«Avec lui, on est entré dans une autre dimension. Il fait partie des génies de notre sport, comme Mozart avec la musique.» Après son prodigieux 9 sec 58 sur 100 m dimanche, le Jamaïcain Usain Bolt remet les pointes pour le 200 m des Mondiaux à partir de mardi à Berlin avec une seule question: Combien vaut-il? Autant le souligner d'entrée: sauf blessure ou disqualification, Bolt n'a plus d'adversaire sur 200 m. D'autant que l'Américain Tyson Gay, touché aux adducteurs, est forfait sur le demi-tour de piste, distance dont le Jamaïcain détient également la marque planétaire depuis les JO-2008 (19.30). Devenir le deuxième performeur de l'histoire sur la ligne droite (9.71) n'a pas suffi dimanche à Gay pour inquiéter Bolt. Au contraire, la seule conséquence de l'excellente course de l'Américain a été de faire courir son adversaire encore plus vite. «Avec lui, on est entré dans une autre dimension. Il fait partie des génies de notre sport, comme Mozart avec la musique», remarque le sprinteur français Martial Mbandjock, qui a eu la «chance» de participer à la demi-finale du 100 m avec Bolt dimanche. «Il a tout. Il peut être fréquent dans la course, il est haut sur ses appuis, il est puissant et il est décontracté. Avant, un "mec" de 1,96 m ne pouvait pas être devant au départ. Et là, il mène après 30 m et utilise sa taille. En plus, il réunit le tout le jour-J», souligne Mbandjock. Les techniciens aussi restent coi. «J'aurais donné ma vie pour assister à cet événement, lance Stéphane Caristan, le futur directeur des équipes de France. Il atteint des sommets de bio-mécanique avec son gabarit. Il fait ce que fait Powell (son compatriote) mais avec de plus grands leviers. 1,96 m pour une telle fréquence gestuelle c'est du jamais-vu», explique Caristan. Sa taille lui permet d'avaler la ligne droite avec des foulées moyennes de 2,50 m, avec 2,70 m pour les plus grandes. Conséquence, il ne lui faut que 40 ou 41 pas de géant pour boucler 100 m, contre 45 en moyenne pour ses rivaux. Sa vitesse de pointe a été calculée par certains experts à 44,72 km/h dimanche soir. Pour Guy Ontanon, l'ancien entraîneur de Christine Arron, la détentrice du record d'Europe du 100 m, ou Caristan, son attitude relax est aussi une force. «Courir en décontraction est toujours ce que je demande à mes coureurs», affirme Caristan. Maintenant, il s'agit de savoir ce que cela va donner sur le demi-tour de piste. Les JO de Pékin, il y a 12 mois, ont donné une bonne indication puisqu'il s'était approprié le record du monde en grillant ni plus, ni moins la politesse à l'Américain Michael Johnson (19.32 en 1996). Et essayer de deviner le temps que Bolt est capable de réaliser en finale jeudi laisse perplexes beaucoup d'observateurs devenus admirateurs, même si Bolt pour sa part, se montre modeste. «Je doute que je puisse réaliser un nouveau record du monde. Cela va être difficile.» «Il est prévisible dans l'excellence, mais imprévisible dans les chronomètres, lance Mbandjock. Jamais je n'aurais imaginé il y a quelque temps 9.58, or il l'a fait.» «Qui sait?», surenchérit l'Américain Maurice Greene, champion olympique (2000) et qui avait mis le record du monde du 100 m à 9.79 en 1999. «Il fera la même chose sur 200 m que ce qu'il a fait sur 100 mais en plus grand encore», prédit Caristan. Marie-José Pérec, double championne olympique des 200 et 400 m, elle, se mouille: «19.10» prévoit-elle. A retenir puisqu'elle avait annoncé les 9.58. Ontanon se fait encore plus joueur lorsqu'il affirme que «selon la règle qui veut que sur 200 m, on multiplie le temps du 100 m par 2 et qu'on retire 2 ou 3/10e. Il doit faire autour de 19 secondes. Et pour le symbole, je dirai 18.99.» Leslie Djhone, le N.1 français du 400 m, ne voit qu'une solution pour stopper Bolt: «il va falloir mettre des limitations de vitesse comme sur la route».
