Il faut lire Aimer Maria pour comprendre le martyre de certaines femmes. Ou plutôt, dirions-nous, il faut essayer de lire Aimer Maria pour tenter de comprendre ce qu'endurent certaines d'entre nous, mères, filles, sœurs ou épouses, qui subissent, en silence, une vie imposée, ou qui, quand elles le peuvent, gémissent en douceur et en douleur. Ce dernier roman de Nassira Belloula, paru aux éditions Chihab et que les lecteurs ont pu (re)découvrir au Sila 2018, est d'une écriture, et lecture assez particulières, pour ne pas dire déroutante. Déjà le titre en lui-même en a décontenancé plus d'un, qui lui ont reproché l'infinitif au lieu de l'impératif. Mais il fallait donner à aimer Maria et non obliger le lecteur à l'aimer de force. Il fallait à l'auteure exposer cette Maria dans toute sa folie et sa douceur pour amener son lecteur à aimer cette femme en toute connaissance de cause et par raison. Et par le cœur aussi. Car même si parfois le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas, dans ce cas précis, il semblerait que les deux se soient mis d'accord. Par ailleurs, certes, le décor est vite planté — sans pour autant savoir ni où on est ni à quelle époque — mais nous sommes quelque peu mal à l'aise à devoir sauter de l'une à l'autre de ces voix qui nous font entremêler les voies qui devaient nous mener à l'intrigue. Nous passons, soudainement et sans le vouloir, d'une maman Maria qui nous parle, qui se confie à nous, à une fille désorientée qui nous parle aussi et qui tente, par la même, de comprendre cette maman désorientée et fragile qu'elle ne connaissait pas du tout, ou si peu. Trop peu, car la routine de la vie nous fait souvent passer à côté de choses importantes que nous ne voyons pas, par mégarde ou par égoïsme tout simplement. Comment ne pas s'être rendu compte que cette épouse qui paraît si parfaite, si docile, si conciliante, si aimante, cache en fait une réalité toute autre et un martyre dont elle seule connaît la douleur. Pourquoi cette maman qui semblait si forte durant 30 années passées dans ce "cocon familial", en sort ainsi aujourd'hui si fragilisée par cette douleur longtemps tue, et en même temps, si forte par cette décision capitale, enfin prise avec courage, bravant société et religion ? Et quel rapport devrions-nous avoir avec ce "père" si doux et pourtant, un mari si violent, possessif et humiliant ? Comment ne pas avoir décelé cette partie machiavélique d'un homme qui se venge de celle qu'on lui a, lui aussi, imposée sans l'aimer, car lui aussi en aimait une autre, tout comme elle qui rêvait de faire sa vie avec Ali ? Toute une vie gâchée par une famille autoritaire, dans une société patriarcale qui n'ouvre pas la porte à l'amour quand il frappe. Et pourtant, les parents de Maria l'ont bien vécu eux, cet amour ! Une vie complexe, de celles que notre auteure, Nassira Belloula, aime bien remettre sur le tapis de la réflexion, de la discussion et du questionnement. Ceux qui lui ont lu Djemina, La revanche de May Terre des femmes ou autres écrits, savent que son sujet phare reste la Femme et tout ce qui gravite autour comme thématiques : combat, liberté, égalité… une preuve de féminisme pour certains, une manière de dire "une douleur, un questionnement" pour l'auteure. Samira Bendris-Oulebsir "Aimer Maria" Nassira Belloula, Editions Chihab, 2018, 154 p. 750 DA.