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“Deux ou trois choses que je sais de Niemeyer"
“Si je ne brûle pas, si tu ne brûles pas, si nous ne brûlons pas, comment veux-tu que les ténèbres deviendront-elles clarté ?" Nazim Hikmet
Publié dans Liberté le 08 - 12 - 2012

Lorsqu'Oscar Niemeyer m'a demandé de faire la préface — ou plus précisément un des textes introductifs à son œuvre sur Constantine en citant des noms célèbres qui allaient faire de même —, ma réaction immédiate a été de refuser, pour deux raisons au moins. La première est que, par amitié, tout ce que je peux écrire sur lui relèverait davantage de l'amitié et de la connivence personnelle que d'un témoignage objectif sur Oscar et son œuvre. L'amitié profonde qui me lie à lui, l'affection que je lui porte et nos affinités politico-intellectuelles me faisaient craindre de verser dans le subjectif.
La seconde, plus substantielle, est que je n'ai aucune expertise en architecture pour me permettre de formuler une quelconque lecture ou interprétation de son œuvre. Il avait besoin de personnalités pour témoigner ; je ne suis qu'une personne. Mais, par tant de proximité avec lui, j'ai vite réalisé toute la simplicité et la grandeur de son geste.
Niemeyer est un génie reconnu. Il n'a nul besoin de témoignage de sa grandeur ; d'ailleurs, il déteste les témoignages experts sur ses œuvres ; tout comme il ne se permet point de jugement de valeur sur les œuvres des autres. Il a toujours vécu son travail comme sa façon d'être ; il n'en attend ni consécration, ni approbation, ni gloire ; c'est, pour lui, du superflu. Je crois d'ailleurs qu'à travers et au-delà de ma personne, Oscar sollicitait, un peu, sa part d'Algérie ; un pays où il a beaucoup réalisé, qu'il a aimé et où il a tissé un très fort réseau d'amitiés en compagnie d'autres camarades brésiliens exilés et en contact avec de nombreux leaders de mouvements de libération dans ce qui était appelé “la Mecque des révolutionnaires".
Il y a vécu une expérience humaine et politique intense. Tel que je connais Oscar, cet aspect est une dimension fondamentale de la vie. Par moments, il m'est arrivé de croire que, dans sa propre hiérarchie des valeurs, notre complicité et nos discussions politiques, dans les moments compliqués et dangereux pour le monde, étaient bien plus importantes que l'architecture. Je dis cela avec beaucoup d'humilité, sachant que, pour Oscar Niemeyer, l'essentiel a toujours été au-delà de son travail ; l'essentiel, pour lui, résidait bien plus dans le bonheur de l'autre ; la paix, la sécurité et la justice dans le monde ; la fraternité des hommes ; le sourire d'un enfant et les belles hanches d'une femme. C'est qu'Oscar Niemeyer est d'abord un homme — et il faut le connaître — avec ses engagements, ses convictions et sa sensibilité. Je remercie le Destin de me l'avoir fait rencontrer ; et je le remercie de m'avoir gratifié de son amitié. Le génie d'Oscar Niemeyer est, avant tout et après tout, d'avoir démystifié et démythifié l'architecture et de l'avoir réduite à sa plus simple expression.
Par simplification extrême et symbolique de base, je résumerais Oscar Niemeyer à trois concepts vitaux à mes yeux : le sourire d'un enfant, la rose et le travail bien fait ; et c'est peut-être le secret de notre amitié et de notre connivence ; le principe de base de la vie que je partage avec Oscar est de “tout prendre au sérieux sauf soi-même".
Qu'il me pardonne mon excès, si c'en est un
De ce point de vue, le génie Niemeyer aura été, à mon humble opinion, d'avoir tracé des plans qui paraissent si simples que n'importe qui d'autre pourrait croire qu'il peut en faire autant. On lui reproche beaucoup ses immeubles à la Staline, quelques quadras de Brasilia ou les “HLM" répétitifs et sans âme ; beaucoup le font sans savoir à quoi cela correspondait. Il l'a dit et je le répète. La première facette — fondamentale — de mon ami Oscar relève de ses convictions et de son engagement politique.
Oscar Niemeyer, et toute son équipe, est venu perturber l'ordre des choses. Si l'histoire de l'architecture a été systématiquement de compliquer les choses, de les rendre plus chères pour servir les plus puissants, il a, lui, décidé de faire le contraire, c'est-à-dire de simplifier les choses à l'extrême, les rendre à la portée de tous. Il n'a jamais été au service d'un homme, il a été au service de l'Homme.
Il s'est toujours moqué de la richesse et de la gloire ; Oscar Niemeyer est avant tout l'Homme d'un combat. Il ne s'est jamais renié et devant les dérives d'un Georges Bush, il considère encore que Staline avait raison. C'est qu'il ne pratique ni mode, ni soumission. Dans ce monde de girouettes, cette considération, à elle seule, force le respect et l'admiration.
Mais Oscar Niemeyer, homme de conviction avant tout, n'est pas qu'un simple militant, c'est aussi un artiste, un artiste qui est arrivé à l'essentiel. Lorsque j'ai vu, pour la première fois l'Université de Constantine, sortant d'une voiture au milieu de cette œuvre multiforme, j'ai eu un sentiment indescriptible de surprise et d'irréalité, d'étonnement et de subjugation. Il m'a fallu bien du temps pour intégrer cette image dans mon être profond. Il m'a fallu bien des discussions avec lui pour comprendre et pénétrer quelques secrets de Niemeyer. Merci Oscar de m'avoir initié à certaines de tes vérités.
Au risque — encore une fois — de simplifier à l'extrême l'œuvre si riche et complexe d'Oscar Niemeyer, je dirais que ses schémas de base sont le mariage magique de lignes de base : les lignes rectilignes et les courbes voluptueuses du corps de la femme. De ce point de vue, Niemeyer a réussi le retour à la mère Nature dans ce qu'elle a d'essentiel et de plus pur.
La première fois que j'ai visité le bureau d'Oscar Niemeyer, j'ai été — dans ma pudibonderie algérienne — choqué par les images de femmes nues devant lui sur son bureau de travail. J'ai compris bien après combien les courbes féminines et leur sensualité ont inspiré et marqué toute son œuvre.
Ces images n'avaient rien de dévergondé, de déviationnisme ou de voyeurisme. C'était simplement la vie qu'Oscar respectait, et à laquelle il rendait un hommage permanent et sans cesse renouvelé.
Il y puisait son inspiration, une inspiration infinie, celle de l'Amour éternel et pur. Dans l'inépuisable corps de la femme et son insaisissable beauté, il a tiré une infinie variété de courbes, volumes et formes de colonnes d'une beauté inaltérable. Et c'est parce qu'il a réussi ce coup de génie de retourner à la nature et à l'essentiel que Oscar Niemeyer a tout simplement fait, toute sa vie, des œuvres d'art. Si on met de côté ce que l'on appelait les HLM, chacune de ses œuvres est un original intransposable en un autre lieu et/ou espace.
Par leur dépouillement et leur pureté, les œuvres de Niemeyer se reconnaissent de prime abord ; c'est vrai, parce que c'est lui-même; mais aucune ne ressemble à aucune autre, tant chacune épouse son objet et son cadre. J'ai perçu cela déjà dans ses œuvres algériennes réalisées ou projetées. Je m'en suis convaincu à loisir à Brasilia.
Mais je l'ai bien mieux encore compris en visitant sa propre maison sur les collines de Rio de Janeiro, avec un rocher en plein dans le salon ; une maison en aucun cas répétitive. Les “experts" qui jugent et reprochent à Niemeyer son architecture populaire de départ ou son originalité, gagneraient beaucoup à aller la visiter pour mieux se pénétrer de son génie.
C'est qu'Oscar ne reproduit pas, il produit. Il crée et invente à chaque fois. Dans chaque espace — et dans le respect de ses limites et l'amour de sa beauté — il invente l'œuvre appropriée avec les lignes les plus simples : rectilignes et nettes et/ou sensuelles et féminines. Les plus belles œuvres sont d'abord un don de soi. C'est ce que Niemeyer a toujours fait. Ses œuvres sont reconnaissables parce qu'elles sont d'abord lui-même ; mais elles sont si différentes chacune de toutes les autres pour ce qu'il a de capacités à s'exprimer et à se renouveler. Et c'est là tout Oscar Niemeyer à mes yeux.
Dans son amitié, comme dans ses œuvres, Oscar est entier. Il ne recherche nul objectif, sauf celui d'être lui-même et d'être accepté et respecté comme tel. Il a ses convictions et sa façon d'être; je m'y suis fait sans difficulté. Et dans le respect d'Oscar, on peut puiser le respect de soi-même.
J'en sais grâce au Destin de m'avoir fait rencontrer ce Géant dans lequel j'ai personnellement beaucoup puisé.
À Constantine, en puisant dans la Nature, Oscar Niemeyer a défié “les lois de la nature", avec ces deux palmes de 50 mètres sans support. Pour les réaliser, certains y ont joué leur carrière à pile ou face ; et il a réussi l'exploit.
C'est devenu, depuis, une caractéristique des œuvres d'Oscar Niemeyer, c'est qu'il a soumis le béton à son inspiration. En vérité, dans ses œuvres les plus rigoureuses, il y a toujours un clin d'œil à la vie. Que peuvent bien signifier ces deux palmes ? Une envolée d'oiseau ? Les pétales d'une rose ? Les palmes d'un cocotier? Les hanches de la femme ? l'esquisse d'un sourire ou un regard coquin ? Ne le demandez surtout pas à Oscar. Devinez ! Imaginez! Fantasmez! Pour moi, dans ces palmes majestueuses, je perçois une infinité de choses mais surtout la personnalité d'Oscar Niemeyer : la beauté et la simplicité de l'œuvre ; la générosité du geste et, bien plus important, la grandeur de l'Homme.
Cette grandeur de l'Homme, j'en garde aussi une image simple et bien précise: celle de l'homme humble en son étude à Copacabana, rêvant de contribuer à refaire le monde sur la base de principes simples- la justice et la fraternité solidaire des Humains- partageant son déjeuner frugal fait de fejao et de riz, arrosé d'un bon ballon de “Cuvée du Président", son vin algérien préféré. Et dans cette vie simple, avec Niemeyer, la vue imprenable de Copacabana et sa beauté incomparable ne pouvaient jamais nous faire oublier que d'autres souffrent encore et ne mangent pas à leur faim. Mais même dans le désespoir d'un monde en folie et recomposition, il garde l'espoir ; il a la certitude que demain sera meilleur ; il a toujours une espérance à communiquer.
C'est que dans son travail exigeant comme dans ses convictions généreuses et son rêve de refaire le monde — plus juste et fraternel — il revient toujours à l'essentiel; il garde le cap, mon ami.
Sacré Oscar !
L. M.
Brasilia, juin 2005


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