La population de la wilaya de Tizi Ouzou veut éviter l'année blanche comme celle vécue en 1994. La grève des enseignants et des travailleurs de l'éducation paralyse les écoles depuis trois semaines. Derrière la guerre des chiffres sur le taux de suivi), engagée entre les grévistes et la tutelle, se profile le spectre de l'année blanche. Cette situation est vécue avec inquiétude à travers tout le territoire national. Elle soulève des craintes supplémentaires dans la région de Kabylie. En effet, tout le monde à Tizi Ouzou se souvient de la grève du cartable. L'appréhension de voir les élèves subir une autre année blanche, comme celle vécue en 1994, se fait sentir au fil des jours. Les avis des parents d'élèves approchés, se rejoignent toutefois sur la difficulté de juger des responsabilités des uns et des autres. Pour Saïd, père de trois enfants scolarisés, l'un encore au primaire et deux au moyen, les enseignants ont pleinement le droit de revendiquer un salaire digne de leur statut. «Je me souviens, quand j'étais écolier, l'instituteur était très respecté. Mais, maintenant ce n'est plus le cas», affirme-t-il. Cette dégradation dans l'échelle des valeurs, notre interlocuteur l'explique par un constat visible sur le terrain. «Je connais beaucoup d'enseignants qui travaillent comme transporteurs clandestins de voyageurs pendant les heures creuses de leur emploi du temps», explique-t-il. Une autre catégorie de citoyens avance une argumentation aux antipodes de la démarche des grévistes. Beaucoup de pères de famille estiment qu'il est du devoir des enseignants de reprendre les cours. «Tous les Algériens sont dans des situations similaires aux leurs. Demander l'augmentation des salaires ne justifie pas la pénalisation des enfants. Moi, j'ai encore en tête la grève du cartable», se remémore Amar, la quarantaine. En effet, cet avis semble être partagé par beaucoup de gens à Tizi Ouzou. L'impact de la grève du cartable qui a duré une année est encore vivace dans les mémoires. Il est même notable qu'il a marqué toute une génération: celle qui était, cette année-là, encore à l'école. «Moi, je n'ai pas envie que mon enfant perde une année comme moi. Et puis, c'est maintenant que je découvre que pendant que l'on regardait s'en aller une année de notre vie, d'autres envoyaient leurs enfants ailleurs», se souvient un autre. Cependant, du côté des enseignants, les avis se rejoignent sur des points et divergent sur d'autres. «Comment faire alors face à ce traitement que nous inflige la tutelle?», s'interroge Omar, un enseignant au lycée. Celui-ci expliquera que le mouvement de grève n'a été enclenché qu'après avoir épuisé toutes les voies de recours possibles. Parmi les syndicalistes, l'unanimité semble plus que jamais acquise. Le mot d'ordre reste le même: grève jusqu'à l'obtention d'engagements écrits du ministère de l'Education nationale. Jusqu'à hier, le Cnapest et l'Unpef, les deux syndicats qui ont appelé à la grève, campent sur leurs positions. Joints par téléphone, les responsables des deux organisations affirmaient être les seuls à décider de la reprise des cours. Ils font référence à un appel à la reprise lancé par d'autres syndicats. Sur un autre front, le Cnapest et l'Unpef livrent une véritable bataille des chiffres, à la direction de l'éducation. Alors que les grévistes parlaient, en effet, d'un suivi massif qui a dépassé les 90%, le directeur de l'éducation, dans une conférence de presse tenue dimanche, estimait, lui, le taux à moins de 30%.