La lutte pacifique a eu le mérite, en 1980 comme en 2019, d'ébranler un système autiste et sûr de sa puissance, et de briser le mur de la peur. Si à première vue rien ne lie ces deux séquences qui ont marqué au fer rouge la jeune histoire de l'Algérie indépendante et qui sont séparées par un intervalle de temps de près de 40 ans, cette césure est, à y regarder de près, toute factice et ne résiste point à l'épreuve de la comparaison. En effet, tout rapproche ces deux moments historiques tant leur élément déclencheur, leur méthode comme leur finalité sont d'une ressemblance frappante. Si les événements d'Avril 80 ont été provoqués par l'interdiction de la conférence de Mouloud Mammeri à l'université sur les poèmes kabyles anciens perçue alors par les populations de Kabylie comme une atteinte grave et gratuite à leur identité, l'ouragan de février 2019 a eu pour principal catalyseur la candidature de Bouteflika pour un cinquième mandat vécue par les Algériens comme une suprême humiliation. On l'aurait relevé, dans les deux cas, l'élément déclencheur est d'essence éminemment politique. Et comme les artisans du Printemps 1980 qui ont décidé de livrer un combat à mains nues et surtout à visage découvert à un système reposant sur deux béquilles (l'unicisme et la violence), les jeunes insurgés de février 2019 se sont interdit toute violence en optant pour la lutte pacifique contre le régime autoritaire de Bouteflika en scandant dès la marche du 22 février le fameux slogan "Silmiya, silmiya". Aussi paradoxal que cela puisse paraître, cette lutte pacifique a eu le don, en 1980 comme en 2019, d'ébranler un système autiste et sûr de sa puissance, et de briser le mur de la peur. Pour ce qui est des objectifs politiques, les acteurs du Printemps berbère comme les insurgés de février 2019 aspirent à engager le pays sur les rails de la modernité politique. Leur finalité est donc la même : disqualifier un système hors temps et ouvrir au pays des perspectives démocratiques. Passons sur le fait que le fer de lance des événements d'Avril 1980 comme ceux de février 2019, ce sont les jeunes et principalement les étudiants. Avec autant de similitudes, il est aisé d'établir une filiation entre les deux moments historiques. Et c'est à juste titre que l'ancien président du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD), un des artisans du Printemps amazigh, Saïd Sadi, a écrit dans l'introduction de sa conférence-débat animée mercredi 18 avril à l'université Mouloud-Mammeri de Tizi Ouzou : "La graine d'Avril 80 a fait éclore les nouvelles formes de lutte qui animent les revendications historiques d'aujourd'hui." Certes, le Printemps 80 était confiné dans les limites de la seule Kabylie et n'avait pas eu l'heur de faire tache d'huile comme c'est le cas de l'insurrection citoyenne de février 2019 qui a fait sortir les Algériens aux quatre coins du pays. Il reste que les deux mouvements sont d'essence éminemment démocratique. Pour preuve, les femmes, voilées ou non, ont été aux avant-postes des différentes manifestations et l'emblème amazigh a côtoyé joyeusement le drapeau national du 22 février à ce jour sans que personne trouve à redire et au mépris des tentatives de division. Loin d'être une génération spontanée, la jeunesse d'aujourd'hui est façonnée par les luttes menées par ses aînés. Elle est nourrie à la sève démocratique du Printemps amazigh, des événements d'Octobre 1988, mais aussi du combat pour les libertés de l'opposition et des syndicats autonomes. Pour preuve, le fameux slogan des démocrates algériens "Djazaïr hourra, democratia" (Algérie libre est démocratique) a été repris par des millions de manifestants à Alger comme dans les autres villes du pays. Autrement dit, la révolution du sourire de 2019 est, quelque part, l'enfant légitime de la révolte de 1980 et des luttes démocratiques menées depuis dans le pays. Arab Chih