Ils seront certainement encore plus d'un million à avoir recours à la solidarité nationale pour bénéficier de repas décents durant le mois sacré. Y aura-t-il une même chorba pour tous? Quel type de goût aura-t-elle pour les uns et les autres? Les Algériens, en particulier et les musulmans, en général, seront en théorie tous égaux pendant les quelque quinze à seize heures de privations quotidiennes où ils s'abstiendront essentiellement de boire, de manger, de fumer... Mais il ne sera nullement le cas au moment de la rupture du jeûne. La chorba n'aura pas le même goût pour tout le monde. Il y aura ceux qui se réuniront au moment de l'Adhan autour d'une table garnie de tous les mets et boissons (boureks, toutes sortes de pains, citron, l'inévitable bouteille de Sélecto, café et thé accompagnés de la traditionnelle zlabia, du kalb ellouz ou de l'ham lahlou...) qui ont fait la réputation du mois de Ramadhan et qui lui ont donné ce cachet si particulier. On peut retrouver ce type de table dans la majorité des foyers dont le pouvoir d'achat demeure encore équilibré. Pour cette catégorie d'Algériens, il y aura cette ambiance familiale et cette communion probablement inégalée que lui procurent ces repas partagés qui portent l'empreinte de ce mois unique dans l'histoire des religions monothéistes que seuls les musulmans ont le privilège de vivre et de pratiquer une fois dans l'année. Cela ne sera malheureusement pas le cas pour des centaines de milliers de citoyens qui n'auront pas cette chance. A la veille du mois sacré de l'année 2009, quelque 150.000 familles disposaient de la carte de nécessiteux attribuée par le ministère de la Solidarité nationale, tandis que 700.000 autres étaient prises en charge dans le cadre du filet social, d'après les chiffres livrés par le précédent département à la tête duquel se trouvait Djamel Ould Abbès. Si on leur ajoute ceux du million de retraités qui touchaient moins de 11.000 dinars par mois l'année dernière et dont le pouvoir d'achat s'est détérioré davantage depuis douze mois, le nombre d'Algériens dont la situation financière ne permet pas de passer un mois de Ramadhan correct (consommation de viande, de sucreries...quotidienne), devrait s'élever à quelques millions d'individus. Quel goût aura la chorba pour eux? Auront-ils un pouvoir d'achat assez suffisant pour qu'ils puissent se payer de la viande de buffalo de l'Inde chaque jour pendant un mois à raison de 410 dinars le kilogramme? Pour un grand nombre d'entre eux, le seul recours sera le tristement célèbre et humiliant couffin du Ramadhan qui, tout en témoignant d'une certaine solidarité, aura mis en exergue l'irrémédiable avancée d'une paupérisation inquiétante. Le nombre de familles en situation de précarité est en constante progression. Le couffin du Ramadhan devrait comprendre donc, comme à l'accoutumée, des produits alimentaires de base, de la semoule, de la farine, du sucre, de l'huile, du lait en poudre...Uniquement, des produits de première nécessité. C'est, en tout cas, ce qui a été annoncé par le nouveau ministre de la Solidarité nationale et de la Famille. Saïd Barkat a aussi indiqué que l'opération de remise d'un chèque qui était censé remplacer le traditionnel couffin du Ramadhan, a été reportée à l'année prochaine. 1 million de nécessiteux devront bénéficier, cette année, de ce panier dont le coût a été évalué à 4000 dinars. En ce qui concerne les restaurants de la Rahma, et pour avoir un ordre d'idées, il faut savoir que pour l'année 2008, le ministère de la Solidarité nationale y avait consacré une enveloppe de 3 milliards de dinars. Quelque 668 restaurants ont été ouverts à l'échelle nationale. En l'espace de quatre semaines, plus de 4 millions de repas ont été servis dont la moitié à emporter. Ceux qui s'y résigneront encore cette année devront patienter dans les longues files d'attente, livrés à des yeux furtifs, insistants, curieux ou interrogateurs de pénitents qui les mettent mal à l'aise. Ceux-là pourront rompre le jeûne autour d'une table bien garnie, d'une chorba fumante d'où se dégageront les arômes indispensables à sa confection et à sa réputation. Ils auront cependant la chaleur familiale en moins et des regards inquisiteurs qui leur feront rappeler leur condition sociale. C'est le prix d'une chorba du pauvre.
