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Le message de Abane Ramdane
Publié dans Liberté le 29 - 12 - 2002

Conférence prononcée par Rédha Malek à Larbaâ Nath Irathen à l'occasion du quarante-cinquième anniversaire de la mort de Abane Ramdane.
Permettez-moi, tout d'abord, de saluer l'initiative de la Coordination des arouch, mouvement citoyen, de larbaâ Nath Irathen de nous avoir réunis aujourd'hui en ce quarante-cinquième anniversaire de la mort de Abane Ramdane, patriote exemplaire, révolutionnaire intrépide, figure de proue et tête pensante de la Révolution algérienne. Ce n'est pas sans émotion que j'évoquerai son souvenir ici même, en ce lieu historique qui l'a vu naître, Fort-Napoléon, puis Fort-National, et, en définitive, Larbaâ Nath Irathen, telle que l'histoire l'a façonné par la résistance à la conquête française et par le combat libérateur dont Abane restera à jamais le brillant symbole.
Certes, Abane est mort, victime de la vindicte des siens, mais il est tombé en martyr : cinq mois s'étaient écoulés avant que sa mort ne fût annoncée, camouflée en mort au champ d'honneur. C'était là reconnaître l'immense place qu'il occupait dans la Révolution et dans le cœur de tous les militants qui l'ont approché ou ont simplement entendu parler de lui. C'est que Abane a été un organisateur hors pair de la Révolution et un grand stratège. De mai 1955 à ce fatal 27 décembre 1957, c'est-à-dire pendant deux ans et huit mois, il n'a cessé de marquer l'événement, et sa mort elle-même, qui est un enseignement en soi, n'a ni tari ni terni son message. C'est par le surgissement fulgurant de tels hommes dans l'histoire que celle-ci se fait et que l'humanité avance. Et si la notion de Révolution algérienne a un sens, c'est notamment à l'engagement d'un Abane qu'elle le doit.
Il fallait en plus de l'héroïsme des combattants apporter un cadre, des perspectives, en un mot, une stratégie adaptée à notre époque et aux durs sacrifices d'un peuple déterminé à changer son destin.Pour lui, le militant et le combattant doivent être éclairés sur la signification et la portée de leurs actes. C'est ce qui ne ferait qu'accroître leur sens des responsabilités, leur dévouement pour le peuple qu'ils sont censés encadrer et éclairer. Abane était d'une totale intransigeance sur ce chapitre : le service du peuple, le respect de sa dignité, la compréhension de ses besoins et de ses aspirations. Son horreur du formalisme bureaucratique, de l'à-peu-prisme, de l'attentisme et du paternalisme marquait, de bout en bout, son comportement politique. Il avait, dans une situation révolutionnaire, le sens de l'urgence, l'esprit de décision qui ne va pas sans risques. Evoquant une fois le Congrès de La Soummam, il me confia qu'il fallait être fou pour tenir de telles assises dans des conditions aussi dangereuses : quadrillage de l'armée française, accrochages, alertes… Mais, ce qui, a priori, paraissait un défi à la raison prenait, par la suite, une signification rationnelle. C'est ce qu'on appelle faire l'histoire. Une combinaison d'audace, frisant la témérité, et de maîtrise rationnelle à toute épreuve, voilà ce qui caractérise la démarche d'Abane.
Ne pas subir l'événement, mais le prévenir, et, plus que cela, le créer. Cette capacité créatrice n'est pas toujours la mieux partagée. Abane l'avait au plus haut point. Il en faisait constamment usage. Ce qui le rendait fascinant aux yeux des militants et lui donnait un charisme exceptionnel. On l'a dit immodeste ; il avait en fait une hauteur de vue qui en imposait à ses interlocuteurs. Ce qui n'enlevait rien à sa simplicité et à sa modestie naturelles en tant que personne privée.
Ce qui devait poser problème à ses collègues au niveau de la direction, c'est sa propension à la franchise, parfois brutale et, à la limite, vexatoire. Son tranchant révolutionnaire pouvait être identifié à de l'autoritarisme, mais rien dans ses intentions qui pouvait ressembler à de la méchanceté où à du mépris. Défauts de ses qualités, peut-être, mais celles-ci étaient loin des plus véridiques. La hogra, comme on dit aujourd'hui, Abane ne la connaissait pas. Rien de plus étranger à ce grand patriote que cette posture méprisable que certains arborent vis-à-vis des humbles.
Abane : le rassembleur
Organisateur, Abane imprima à la ville d'Alger, alors point névralgique de la révolution et partie intégrante de la zone IV (future wilaya IV), un élan et un dynamisme qui feront du FLN cette force décisive qui rassemble et unifie la nation. Si les pays voisins avaient conservé, tant bien que mal, leur état sous la colonisation, l'Algérie l'avait perdu par droit de conquête. Dès lors, pour sortir de l'émiettement colonial, il fallait, dans le feu de la lutte, forger de toutes pièces un contre-pouvoir, un ordre révolutionnaire, un nidham, jouissant, de proche en proche, de l'allégeance de la grande majorité des Algériens et incarnant une quasi-souveraineté et dont le GPRA sera, à partir du 19 septembre 1958, le porte-parole et le dépositaire. Abane n'eut pas l'heur de participer à cet événement grandiose. mais qui, plus que lui, travailla à lui en paver la voie, traçant, avec une vigueur inaccoutumée, les perspectives et les contours de la future République algérienne ?
Rabah Bitat, chef de la zone IV (Algérois, y compris la capitale, Alger), est arrêté le 23 mars 1955. Lui succède Amar Ouamrane qui, en accord avec Belkacem Krim, cède la responsabilité de l'agglomération algéroise à Abane.
Voici en quelques flashs le résumé de son rôle d'organisateur et de rassembleur.
• 1er avril 1955 : premier tract FLN depuis la proclamation du 1er Novembre. Il est de la main de Abane et a, d'emblée, une portée nationale.
• Mai 1955 : Ferhat Abbas sollicite un contact auprès de Krim à Ighil Imoula (où fut tapée et ronéotypée la proclamation du 1er Novembre). Krim répercute sur Abane la demande de Abbas.
• 26 mai 1955 : Amar El-Kama, un des responsables FLN de La Basse Casbah, accompagne au domicile de Abbas, rue Trolard, à deux pas du gouvernement général, Abane et Ouamrane. l'entrevue se passe après huit heures du soir. Abbas propose son aide matérielle. Abane, lui, exige qu'il rejoigne le FLN et qu'il dissolve l'UDMA. Abbas demande à consulter ses proches mais accepte, d'ores et déjà, de collecter argent et médicaments. Dès juin 1955, Abbas, par l'intermédiaire d'un responsable de La Casbah, Messaoud Boukadoum, fait parvenir à Abane une somme de deux millions de francs et une valise de médicaments.
• 26 septembre 1955 : à l'instigation de Abane, qui exige la démission de tous les élus d'origine algérienne, Abbas pousse à l'adoption de la motion des 61 qui rejette en bloc la politique d'intégration de Soustelle.
• 30 janvier 1956 : réunis en Suisse, les responsables de l'UDMA dissolvent leur formation et adhérent individuellement au FLN.
• Vers novembre-décembre 1955 : rencontre Abane et Ben Khedda avec Cheikh Tebessi, Cheikh Kheireddine et Abdellatif Soltani au domicile d'Abbas Torki à El-Biar.
• 7 janvier 1956 : manifeste de l'Association des Oulémas, signé Larbi Tebessi et Tewfik El-Madani, ralliement aux positions du FLN.
• Juin 1956 : contact Abane-Ben Khedda avec Bachir Hadjali et Sadek Hadjres dans le cabinet du docteur Bouchouchi, place Bugeaud (actuelle place Emir-Abdelkader). Objet : récupération des armes détournées par l'aspirant Maillot et discussion sur l'aide du PCA au FLN.
Une vingtaine de jours après, rencontre de Ben Khedda seul avec les deux chefs communistes. Sont mises au point les modalités de récupération des armes de maillot et l'intégration des Combattants de la Libération au sein du FLN.
Abane : promoteur des assises de La Soummam
Dès sa prise de fonctions à Alger, Abane constate l'absence de liaisons entre les zones et l'isolement des chefs de maquis, privés de toute espèce de coordination à l'échelle nationale. Il envoie ainsi Yacef Saadi pour rétablir le contact avec Boudiaf. La rencontre a lieu à Berne début de l'été 1955. yacef Saadi fait un compte rendu de la situation en Algérie et, au nom de Abane, presse Boudiaf pour accélérer l'expédition du maximum d'armement possible.
• Novembre 1955 : Amara Rachid, l'un des proches collaborateurs d'Abane, est envoyé en Zone II (Nord-Constantinois) pour rétablir le contact avec Zighoud. À la suite de quoi, Abane dépêcha Dahlab auprès de Zighoud. Suite à ces contacts se dessine l'accord entre Zighoud et les chefs de l'Algérois, Ouamrane et Abane, et de la kabylie, Krim, en vue de la tenue d'un congrès.
Auparavant, Mustapha Fettal, chef des fidaïne d'Alger avait été chargé de rétablir la liaison avec Ben M'hidi et Boussouf dans la région de Turenne (Tlemcen).
• 13 mai 1955 : Libération de Ben Khedda, Bouda et Kiouane. Cherchant le contact et ne sachant à qui s'adresser à Alger, Ben Khedda, Salah Louanchi et Abdelmalek Temmam se rendent à San Rémo (Italie) pour rencontrer Ben Bella et poser la question de leur admission au FLN. Ben Bella les renvoie à Abane, seul habilité, selon lui, à prendre une décision concernant l'intérieur.
• Courant de l'été 1955 : grâce à rebbah Lakhdar, un des adjoints d'Abane pour Alger, les centralistes entrent en contact avec ce dernier. les discussions ont lieu à la cité Hélène-Boucher, au Ruisseau, soit dans l'appartement de Rebbah, soit dans celui de Bouda.
Dès l'adhésion des Centralistes, Abane prend Ben Khedda comme adjoint-assistant chargé de le représenter dans la mise en œuvre et le suivi des grands dossiers du moment. Ainsi, sous les auspices d'Abane, il participe à :
- la création de l'hymne national Kassamen, commandé au nom d'Abane par Rebbah au poète nationaliste Moufdi Zakaria, fin 1955 ;
- la création de l'UGTA, le 24 février 1956, avec Aïssat Idir, lui-même ex-centraliste, comme secrétaire général ; — la préparation de la grève des étudiants, déclenchée par l'UGMA, le 19 mai 1956 pour une durée illimitée ;
— la création, en juin 1956, d'El Moudjahid, l'organe central du FLN dont sera chargé Benkhedda, puis Dahlab, avec la collaboration de Temmam ;
— la création, en septembre 1956, de l'UGCA, dont le premier secrétaire général sera Abbès Torki ;
— le ralliement de la communauté mozabite, avec le cheikh Bayyoudh, à partir du printemps 1956 et à la suite de la vague d'attentats perpétrés, notamment à Alger et Blida contre cette communauté ;
— toujours au printemps 1956, appel à la communauté juive pour la rassurer sur son avenir et ses droits dans une Algérie indépendante, et l'exhorter à ne pas céder à la politique des Ultras.
Si Abane a pu jouer un rôle capital durant les années-clés — 1955 - 1956 — dans la consolidation du courant révolutionnaire, c'est parce qu'une direction de fait s'était constituée à Alger, avec des hommes aussi influents que Krim et Ouamrane. Cette direction sera renforcée par un apport de poids, celui de Ben M'hidi.
Dès les débuts 1955, Ben M'hidi avait rejoint le Caire pour activer l'envoi des armes vers l'intérieur, via Nador. Mais là, il eut conscience que Ben Bella, gonflé par la radio Saout-el-Arab, jouait un jeu personnel et se montrait d'une complaisance exagérée vis-à-vis de Nasser et de ses services. Début 1956, il rentra en Algérie, complètement édifié sur le peu de crédit qu'il convenait d'accorder aux activités de la délégation extérieure.
En mai 1956 : Ben M'hidi quitte l'Oranie et vient s'installer à Alger. Aussitôt naît une complicité avec Abane, et une concordance de vue entière sur tous les problèmes. Ensemble, ils vont former un tandem qui entraînera, par son dynamisme, le reste des autres responsables présents à Alger (Krim et Ouamrane faisant de fréquents allers-retours entre la capitale et leurs wilayas). Ulcéré par le comportement de Ben Bella à l'étranger, Ben M'hidi se fera sans difficulté l'adepte des deux principes de base qui aimanteront le Congrès de La Soummam : la primauté de l'intérieur sur l'extérieur et du politique sur le militaire. Partageant une unité de vue totale sur l'organisation de la Révolution et ses perspectives, Abane et Ben M'hidi s'imposeront ainsi comme les artisans principaux de ce congrès.
Abane le stratège
On a reproché à Abane d'avoir ouvert les portes de la Révolution aux leaders des anciennes formations politiques. En fait, il s'est comporté, en toute légitimité, comme l'unificateur des forces nationales, réalisant en cela l'une des exigences de la proclamation du Premier novembre, à savoir : “Le rassemblement et l'organisation de toutes les énergies saines du peuple algérien par la liquidation du système colonial... C'est là une tâche écrasante qui nécessite la mobilisation de toutes les énergies et de toutes les ressources nationales.”
Quant à son refus d'un Etat théocratique, il ne fait qu'expliciter une autre exigence de la proclamation qui, après avoir énoncé le principe de “la restauration de l'Etat algérien souverain, démocratique et social dans le cadre des principes islamiques”, énonce aussitôt la nécessité du “respect de toutes les libertés fondamentales sans distinction de races et de confessions”.
Avec le Congrès de La Soummam, le FLN a enfin un visage et il apparaît au grand jour.
Une direction nationale et une stratégie de la Révolution, tels sont les deux résultats des assises d'Ifri, qui durèrent quinze jours et consacrèrent près de deux années de résistance nationale. En se donnant des institutions et des règles de fonctionnement modernes, la Révolution prend forme et atteint son stade de maturité. “C'est une Révolution organisée et non une révolte anarchique”, est-il dit dans la Plate-forme.
“C'est une lutte nationale pour détruire le régime anarchique de la colonisation et non une guerre civile. C'est une marche en avant dans le sens historique de l'humanité et non un retour vers le féodalisme.
C'est la lutte pour la renaissance d'un Etat algérien sous la forme d'une République démocratique et sociale et non la restauration d'une monarchie ou d'une théocratie révolues.”
Le gouvernement français avait cru, au début, avoir affaire à une de ces jacqueries ou révoltes épisodiques dont il aurait facilement raison ; il se retrouva face à une lame de fond d'une ampleur sans précédent. La préoccupation majeure de Abane était de la structurer en lui donnant un contenu national, politique et social. C'est ce qu'il appelait Révolution algérienne. Celle-ci, dit la Plate-forme “n'est ni inféodée au Caire, ni à Londres, ni à Moscou, ni à Washington”.
Une telle lucidité en matière de politique internationale prélude à la sage option du non-alignement, mettant l'Algérie à l'abri des aléas de la guerre froide et des tentations d'inféodation à un bloc. C'est parce qu'elle parlait en son nom, et seulement en son nom, que l'Algérie réussit à arracher son indépendance et à exister dans le concert des nations.
Une certaine déontologie de la Révolution, n'était pas étrangère à ce succès. La plate-forme souligne l'interdiction des égorgements, l'exécution des prisonniers, la mutilation des cadavres. De même qu'elle interdit la profanation des églises, des temples et des synagogues.
Partisan intransigeant de l'unité nationale, Abane la concevait en dehors de tout sectarisme et de tout régionalisme.
Sa conception politique de l'Etat était celle d'un Etat fort et démocratique, faisant obstacle à toute force centrifuge pouvant contrarier sa pérennité. Cette façon de concevoir l'Etat dans la plénitude de sa souveraineté et ses prérogatives est ce que certains ont appelé “le jacobinisme” de Abane. En matière de négociation avec la France, on retrouve la même intransigeance : il fallait, avant toute discussion, qu'elle reconnaisse l'indépendance de l'Algérie. C'est ce qu'on appelle le “préalable de l'indépendance”, adopté à la suite des nombreux contacts secrets qui ont, à chaque fois, avorté. C'est ce que nous pourrions appeler, la doctrine Abane. Ce préalable sera maintenu jusqu'à la proclamation du GPRA.
Abane : intercesseur entre l'idéal de Novembre et les espérances d'aujourd'hui
La plate-forme de La Soummam est parcourue de part en part par une pédagogie moderne de la Nation et de la Révolution.
Modèle d'analyse politique de premier ordre, son influence sera durable. Ce n'est pas sans raison que sa résurgence aujourd'hui après une longue “libération”, renouvelle le débat politique et suscite la passion des jeunes qui aspirent à une refondation de l'Etat pour vivre pleinement la citoyenneté à laquelle ils ont droit.
Les idées ne meurent pas, et celles de Abane Ramdane ont la vie dure. Si elles n'ont pas disparu avec lui, c'est qu'elles s'enracinaient dans une logique de libération de tout un peuple et qu'elles pourraient être aujourd'hui encore, une source d'inspiration aux forces du changement.
Je terminerai par un fait vécu. Au lendemain du CNRA du Caire en août 1957, qui le mit en minorité dans le nouveau CCE, Abane réunit la Commission de l'information, sise 42 ter rue de Corse à Tunis, pour lui faire part des amendements dont la plate-forme de La Soummam, venait de faire l'objet. Les deux principes relatifs à la primauté du politique sur le militaire et de l'intérieur sur l'extérieur étaient abrogés. Mieux, la devise d'El Moudjahid — la Révolution par le peuple et pour le peuple —, ne devait plus figurer au fronton du journal. Rapportant loyalement les arguments qu'il avait entendus, présentés par le docteur Lamine Debaghine, nouveau promu dans le CCE élargi, Abane nous explique que le FLN faisait une guerre de libération et non une Révolution. Celle-ci aurait un caractère interne tandis que celle-là visait à mettre fin à une occupation étrangère. Peu convaincu de la validité de cette thèse, je pris sur moi pour lui faire observer qu'une guerre de libération de l'ampleur de la nôtre, ne pouvait se poursuivre sans être accompagnée d'une Révolution. En détruisant les structures coloniales, l'on ne pouvait pas ne pas s'attaquer aux structures archaïques de la vieille société, qu'elles soient semi-féodales, tribales ou patriarcales. La guerre de libération s'accompagne inévitablement d'une Révolution démocratique. Entre l'une et l'autre, il existe un rapport dialectique évident. Abane Ramdane ne put formuler d'objection à une conception qui a toujours été la sienne. Il donna son accord à un article que j'écrivis à ce sujet, sous le titre “Une Révolution démocratique” et qui fut publié dans le numéro 12 d'El Moudjahid du 15 septembre 1957. La “Révolution par le peuple et pour le peuple”, continua ainsi à figurer comme devise de l'organe central du FLN, jusqu'à l'indépendance, après avoir été de tout temps, rappelons-le, celle du PPA-MTLD. Le quotidien El Moudjahid, l'a, non sans raison, maintenue. Seul le FIS cherchera à l'effacer des édifices publics, mais par cet acharnement contre les symboles de la Révolution, il aura signé son échec. Une remarque importante : la plate-forme de La Soummam amendée au Caire, n'a jamais été publiée dans sa nouvelle version. Le principe de la primauté de l'intérieur continuera à hanter l'esprit des responsables. Il sera remis, sur le tapis par Amirouche (W. III), Si M'hammed Bouguerra (W. IV), Hadj Lakhdar (W. I), et Haouès (W. VI), lors de leur réunion dans le Nord Constantinois au printemps 1958. Ajoutons que la réunion des “Dix” — à Tunis en 1959— et celle du CNRA qui en est issu —décembre 1959 — janvier 1960— inviteront les chefs militaires à rejoindre leurs wilayas d'origine. Ce qui était une reconnaissance implicite de la pertinence du principe de la primauté de l'intérieur sur l'extérieur. Quant au principe de la primauté du politique sur le militaire, Abane a posé là un problème incontournable qui continue jusqu'à nos jours à nourrir le débat.
Pour ma part, je dirai qu'à partir du moment où la République est consolidée et la souveraineté du peuple clairement établie, aucune institution, si éminents que soient son poids et son mérite, ne saurait légitimement monopoliser cette souveraineté et s'ériger directement ou indirectement en tutrice du peuple. Quoi qu'il en soit, les attaques aussi injustes qu'insensées contre l'image insubmersible de Abane Ramdane, loin de ternir sa mémoire, nous auront au moins permis de cerner de plus près encore la richesse du personnage et son actualité.
R. M.


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