Fêter Yennayer signifie fermer l'année en cours pour ouvrir la porte de l'année qui arrive (Tawwurt n useggas) avec son lot de bon et de mauvais. Mais les valeurs que cela véhicule augurent plus de bon que de mauvais en principe. La sacralisation du travail et de la propreté, le respect des aïeux, la préservation de la nature (faune et flore), la transmission de ces valeurs aux jeunes générations par le conte, la narration, le chant... sont autant de principes qui veillent à la sauvegarde de ce rite ancestral. Sur le plan historique de cette célébration, son origine remonte à l'an 950 avant J.C., lorsque Shachnaq, pharaon amazighe de la 22e dynastie d'Egypte, institua la fête de clôture de l'année dans le calendrier fluvial des paysans du Nil (ce fut l'institution d'un calendrier agraire en calendrier solaire avec 12 mois de 30 jours ; les 5 jours manquants furent des journées de fête et de réjouissances. Sous le règne de Jules César, les Romains s'emparèrent de ce calendrier et créèrent le calendrier julien en rectifiant les principales erreurs. Le premier mois de l'année fut janarius, d'où le nom amazigh de Yennayer). Comme nous l'explique Rachid Oulebsir, auteur et éditeur, "le calendrier julien resta en vigueur jusqu'en 1582, puis il fut corrigé par la suppression des 10 jours qui s'étaient cumulés à cause de la supériorité de l'année julienne sur l'année tropique, apportant des correctifs qui égalisèrent l'année du calendrier avec l'année tropique". Et d'ajouter : "Mais en 1582, l'Algérie n'avait pas d'autorité centrale qui prendrait la décision d'aligner le calendrier officiel sur le calendrier grégorien ; nous sommes donc restés avec le calendrier julien dont l'écart a grandi pour passer à 11jours sur l'année tropique, ce qui explique pourquoi l'année amazighe commence le 12 janvier". Et de conclure : "Pour le déroulement de cette célébration, autrefois c'était en 3 jours, mais de nos jours on la fête en une seule soirée. Les luttes pour la réappropriation de l'identité amazighe ont fait de Yennayer le symbole de la sauvegarde de la culture et du patrimoine immatériel. Yennayer a subi de nombreuses mutations dont la plus importante est sa sortie de l'espace intime vers l'espace public où il est fêté avec des contenus culturels modernes". En effet, ces contenus culturels modernes et publics se voient chaque année, sur l'ensemble du territoire national, et pas spécialement chez les berbérophones, à travers des célébrations joyeuses et festives qui se font différemment d'une région à une autre, par une appellation ou une autre, mais qui renvoient toutes à une même symbolique : une nouvelle année qui commence. Que ce soit, Yennayer en Kabylie, Nayer dans les Hauts-Plateaux, Ayred Chez les Beni Snouss à Tlemcen, Ras el âm, Laâdjouza ou autres noms, l'aspect festif et sacré se retrouve un peu partout et s'exprime par des carnavals de rue (Ayred), des danses (pour les touaregs sédentaires, par la Sbeïba dont les chorégraphies représentent la succession des saisons et par le Tindi, pour les Touareg nomades en exécutant des danses et des chants en rapport avec la terre et la chronologie du nomadisme). La préparation de mets et plats de la région (dans la région de Chenoua à Tipasa, par exemple, on prépare du pain à base d'herbes sauvages, couscous à la volaille en Kabylie, crêpes ou beignets à l'Ouest... ), la distribution aux enfants de bonbons et fruits secs (Traz), l'organisation de dîners en famille où parents et enfants se retrouvent pour consolider leurs liens, partager ce que la terre leur a offerts et prier - en travaillant - pour que l'année à venir soit meilleure. Que ce soit rite, mythe ou spéculations, les valeurs ancestrales que véhicule cette date font d'elle un évènement à sauvegarder absolument. Samira Bendris