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Les sacrifiés de l'amnistie
Jijel, sur les décombres de l'AIS (suite et fin)
Publié dans Liberté le 02 - 11 - 2003

Djebel Béni-Khettab. Voilà un maquis rendu célèbre depuis qu'un certain Madani Mezrag avait décidé, pour des raisons tribales, d'y installer ses quartiers. Les mechtas alentour en feront vite les frais. Trois ans après la reddition de l'AIS, nos reporters sont repartis à Draâ Eddissa et à Melhout explorer ce qui reste de vie dans ce maquis, aujourd'hui livré aux hordes du GIA. Entre peur et misère, la survie bascule. Reportage.
J'ai arrêté mes études en 4e année élémentaire. Les militaires nous ont dit “entouma oulad el-irhab” et ont saccagé notre école”, confie Djamel. 19 ans, lunettes de soleil noires, les pieds chaussés de simples savates en caoutchouc, Djamel est chômeur. Il n'a pour toute distraction qu'une radio qu'il ne lâche jamais.
Natif de Draâ Eddissa, ce petit hameau paradisiaque et cependant respirant la désolation, perché sur les hauteurs de Djebel Béni-Khettab, Djamel a zéro perspective. Il est la personnification même des “dommages collatéraux” de la guerre ANP-AIS. “Dès le début du terrorisme, notre maison qui se trouvait dans une mechta à côté, à Dar Ben Amar, a été détruite par les militaires par mesure de représailles. Notre village était puni à chaque opération terroriste”, raconte-t-il. C'était en 1995. Cet incident contraindra sa famille à descendre dans la plaine se trouver une petite bicoque à loyer modéré dans le village de Kaous. Fin 1997, arrêt des hostilités. Djamel et les siens reviennent au bercail et s'installent chez son grand-père, à Draâ Eddissa. La vie est très dure pour cette famille de quatorze personnes, dont plusieurs mineurs. “Nous sommes douze frères et sœurs. L'aîné a 26 ans. Mon père ne travaille pas. Aucun de mes frères n'a de travail stable. Ils bricolent.” C'est ce qu'il fait lui aussi : il bricole. Entendre, il gagne sa croûte occasionnellement, dans des “bhirat”, des jardins potagers, comme journalier, pour 300 DA les huit heures. “Avez-vous déjà croisé l'“émir” de l'AIS ?”, demandons-nous. “Oui, bien sûr, puisque j'ai vécu et grandi ici. Il m'est arrivé de prier dans cette mosquée où il prêchait” (en désignant une petite mosquée sans minaret). Djamel ne sait pas ce qu'est devenu Madani Mezrag et ne cherche pas à le savoir. À l'instar des autres villageois, il se dit que l'ex-chef de l'AIS a fait son beurre avec la cause de Dieu, puis s'est lâchement taillé. À en croire la vox populi, le sieur Mezrag aurait placé une partie de son bénéfice dans une entreprise locale de production d'eau minérale.
Djamel a la mémoire tatouée de cauchemars. “Avant la trêve, nous avons connu des moments terribles. Il y avait tout le temps des tirs d'obus, des accrochages féroces. On était partagés entre l'armée et l'AIS. Une fois, les militaires ont débarqué chez nous et sont restés plusieurs jours à tendre une embuscade aux autres.”
Djamel n'ose même pas songer à l'avenir. Il passe son temps à sillonner les routes étroites du maquis avec ses pieds mal chaussés. Au mieux, il se fait une petite virée à Texenna quand il trouve une place dans quelque 404 bâchée providentielle. Sinon, il est là, sur sa cime, à regarder sa jeunesse passer. Ou plutôt… mourir à grand feu.
Djamel est catégorique : “L'AIS n'avait pas à prendre les armes contre l'Etat.” Pour lui, c'est tout net : misère ou pas, pas question de rejoindre la jamaâ.
Une immense solitude
Une vieille femme attend depuis 7h30 de voir quelque voiture passer et la prendre, en ville, faire des courses pour le ramadan. Il était presque 11h quand nous l'avons rencontrée et toujours rien. “C'est comme ça tous les jours”, se plaint-elle. “Quand je suis en bonne santé, je descends à pied à Texenna. Là, hélas, je suis fatiguée et malade !” La vieille Rouibah Zahra — c'est son nom — a 75 ans. Elle vit seule dans sa maison en tuiles rouges, au fond d'un hameau, à Draâ Eddissa. Elle aussi a été pendant un bon moment “voisine” de Madani Mezrag. “Houwa fi haddou wana fi haddi”, précise-t-elle. “Il ne se mêlait pas aux villageois”, ajoute la bonne femme. El-hadja Zahra est mère de six enfants. Tous partis. “J'ai cinq filles mariées et un fils chef de chantier à Alger.” La vieille vit donc seule. “Quand je vais chez mon fils, à Alger, je reste très peu de temps. Il a une nombreuse progéniture à nourrir. Et puis sa femme ne m'aime pas.”
La vieille femme vit d'une maigre pension de son défunt mari. “Mon époux était manœuvre à Alger. Il m'a laissé une petite pension de 3 000 DA”, dit-elle. La vieille s'occupe à cultiver sa “b'hira” ; une jolie plate-bande où elle s'évertue à faire pousser quelques légumes à grand-peine. “Nous manquons cruellement d'eau. La terre a soif. Et les maigres légumes qui poussent, les sangliers les dévastent”, maugrée-t-elle. “Je n'ai ni semoule ni gaz”, dit-elle encore. De fait, le gaz de ville est une chimère dans ces chaumières, et le gaz butane est souvent en rupture.
Même l'électricité est vacillante. Fait curieux : du temps de l'AIS, à en croire les habitants des mechtas, les choses étaient mieux du point de vue logistique. Entendre bien sûr après la trêve. “L'armée ramenait elle-même le ravitaillement aux trêvistes. L'eau coulait à flot. L'AIS avait son propre réseau AEP. Ils avaient droit à des poteaux électriques, et tout ce qu'il faut. Sitôt partis, les gens se sont arrachés les pompes à eau, ils ont pillé les installations électriques, et depuis, nous sommes dans le dénuement total”, explique un voisin de la vieille Zahra. À la tombée de la nuit, le hameau plonge dans un noir total qui accentue la terreur ambiante.
Etrangement, nous avons rencontré très peu de jeunes dans la montagne. Et comme el-hadja Zahra, il y a une légion de personnes âgées, livrées à elles-mêmes. Ainsi, dans la localité de Melhout, à quelques encablures de là, nous sommes tombés sur un vieux couple végétant dans une maison délabrée, ne disposant pas de la moindre ressource pour remplir le couffin du ramadan. Allongé sur une dalle nue, se prélassant sous un soleil froid, un homme d'un certain âge, vêtu en haillons, attend la mort sans résistance. Visiblement malade, il arbore sa “fiche de paie” (une carte d'allocation chômage en fait) sur laquelle on peut lire ce chiffre scandaleux : 960 DA ! Comme la vieille Zahra, lui aussi a une nombreuse progéniture et ses enfants ont tôt fait de fuir ce ghetto édénique pour refaire leur vie ailleurs.
Une autre vieille n'ayant que sa petite-fille de 5 ans pour lui tenir compagnie, ainsi qu'un fils qui travaille loin, vit dans une école saccagée. “Madani Mezrag est un parent. Mais il n'a rien fait pour nous, même quand il était le maître de la montagne”, fulmine la vieille. Tout autour, maisons détruites, fermes abandonnées et désolation. Très peu de propriétaires sont revenus.
Djamel rejoint son ami Abderrahmane pour tenir les murs encore debout du douar. Ensemble, ils tiennent compagnie aux vieux. Seuls, face aux loups de la montagne…
M. B.
Dans les casemates de Djebel Béni-Khettab
Djamel, le jeune de Draâ Eddissa, se propose de nous faire visiter les grottes et autres casemates des ex-guérilleros de l'AIS. En nous approchant de Melhout, nous nous arrêtons sur le bas-côté, à la lisière d'une dense forêt de chênes-liège. “C'est là !”, dit-il. Nous sommes seuls à des kilomètres à la ronde, et, franchement, le paysage, s'il est mirifique, n'en est pas moins angoissant.
Nous nous engageons dans une piste montagneuse et, au bout d'un moment, on s'évanouit dans le maquis, et la forêt noire nous engloutit tout à fait. À mesure que l'on avance, le cœur bat la chamade. Au bout de 300 mètres longs comme 300 kilomètres, Djamel s'arrête net et s'exclame : “Ici, c'était lahdada (la forge).” Désignant une pièce métallique, il explique : “ça, c'était un poste à soudure. Il y avait ici un atelier à ciel ouvert où ils confectionnaient des objets en acier. Ils ont même bricolé un chasse-neige à partir d'une benne.” Effectivement, on pouvait voir deux bennes de camion abandonnées là.
À noter qu'avant de nous engager dans la forêt, Djamel nous racontait dans la voiture comment il avait été happé par les gars du GIA, il y a moins d'un mois de cela. “Je remontais d'une b'hira où je travaillais. C'était dans un village qui se trouve pas loin d'ici. Il devait être 5 heures de l'après-midi. Un groupe d'hommes armés de kalachnikovs, talkie-walkie à la main, vêtus de tenue afghane pour les uns et d'uniformes militaires pour les autres, ont bondi sur moi. Ils voulaient me prendre de l'argent mais je n'avais que du pain à leur offrir. Ils m'ont dit : “Tu collabores certainement avec l'armée. Viens faire le jihad avec nous (atlaâ m'âna t'jahed).” Je leur ai répondu sans mâcher mes mots : “Je n'ai rien à faire avec vous.” Ils m'ont demandé ensuite si je faisais la prière et j'ai répondu que non. Ils m'ont dit : “Si tu ne te mets pas à la prière, la prochaine fois, tu auras affaire à nous.” Djamel ajoute que des gens de sa famille, venus de la ville s'enquérir de l'état de leurs oliviers, ont été interceptés à un faux barrage et se sont vu délester de 10 000 DA. “Le GIA s'est emparé du maquis. Ils peuvent surgir à n'importe quelle heure.”
En repensant à ces paroles, difficile de réprimer sa peur. On avance encore de quelques pas et là, à notre grand étonnement, un tunnel creusé méthodiquement dans la terre se découvre à nous. À l'embouchure du tunnel, une charpente métallique apparaît. L'entrée du tunnel est obstruée par de la terre battue et des herbes sauvages. Djamel nous conduit ensuite à l'autre bout du canal souterrain. Et là, à notre surprise, nous découvrons une grotte intacte. Waw ! C'est saisissant ! Des frissons nous glacent la peau. On risque la tête à l'intérieur de la grotte, mais l'on est vite rattrapé par la peur ; peur de voir quelque bête enturbannée surgir du trou et fondre sur nous. Photos souvenir à la hâte. Le moment a quelque chose d'historique. Dans cette caverne était inscrite une page sanglante de l'histoire tumultueuse de notre pays.
Djamel nous montre encore des casemates et autres tranchées. En désignant du doigt un terrain vague sur lequel sont venues pousser des marguerites, il nous fait : “Ici, ils faisaient la prière des grands jours, car la mosquée était étroite. Le jour de l'Aïd, ils nous ramenaient et nous associaient à leur cérémonie.”
On comprend l'air confiant et détaché de Djamel qui semblait très familier des lieux. La visite dure une quarantaine de minutes de pur suspense. Nous reprenons la route et nous poussons vers Melhout. Djamel nous montre un ancien bureau de poste méconnaissable : “Voilà. C'est le QG de Mezrag.” Aujourd'hui, la bâtisse s'est muée en poulailler.
Nous poursuivons notre chemin dans un maquis de plus en plus épais. La route ne fait que se rétrécir. À un moment donné, elle est complètement défoncée, envahie par les herbes folles. C'est le signe que très peu de véhicules se risquent par là. Nous poussons encore sur plus de dix kilomètres. À chaque virage, l'on se dit, c'est le dernier. Trêve de frissons. Il faut rentrer…
M. B.


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