Il a les yeux mutins d'un enfant espiègle perdu au milieu des hommes. Avec sa voix traînante et ondulante, on croirait qu'il s'est échappé du XVIIe siècle, où il venait juste de dîner en compagnie de deux redoutables séducteurs : Casanova et le cardinal de Bernis qui lui ont appris à dorloter les mots, à les caresser, à les cajoler jusqu'à faire fondre l'interlocutrice et, le cas échéant, l'interlocuteur étant donné que dans chaque homme se cache une femme frustrée qui a envie d'être bercée. Entre la gravité compassée qui glace et la légèreté aérienne qui séduit, Frédéric Mitterrand a choisi de ne pas ressembler à son illustre oncle. Il a poussé la dissemblance jusqu'à faire partie d'un gouvernement de droite. Il finira peut-être à gauche prenant le contre-pied de son parent qui avait commencé à droite. Il n'y a donc aucune dissemblance. Que des ressemblances inversées. Frédéric, qui partage avec François le même amour de l'histoire, est un troubadour qui fait de la politique avec la même nonchalance apparente qu'il faisait naguère de l'animation à la télé. Qu'on ne s'y méprenne point : c'est juste un piège pour pousser ses adversaires à baisser la garde. Et là, hop ! Voilà l'uppercut au foie qui met KO. Avec le sourire SVP. Un sourire d'enfant de chœur qui n'en revient pas d'avoir mis KO plus fort que lui. Plus fort ? Voire, plus fort en gueule peut-être, car, comme tout bon acteur et neveu de qui vous savez, il sait cultiver le silence avec un tel art qu'il embarrasse ses courtisans, ses ennemis et même parfois ses amis. Ils s'attendaient à un interlocuteur prolixe et séducteur, et les voilà surpris de trouver une carpe. Cette ambiguïté crée le trouble, puis la gêne, puis la déstabilisation. Tactique ? Plutôt nature. Il ne veut pas être là où les autres l'attendent. Il est d'accord avec Valery pour dire : “Que si les esprits valent ce qu'ils exigent, je vaux ce que je veux.” Redoutable intervieweur, il pose les questions les plus embarrassantes avec un air béat. C'est mieux que de poser des questions bêtes et plates avec un air méchant, non ? On a eu un aperçu du style de ministre à l'occasion d'un petit-déjeuner organisé par l'ambassade de France avec quelques écrivains, éditeurs et libraires algériens. En moins d'une heure, en présence de représentants du ministère algérien de la Culture, le ministre fera le tour de la question du livre en Algérie. Il voulait tout savoir, n'éludant aucune question. On a eu affaire au journaliste-animateur de télé qui posait les bonnes questions et au ministre qui écoutait. Deux en un. Une personne gigogne aussi taquine qu'accessible. À MaIssa Bey qui l'appelait avec déférence : “Monsieur le ministre”, il fit un battement de paupières en la grondant : “Quand je te vois m'appeler Monsieur le ministre je prends conscience que j'ai vieilli.” A-t-il dit ça ? C'est ce que j'ai entendu. De toutes les façons, tout le monde s'esclaffa. Et c'est le plus important. Il taquina aussi Boualem Sansal, et l'ambassadeur lui-même. Il fut ministre, animateur, galant homme et charmant monsieur. Une consœur me lança : “Il a beaucoup d'humour !” Je lui répondis : “Et beaucoup d'amour.” Appâtée, flairant une confidence presse people, elle saisit la balle au vol pour me demander avec gourmandise : “Et pour qui donc ?” Ma réponse l'a estomaquée : “Mais voyons, pour la culture, Madame, pour la culture.” Et pour mieux enfoncer le clou, j'ajoutais perfide : “N'est-il pas ministre de la Culture et de la Communication ?” Ses paroles portées par une voix reconnaissable entre mille nous rappellent le style de son best-seller la Mauvaise Vie où il s'est raconté avec beaucoup de pudeur. Presque en s'excusant. En prenant congé de lui, il me lance : - “Comment va Le café de Gide ?” Je réponds : “Epuisé.” Il reprend : “Peut-on le trouver en France ?” Je baisse les bras : “Je ne pense pas.” Il fait une petite moue. C'est beau un ministre informé qui se désole pour un livre introuvable d'un auteur algérien. Un ministre français… ça nous change de l'indifférence. H. G. [email protected]