
Où en êtes-vous dans votre projet de roman?
Je l'ai presque fini. Je suis toujours enthousiaste quand j'écris, quand je vis une histoire, exactement comme vous lorsque vous découvrez un livre. Sauf que je connais la fin: c'est ça le problème! Mais c'est un roman qui sort totalement de ce que j'ai fait auparavant. Je parle de la camaraderie et de l'amour. En temps de guerre, bien sûr.
Pensez-vous qu'il est temps pour vous de faire quelque chose de différent?
Oui, d'ailleurs j'ai le projet d'écrire un livre pour les enfants, mais pas n'importe quel livre. Je voudrais laisser pour les enfants quelque chose de très beau, à l'image du Petit Prince. Mais tant que je n'ai pas cette histoire et la conviction de réussir un livre aussi magistral, je ne le ferais pas. Il faudrait que je m'arme de patience. Et puis je voudrais écrire un livre érotique, aussi.
Pourquoi un livre érotique?
Parce que je suis un homme, et que je suis libre, aussi, de faire ce que je veux! Qu'est-ce qu'un romancier? C'est un dieu fantaisiste, il crée son monde comme bon lui semble.
Gardez-vous un maître à penser aujourd'hui dans la littérature, et y a-t-il un écrivain que vous lisez particulièrement ces temps-ci?
Bien sûr, d'abord il y a Nietzsche, Gogol, Steinbeck. En ce moment, je lis un peu de tout, de la littérature d'Amérique latine notamment. J'ai découvert un écrivain fantastique qui s'appelle Fernando Vallejo: il a écrit La Vierge des tueurs: je continue de découvrir ce livre; il est magnifique. Je lis aussi la littérature algérienne, qui reste méconnue. Elle se produit dans un pays complètement insensible à la générosité artistique et intellectuelle.
Aujourd'hui, le peuple algérien a-t-il perdu cette sensibilité?
Non, il a une grande sensibilité, car nous sommes des êtres écorchés vifs: la sensibilité, nous l'incarnons, et nous la subissons en même temps. Mais en Algérie, les gens sont plus obsédés par la survie. De cette façon, ils sont impliqués dans la prédation la plus effroyable, et la chose culturelle ne les intéresse pas. Ils n'ont pas le temps. Ils ont tellement faim. Faim d'eux-mêmes ou faim de sévir, faim de voler ou faim de corrompre.
Qu'aimeriez-vous dire aujourd'hui aux Algériens?
Je leur dis réveillez-vous! Réveillez-vous! Vous avez un pays riche et vous vivez comme des pauvres. C'est la preuve qu'il y a un dysfonctionnement non pas dans la société, mais en vous, dans la terre; en nous, dans notre mentalité.
Quel regard portez-vous aujourd'hui sur l'Algérie, au vu de ce qu'elle a vécu ces derniers mois?
Mon regard n'a pas changé, c'est toujours le même. Je souffre avec ce pays, mais en même temps, je m'adapte. Je n'ai pas baissé les bras. Je suis toujours outré de voir d'autres le faire, parce que nous n'avons pas le droit. Ce pays est un pays très cher, non par sa liberté, mais par son existence, même végétative! On ne devrait pas oublier tous ces morts qui ont été injustement arrachés à la vie, tous ces enfants, ces vieillards!
Est-ce cela aussi qui asseoit votre vocation?
Bien sûr, et quand j'écrivais mes romans sur l'Algérie, je me disais, «pourvu que chacun de mes mots soient dignes de chaque cri poussé par les êtres humains au cours de cette guerre.»
Aujourd'hui, l'Algérie se relève-t-elle?
Elle se réveille, surtout, mais du mauvais pied. Elle se cherche. Et elle commence à prendre plaisir à se chercher. Et lorsque l'on se complaît dans cette quête de soi, pour tourner en rond, c'est très dangereux.
Vous donne-t-elle toutefois encore l'envie de l'écrire et de la décrire?
Oui, c'est ce que je fais dans mon prochain roman -sur l'Algérie!
A chaque fois que vous y retournez, quel sentiment surgit?
Un sentiment de colère. Parce qu'à chaque fois que j'y retourne, je vois que la corruption est montée d'un cran, que la prédation s'accentue. Il y a quand même des espoirs.
Il y a des gens qui ont conscience de cette dérive, et qui essaient de réagir d'une manière assez intelligente. Sauf qu'ils manquent de moyens.
Vous qui êtes enfant de l'Algérie, et qui la connaissez si bien, avez-vous encore le pouvoir de l'imaginer?
Je l'imagine sous toutes les coutures! J'aime ce pays, pour le mal qu'il m'inflige, pour les espoirs qu'il suscite en moi. Je sais qu'il suffit d'une présence d'esprit.
Alors, nous sommes en train de traquer cette présence d'esprit. Un déclic, un petit déclic et l'Algérie va repartir.
Pensez-vous que des écrivains comme vous aident à la faire redémarrer?
Les écrivains peuvent contribuer considérablement à l'éveil du peuple, même quand le peuple a émietté toutes ses espérances. Il y a cependant deux sortes d'écrivains en Algérie: il y a ceux qui croient en l'Algérie, et qui se battent, et ceux qui la vendent aux chimères. Ils l'ont déjà condamnée. Et ils essayent, à partir de cette charogne, de faire un fonds de commerce.
Leur en voulez-vous?
Beaucoup, car j'estime que c'est de la lâcheté. On n'abandonne pas un bateau à la dérive. Il faut essayer de le sauver jusqu'au bout de nos moyens, jusqu'au bout de nos efforts.
Cela fait maintenant deux mois que vous êtes à la tête du Centre culturel algérien de Paris. Comment vous y sentez-vous? Avez-vous lancé quelque projet?
Pas encore. Je cherche. Rien ne sert de courir, il faut partir à point. Je suis quelqu'un de très prudent.
J'essaie donc de construire d'une manière assez raisonnable les projets que j'ai en tête. J'ai besoin pour cela d'une équipe, et de tous les Algériens. Si on veut transmettre la culture, ce n'est pas le problème d'une personne, c'est le souci de tout un peuple. Donc j'ai besoin de tous les artistes, tous les intellectuels.
Certains sont-ils déjà venus frapper à votre porte?
Il y en a qui viennent, il y en a d'autres qui continuent de considérer tout ce qui est algérien comme quelque chose de suspect. J'espère un jour qu'ils vont s'éveiller à eux-mêmes, parce qu'ils sont vraiment dans le ridicule.
Cette nomination est-elle pour vous une forme de reconnaissance?
Non, ce n'est pas une promotion, c'est une mission. Car j'étais sur un nuage, et maintenant je suis descendu beaucoup plus bas. Mais je le fais pour les gens qui attendent de moi quelque chose.
Aujourd'hui, vous sentez-vous libre, Monsieur Khadra?
Je suis toujours libre. J'ai toujours été libre. Depuis que j'ai quitté l'armée, j'ai décidé qu'aucune chose ne me barrerait le chemin. Accepter un poste comme celui-ci, c'est beaucoup de courage, mais j'aurais doublement le courage de le quitter à l'instant où je comprendrais que ce n'est pas véritablement ma place.
(* )En novembre 2004, le cinéaste Theo Van Gogh est assassiné en Hollande en raison de ses prises de position hostiles à l'Islam.


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