Le roman algérien, celui qui n'écoute pas son cœur ! (1) Le romancier algérien est l'oiseau qui porte sa cage de liberté ! Lors d'une exposition de Picasso, une femme s'est approchée du peintre en lui demandant sur un ton de dégoût : - Pourquoi cette nudité dans vos toiles monsieur ? - Chère madame, la nudité est dans votre tête, lui a répondu Picasso. Ceci me paraît une spécificité littéraire algérienne, typiquement algérienne ! Les écrivains algériens ignorent “l'amour”. Plutôt, ne savent pas écrire “l'amour”. Ils sont secs, asséchés. Ils sont excessivement moralistes et souvent donneurs de leçons. Ils sont, dans leurs textes, comme dans un combat continu. Ils sont froids. Trop de militance et de militantisme phraséologique. Depuis cinquante ans, le roman algérien est dominé par ce qu'on appelle “le roman à thèse”. En lisant ou relisant les doyens, les aînés comme les nouveaux, je me demande pourquoi l'écrivain algérien “ne regarde pas la femme” ? Pourquoi le romancier algérien, en français comme en arabe, ne médite pas sur la poésie du corps féminin, avec tout ce qu'il a de beauté, de fantastique, de mythe et fantasme ? Pourquoi l'écrivain algérien n'a pas le courage, dans le texte, d'aller revoir, revisiter sa mémoire individuelle ou celle du collectif pour découvrir et reconstituer les grands rituels célébrant “la beauté” de la femme dans notre culture populaire ? Les poètes populaires (chouaraa al malhoun) ont magnifiquement fêté, dans les kasida, le corps féminin et la femme dans ses dimensions physiques corporelles et humaines, sans tabou, sans peur et sans hypocrisie intellectuelle. En relisant, aujourd'hui, la poésie d'amour, celle qui dit, qui décrit la femme aimée ou aimante (Al Âchika), des poèmes de Sidi Lakhdar Benkhlouf, Djilali Aïn Tadles, Abdellah Benkriou, Mohammed Belkheïr Benguitoune et d'autres, nous découvrons combien ils sont courageux, sincères et sensuels nos poètes populaires. Nous découvrons aussi combien elles sont fortes et poétiques nos langues dialectales. Et nous disons que notre dialecte algérien avec toutes ses différences est capable, plutôt il est fait pour dire l'amour et déclarer “le sentimental” et le “charnel”. En relisant Nedjma de Kateb Yacine, La grande maison, Le Métier à tisser, L'Incendie, la trilogie de Mohamed Dib, La colline oubliée ou Le sommeil du juste de Mouloud Mammeri, Le fils du pauvre ou Les chemins qui montent de Mouloud Feraoun, Le Muezzin de Mourad Bourboun (cet écrivain a été complètement oublié !), La Soif ou Les Enfants du nouveau monde de Assia Djebar (dans la langue française), Rih el janoub ou Nihayat al ams (le vent du sud ou la fin d'hier) de Abdelhamid Benhaddouga, L'As ou La passion et la mort au temps harrachi de Tahar Ouattar, Touyour fi addahira (des oiseaux à l'heure de midi) ou Azzouz Al Kabran de Merzak Bagtach ou Hamaim achchafak (les pigeons du crépuscule) de Djilali Khallas et d'autres… En relisant ces romans, je redécouvre une grande “humidité” sentimentale, une “constipation” émotionnelle hautement affichée dans le texte. Mais, d'où vient-elle cette cécité visuelle et sentimentale ? À suivre… A. Z. [email protected]