Farah Laddi est universitaire, diplômée en océanographie (promotion 1999). Sa fibre sensible et son amour pour l'art l'ont poussée d'abord à la poésie, puis à s'intéresser à l'art plastique en autodidacte, en y mettant toute sa verve, en puisant de sa sensibilité tout ce qui est beau et en s'inspirant de la beauté de tout ce qui l'entoure au quotidien. Dans cet entretien, l'artiste revient sur ses débuts et sur ses peintures sous verre, et ses inspirations dans son travail. Liberté : Vous êtes diplômée en océanographie. Comment vous est venue cette passion pour la peindre ? Farah Laddi : À l'école déjà, j'obtenais toujours les meilleures notes en dessin, puis à la fac, lors d'un module d'anatomie halieutique, j'ai eu droit à la remarque suivante lors d'un examen écrit : "Il ne s'agit pas d'un dessin artistique !" J'avoue que le dessin et les travaux manuels ont toujours fait partie de mes centres d'intérêt, mais ma rencontre avec le verre a donné un sens nouveau à mes inspirations et aspirations à la fois. J'ai réalisé ma première exposition individuelle en 2008, et ce fut le début d'un cheminement artistique jumelant peinture et poésie. Depuis, je concentre mon élan artistique dans des expositions thématiques afin de véhiculer un message de sensibilisation sur des thèmes de notre société. Ma légende personnelle a démarré avec une rencontre heureuse, celle d'un matériau fascinant : le verre. Un premier travail en tant que décoratrice m'a permis de découvrir le travail à chaud du verre avec une technique assez moderne qui est le fusing/thermoformage. L'aventure a duré près de trois ans. Une troisième technique m'a séduite par la suite et m'a offert l'opportunité de me lancer individuellement : la peinture sous verre (PSV. Vous vous êtes spécialisée dans la peinture sous verre. Pouvez-vous nous éclairer sur les techniques utilisées dans vos œuvres ? Le verre ressemble à la femme, dure et fragile en même temps. Il supporte des conditions extrêmes mais se raye facilement... Il est si protecteur et si transparent ! Le verre est aussi pour moi cette surface d'eau solidifiée, cette mare glacée mystérieuse. C'est mon moi et mon miroir à la fois ! Ce matériau me procure de nouvelles façons de création variables et multiples grâce à ses différentes caractéristiques. La technique de la peinture sous verre (PSV) a des origines méditerranéennes (Byzance, Venise, le Moyen-Orient), nommée "Peinture savante" à cause de la grande élaboration de ses coloris. Elle se définit comme tout décor artistique à exemplaire unique. L'artiste doit se positionner derrière la feuille de verre pour créer. Il va réaliser les détails en premier, puis, peu à peu, les aplats, pour ensuite aller vers le fond. Le résultat se regarde de l'autre côté de la plaque de verre. Comment définir votre peinture ? Lyrique ! Je qualifie ma peinture de lyrique car la poésie est sa matrice. Les mots ont une force d'inspiration majeure dans mes collections. Je crée souvent des mots nouveaux pour les titres de mes expositions et de mes œuvres (Algérielle, ô verre marine, Artisart, etc). Mes tableaux sont le produit de mes rêves, une volonté de répandre l'espoir et une quête d'un monde meilleur. Qu'est-ce qui vous inspire dans vos créations ? Les mots, la poésie, les anecdotes des gens lors de petites discussions ou furtifs bavardages dans un bus, les livres, les contes du passé ou la vie et ses espérances..., tout ceci me véhicule un lot d'informations, une charge émotionnelle que je transcris dans le verre. Alger me fascine, mon pays et la société dans laquelle je vis, éveille chaque instant ma curiosité. Mon ambition d'être une actrice positive dans une ambiance sociétale en pleine mutation..., tant d'éléments peuvent être les déclencheurs de mon inspiration. Et mes thèmes sont toujours des sujets de notre société sur lesquels j'apporte une touche personnelle, souvent optimiste, voire surréaliste. Ma première collection était un hommage à nos artistes peintres et auteurs/poètes algériens. La deuxième collection évoquait Alger et son étroite relation avec la mer. Une troisième fut pour célébrer le patrimoine algérien (matériel et immatériel). Chacune de mes expositions invite le spectateur à entrer dans un univers coloré et rêveur. Toutefois, la volonté de sensibiliser à des sujets cruciaux demeure l'objectif principal. Mes projets sont une liste infinie de collections de tableaux traitant différents sujets de notre société afin de sensibiliser, sensibiliser et encore sensibiliser ! Je travaille actuellement sur ma prochaine exposition qui sera une première en Algérie. Un travail auquel seul le verre donnera son sens et sa quintessence... Les curieux pourront déjà suivre sa marche sur ma page facebook : "REVER Création". Qui vous a orientée dans ce choix ? Dans la vie de chacun de nous existent des moments de joie et d'autres de peine. Disons que j'ai longtemps carburé avec ces derniers. Une forte volonté de se surpasser est née, une envie de donner le meilleur de soi, et surtout de partager des connaissances et surtout grâce à l'héritage d'une belle transmission maternelle. C'est un accompagnateur artistique, un coach, un manager. Cette personne qui m'encourage et me réconforte dans ma démarche et dans mes choix artistiques est là pour m'orienter objectivement... Cela est si précieux ! Votre dernière collection portait sur le patrimoine... Dans ma dernière collection sur notre patrimoine, je représente les sites algériens historiques, culturels et cultuels. Il s'agit d'une très belle aventure grâce à laquelle j'ai pu visiter un certain nombre de sites, puis dessiner les tableaux. Notre pays est si beau, chaque région me procure des sensations nouvelles, et la satisfaction ultime se concrétise au moment de partager cette beauté algérienne singulière avec un public fasciné et ému ! Je ne cache pas ma préférence pour "Ka3 Essour", cette partie de notre littoral algérois du côté de Saint-Eugène (Alger) ! Que pensez-vous des artistes algériens actuels ? L'artiste algérien est pour moi une mine d'or, une richesse inestimable. À l'image de toute la jeunesse algérienne dans tous les domaines ! Dans tout le pays et même à l'étranger pullule cette matière grise enrobée de tant de sensibilité. Peut-être que les années difficiles qu'a connues l'Algérie à travers des décennies ont aiguisé cet amour des arts forgé au fil du temps et qui n'a cessé d'évoluer pour qu'aujourd'hui l'art algérien explose en différents styles, multiples techniques et un intérêt clair pour l'art pictural en particulier. L'artiste algérien est un nomade et un aventurier qui ambitionne des horizons nouveaux et finira sans doute par atteindre le firmament, sa place légitime sur la scène artistique mondiale ! Pensez-vous que l'art algérien est mis en valeur aujourd'hui ? L'art algérien est un enfant qui, à peine ses premiers pas engagés, veut faire la course avec les grands. Il est capricieux face à une mouvance ancienne et rebelle contre lui-même. Il n'a pas besoin d'être valorisé, cela viendra naturellement par la force des choses. La société évolue avec la fulgurante progression de l'informatique et le e-commerce. L'art suivra cette évolution en comblant d'éventuels vides réels par des espaces virtuels. S. B.