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Syrie : Un empire chancelant
Son influence est de plus en plus contestée au Liban
Publié dans Liberté le 02 - 04 - 2005

L'assassinat de l'ancien Premier ministre libanais, Rafic Hariri, a provoqué dans son pays une révolte qui met à mal la puissance tutélaire syrienne, désormais dans la ligne de mire des Etats-Unis qui cherchent à affaiblir le pouvoir en place.
Un vent glacial balaie les rues de Damas en cette nuit du vendredi 11 au samedi 12 mars. Il neige même sur le mont Kassioun qui domine la cité des Omeyyades. Pourtant, la ville est saisie d'une animation frénétique. Il est presque minuit et la circulation automobile reste dense. Les cafés sont bondés. Les hommes tirent sur l'inévitable narguilé et les filles sur leurs cigarettes. Elles jouent aux cartes, aux échecs ou lancent le dé sur la tawlet ez-zahr (la table de la chance). Les diplomates occidentaux ont remarqué que les filles sont de plus en plus nombreuses à porter le voile. “C'est plus un rejet de la politique qu'une poussée de la religion”, note l'un d'entre eux. Leurs éclats de voix sont perceptibles en dépit de la sono qui crache des décibels. À Damas, la musique est omniprésente. Il est difficile de passer dans une rue sans entendre la voix puissante d'Oum Kalthoum. Ou celle plus douce de Fayrouz. Les deux divas de la chanson arabe sont vouées à l'éternité. Marcel Khalifa, le chantre de la cause palestinienne, se fraie aussi une place. Toute petite mais quand même suffisamment grande pour s'élever au-dessus de celle des stars “kleenex” promues par la “Star Academy” de la chaîne libanaise LBC de l'ancien Premier ministre assassiné, Rafic Hariri. Sur les devantures des cinémas, les affiches sont alléchantes. Elles peuvent même être provocatrices. La ville est baignée d'une lumière qui ne prohibe pas le rouge et le bleu des cabarets. L'un porte le nom très parisien de Moulin Rouge. Pour la jeunesse dorée de la capitale, qui s'exprime volontiers en anglais, le must c'est la Marmara (marbre). Dans les grands hôtels, à l'instar du Méridien, les restaurants offrent des dîners agrémentés de déhanchements lascifs de danseuses du ventre. Les prostituées, surtout de l'ex-Europe de l'Est, guettent le client sous les lambris dorés de ces palaces. Jusqu'à une heure tardive, les bus déversent des cohortes de touristes. Les Espagnols paraissent très nombreux. De Chypre, l'île d'Aphrodite, on vient faire ses courses ici. Dans les hôtels où ils descendent, comme le Damascus International Hotel, on se croirait devant un comptoir européen d'Air Algérie. Ils ont des malles immenses qu'ils viennent charger de rideaux, de tissus et d'épices. Il y a aussi des Saoudiens. Surtout des femmes avec leurs sombres tenues qui cachent hermétiquement leurs attraits. Elles se traînent place Hedjaz avant de s'engouffrer dans l'Orient Palace. Le tourisme est une source importante de devises pour ce pays dont la riche histoire se confond avec celle de l'humanité, mais dont une bonne partie de la population souffre aujourd'hui d'une extrême pauvreté qui se dissimule parfois sous les oripeaux du nationalisme. Les chiffres officiels reconnaissent quand même 2,2 millions de personnes qui vivent sous le seuil de pauvreté, soit 12,2% de la population forte de 18 millions de personnes. Le gouvernement veut réduire d'un demi-million le nombre de pauvres d'ici 2010 en misant sur un taux de croissance économique de 7% et des investissements annuels de 8 à 9 milliards de dollars.
Dimechk, la frénétique
Dans cette citadelle du socialisme, qui laisse quand même voir un dynamisme tranchant avec notre économie soi-disant réformée, le tourisme est un des axes de développement. En 2004, plus de 3 millions de personnes ont visité la Syrie. Un chiffre qui ne comporte que 302 000 Occidentaux, les autres venant des pays limitrophes. Une bonne partie est attirée par le faible coût de la vie dans ce pays où l'on peut réaliser de bonnes affaires. À Damas, le cœur de cette industrie est, bien sûr, la vieille ville où l'on trouve la plupart des monuments de la capitale. Mais surtout les souks. Les uns plus pittoresques que les autres. Comme celui d'El Bzouriyeh où l'on se sent enveloppé de toutes les effluves de l'Orient : encens, épices, miel, friandises. Mais aussi herbes et grains de toutes sortes. Ainsi que lézards, os de seiches, têtes de gazelles, queues de renards et des bocaux au contenu mystérieux et, apparemment, destinés à soulager les peines des humains. Certaines boutiques affichent la nomenclature des maladies qui peuvent être soignées par ces potions magiques. Cela va du stress à la libido, qu'elle soit déficiente ou, au contraire, trop puissante. Les vendeurs peuvent paraître insistants mais jamais agressifs, hormis les cireurs de chaussures capables de vous harceler sur des centaines de mètres. La promotion des produits vaut parfois quelque versification qui dépasse la simple rime. ça peut vraiment être de la poésie. En cette deuxième quinzaine du mois de mars, la frénésie, qui continue de s'emparer de la ville, tranche incroyablement avec les titres de la presse quotidienne qui, faut-il le rappeler, est officielle. Une radio privée a commencé à émettre, depuis le 18 mars, à partir d'Alep, la deuxième ville du pays. Elle n'est autorisée à diffuser que de la pub et de la musique. Al Baâs, organe du parti éponyme, Techrine et Al Saoura ouvrent toujours leurs éditions avec des manchettes belliqueuses. La télévision diffuse régulièrement et en direct les images de manifestations de soutien “spontanées” au jeune président Bachar Al Assad, arrivé au pouvoir en 2000, après la mort de son père, l'implacable dictateur Hafez Al-Assad, grande figure du nationalisme arabe. Sans la mort de son frère Bassel, promis à la succession mais tué en 1994 dans un accident de la route, Bachar n'aurait certainement pas hérité du pouvoir qui l'a conduit à s'écarter de son métier de médecin ophtalmologue appris, en partie, dans une université de Londres. Disparu si tôt, le fils prodigue a légué son nom à de nombreux édifices. Avec le titre de chahid en plus. Quant au dictateur emporté par une leucémie en juin 2000, il est toujours là. En photo, en peinture ou dans le bronze d'une statue. Le front haut. Le regard perçant. Peut-être inquiet pour ce “grand garçon” de Bachar auquel le peuple voue une affection certaine en disant de lui “le pauvre Bachar”. Une manière de signifier que le prince est en état de captivité. Qui donc le menace pour susciter cette mobilisation autour de lui ? Depuis le 14 février et la mort de Rafic Hariri, le père de la reconstruction libanaise couvé par le royaume saoudien qui lui a offert sa nationalité, la Syrie, toujours en guerre contre Israël qui occupe une partie de son territoire avec le plateau du Golan, est dans la ligne de mire des Etats-Unis et de la France. Le régime syrien apparaît comme le principal accusé dans l'affaire Hariri. Et pour cause ! La Syrie exerce une tutelle sur son petit voisin où elle était entrée en 1976 en réponse à un appel à l'aide des chrétiens alors que le pays venait de s'engager dans la guerre civile. L'intervention syrienne était bénie par l'ensemble de la communauté internationale et le régime de Hafez Al-Assad en avait profité pour mettre sous sa coupe réglée le pays du cèdre quadrillé par les forces militaires qui ont atteint jusqu'à 40 000 hommes et les services secrets qui s'ingéraient dans la vie intime des Libanais dont ils finiront par devenir le cauchemar. La fin de la guerre civile aurait dû mettre fin à cette mainmise. L'accord de réconciliation nationale conclu à Taëf en Arabie Saoudite en 1989 prévoyait bien le retrait de l'armée syrienne du Liban, mais restait volontairement vague sur le calendrier de ce retrait. En 1991, la Syrie glissait subtilement dans le clan des “coalisés” contre l'Irak de Saddam Hussein pour rester dans les bonnes grâces des Occidentaux et échapper à leur pression. Entre-temps, l'enclave libanaise, fenêtre libérale du régime centralisé, devenait de plus en plus importante pour la nomenklatura syrienne. À Damas, quand les langues se délient, gagnées par la confiance, on parle volontiers de “la ligne militaire” (el khat al askari). C'est l'itinéraire emprunté par tous les protégés du régime et qui échappent au contrôle militaire grâce à un sauf-conduit délivré par les services. Des études récentes ont montré que la Syrie pompe annuellement, de façon directe et indirecte, quelque 2 milliards de dollars de l'économie libanaise dont 750 millions allant directement dans les poches de l'oligarchie. En 15 ans, cela fait 30 milliards de dollars alors que la dette extérieure du Liban est de 35 milliards de dollars. Trop précieux pour que le grand frère laisse la bride sur le cou à son cadet, le contraignant de modifier la Constitution pour permettre au président pro-syrien, Emile Lahoud, de prolonger son mandat de trois ans. C'était en septembre.
Une tutelle trop voyante
Est-ce l'erreur de trop ? C'est, en tout cas, ce que pense l'écrivain et journaliste britannique Patrick Seale, auteur de deux ouvrages sur la vie de Hafez Al-Assad dont il était le biographe attitré mais qui semble aujourd'hui répudié par l'héritier. “La faute politique la plus grave fut la décision de proroger le mandat du président Lahoud motivée par les intérêts financiers de personnalités proches des centres du pouvoir en Syrie et au Liban”, estime l'écrivain. Les accommodements conjoncturels étant parfois rattrapés par l'histoire, la Syrie n'a pas échappé à cette règle. Sur cet arrière-fond politique, la France et les Etats-Unis, qui se sont déchirés en Irak, ont trouvé l'occasion de se réconcilier. Paris affirme vouloir la souveraineté du Liban alors que Washington tente de placer les jalons d'un Grand Moyen-Orient prétendument gouverné par la démocratie mais en réalité favorable à Israël. Sous l'impulsion de la France et des Etats-Unis, le Conseil de sécurité de l'ONU a adopté le 2 septembre 2004 la résolution 1 559 qui “demande instamment à toutes les forces étrangères qui y sont encore de se retirer du Liban”. L'allusion à la Syrie est claire. Elle réclame également que toutes les milices libanaises et non libanaises soient dissoutes et désarmées dans une allusion aux milices palestiniennes et au Hezbollah libanais qui s'honore d'avoir bouté Israël en dehors du Liban et qui bénéficie, par ailleurs, du soutien de l'Iran. Rafic Hariri, qui a démissionné de ses fonctions de Premier ministre dans la foulée de la prorogation du mandat de Lahoud, est soupçonné par les pouvoirs libanais et syrien d'avoir inspiré cette résolution en s'appuyant sur ses amitiés françaises, américaines et saoudiennes. Hariri aurait été convoqué dans le bureau d'Al-Assad pour y être sermonné, en présence notamment du général Rostom Ghazalé, le patron des services de renseignement syriens au Liban. On parle volontiers d'une humiliation de feu Hariri. C'est ce climat délétère que mettra en évidence la mission de l'ONU pour mettre en cause la Syrie, tenue pour responsable de la sécurité au Liban. Au contraire, Damas en prend prétexte pour tenter de se disculper. Au lieu de la terreur recherchée, c'est la révolte qui s'empare des Libanais. En posant la question “à qui profite l'assassinat de Hariri ?” ce n'est a priori pas à la Syrie, contrainte depuis d'accepter la résolution 1559 qu'elle avait vigoureusement rejetée. Un retrait qui ressemble à une fuite. “S'il vous plaît, transmettez ce message. Je ne suis pas Saddam, je suis prêt à coopérer”, demandait le président Assad dans le Time Magazine.
Le “pauvre Bachar” cède sous les pressions
En quelques semaines, l'ensemble de ses soldats et services de renseignement ont été retirés, ou redéployés, en attendant un retrait total que Paris et Washington souhaiteraient voir se réaliser avant la tenue d'élections législatives libanaises, d'ici fin mai. Qui a donc tué Hariri ? Le président égyptien n'a pas hésité à désigner une “main étrangère”. En Syrie, même les opposants les plus impénitents ont du mal à imaginer la main de Damas, dont ils disent pourtant qu'elle est diabolique. L'écrivain Yacine Hajj-Saleeh, un militant communiste qui a passé 16 ans de sa vie dans les geôles du pouvoir, se risque à penser aux alliés libanais du régime syrien, alléchés par les fortunes amassées ensemble, mais qu'ils voudraient garder pour eux-mêmes. Pour le militant des droits de l'Homme, Anouar Bounni, les stratèges de ce crime “ont choisi une cible capable d'entraîner un changement de rapports de force sans entraîner le Liban dans une nouvelle guerre civile, ruineuse pour leurs intérêts”. Hariri, argumente-t-il, avait cette influence sans disposer de parti politique ou de milice qui aurait été tenté de le venger. Le militant se dit quand même “surpris” par la mobilisation engendrée par l'attentat. Sans avoir attendu les conclusions d'une enquête internationale, les Etats-Unis, déjà en délicatesse avec la Syrie qu'ils accusent de soutenir la guérilla irakienne, ont accentué leurs pressions sur le régime de Bachar Al-Assad. Où s'arrêteront ces pressions ? C'est la question qui taraude tous les esprits encore frappés du sort réservé à la deuxième face du Baâs, incarnée par Saddam Husseïn. La comparaison est pourtant plus qu'audacieuse, car le jeune président syrien jouit d'une popularité que ne lui contestent pas ses opposants et que reconnaissent les diplomates occidentaux en place à Damas. Même si les réformes esquissées après son arrivée sont aujourd'hui remises en cause, on en fait porter la responsabilité aux éléphants légués par son père. En héritant du pouvoir, Bachar avait fait souffler une brise de liberté qui a fait croire à un “printemps de Damas”. Il a fait appel à des cadres formés en Occident. Il a sollicité la France pour réaliser un audit de l'administration et de la justice. Il a libéré les prisonniers politiques et a créé des forums de libre expression. La soupape s'est refermée, mais l'image du dirigeant n'en a pas encore souffert. “Je pense que les Américains ne vont pas pousser jusqu'à la chute du régime, car ils vont engendrer un pouvoir qui leur est encore plus hostile”, estime Hajj-Saleeh. “Ils n'ont pas en Syrie l'équivalent des Irakiens Iyad Alaoui ou Ahmed Chalabi”, analyse-t-il, en soulignant aussi la popularité du président qu'“on ne peut pas détester” et dont “les Syriens disent qu'il est bon et l'entourage pourri”. “Ce n'est pas un prince enfermé dans sa tour d'ivoire”, admet aussi un expert occidental qui se demande, tout de même, “jusqu'à quand l'état de grâce ?” À l'unisson, les opposants interrogés, qu'ils soient anciens militants communistes ou islamistes, admettent ne pas être suffisamment organisés pour incarner une alternative face au régime, qui dirige le pays depuis plus de 40 ans. Alors, ils réclament juste des réformes et plus d'ouverture politique, afin de pouvoir s'exprimer et contribuer à l'émergence d'une nouvelle vie politique en Syrie. “Il est difficile d'extirper un régime bâti sur le seul pilier de la sécurité, sans amener l'effondrement de l'Etat dont les autres institutions sont factices”, analyse le cinéaste Omar Amiralay, qui a notamment réalisé un documentaire sur Rafic Hariri pour lequel il affirme porter une grande admiration. Un sit-in des militants des droits de l'Homme, le 10 mars à Damas, a été perturbé par les jeunes du Baâs. Ils ont violemment bousculé le vieux militant de gauche Riadh Turk, qui a passé une bonne partie de sa vie en prison. Le café Al-Raouda, face au Parlement, est le lieu de rendez-vous de nombreux opposants qui se savent surveillés de près par les omniprésents “moukhabarate”, comme ils disent. “Je suis sûr qu'ils sont en train de nous observer en ce moment”, parie l'écrivain Michel Kilo, qui affirme ne pas militer pour un changement de régime, mais pour des “réformes qui vont permettre au régime de se sauver et de sauver le pays en même temps”. Ainsi vont les pouvoirs qui lient le sort des peuples à leur propre sort. Le cinéaste Amiralaï, qui partage sa vie entre Damas et Paris, espère que les changements viendront de l'intérieur du Baâs, qui doit tenir un congrès à la fin juin. Le changement devrait se traduire par le limogeage des anciennes figures du régime. Elles tiendraient en otages le jeune président et ses projets de réformes. L'analyse, répandue dans la rue, ne tient pas toujours la route auprès des opposants et des diplomates aux yeux desquels le chef de l'Etat tient réellement les leviers de commande, notamment après avoir confié la direction des renseignements à son beau-frère, la direction de la Garde républicaine à son frère, le ministère de l'Intérieur à un proche et le contrôle des affaires à un cousin, qui tient notamment les deux opérateurs de téléphonie mobile en Syrie. Le centre de décision apparaît davantage resserré autour de la famille. Pourtant, estime un analyste qui a requis l'anonymat, “Bachar n'est pas un tueur par intuition”.
L'opposition craint une crispation du régime
“Plus petit dénominateur commun aux clans gravitant autour de son père, il sait qu'on lui a confié le pouvoir sans lui en donner toutes les clefs. Dès lors, il se comporte en arbitre et non en joueur. Il laisse les contradictions aller à leur terme avant de trancher”, ajoute cet expert, qui cite le cas du Premier ministre Naji Otri auquel le parti a refusé quasiment tous les ministres proposés, sans avoir bénéficié de la défense du président qui l'a nommé. Cet analyste, qui craint que le pouvoir se crispe sous le coup des pressions internationales, ne cache pas sa méfiance à l'égard des Américains. “Ils ne savent pas exactement ce qu'ils veulent. Ils savent seulement que c'est le moment de faire quelque chose. Ils doivent avoir trois ou quatre options qui font leur chemin et ils verront après”, dit-il en leur attribuant l'intention de chercher un “Alaoui syrien”. Il cite le cas de Farid Al-Ghadri, fondateur du parti El-Islah à Washington et fils du patron du magazine Al-Moharrer Al-Aârabi, qui “fait du lobbying pour une intervention américaine en Syrie, où personne ne le connaît”. Quelques jours après cette analyse, le journal panarabe Asharq Al-Awsat révélait que des responsables américains avaient rencontré des opposants syriens, à Washington, pour discuter des moyens d'“affaiblir le régime”. Farid Ghedri figurait parmi les personnes reçues par Elisabeth Cheney, la fille du vice-président Dick Cheney, qui est directrice du bureau des affaires proche-orientales au département d'Etat. Selon le journal panarabe, les dissidents ont insisté sur la nécessité de changement de régime, alors que les responsables de l'Administration américaine ont plutôt parlé des “moyens d'affaiblir” ce régime. Les Américains sont-ils ainsi échaudés par la débâcle irakienne ? C'est du moins un exemple qui ne les incitera pas à ne pas reproduire en Syrie les erreurs commises en Irak, avec la dissolution du parti baâs et de l'armée. “Le sentiment nationaliste est très fort dans ce pays, où la population n'acceptera pas que quelqu'un puisse être porté au pouvoir par les chars américains”, selon un diplomate. “Nous ne voulons pas d'un régime installé par les Etats-Unis”, martèle l'opposant Michel Kilo. La Chambre des représentants américaine a adopté, le 17 mars, une résolution qui “encourage” l'Administration à soutenir l'opposition au régime, et lui demandait d'agir en faveur de l'avènement d'un gouvernement démocratique en Syrie. À Damas, une formule tente de résumer la nature du pouvoir, dirigé par le jeune Al-Assad. “C'est une dictature sans dictateur”, dit-elle. Le problème, dit l'écrivain Hajj-Saleeh, c'est que les dictateurs ne veulent pas se mettre en première ligne pour justement éviter de se mettre dans la ligne de mire des Américains. Dans tous les cas, l'assassinat de Rafic Hariri, sous une charge de 1 000 kg de TNT, aura des implications qui vont dépasser le Liban...
N. H.


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