Les contradictions dans les rendus des deux jugements confortent ainsi les soupçons qui pèsent sur la réalité de la liberté des juges. Une journée après avoir renvoyé en prison une trentaine de manifestants pour avoir notamment porté l'emblème amazigh, les juges du tribunal de Sidi M'hamed ont été désavoués par leurs collègues d'un autre tribunal algérois. Le juge du tribunal de Bab El-Oued, situé sur le territoire de la commune de Baïnem, a relaxé les cinq détenus d'opinion qui lui ont été présentés hier. Un verdict, après deux reports successifs, diamétralement opposé à celui du tribunal situé à la rue Abane-Ramdane qui, pourtant, a statué sur des cas exactement similaires. Les contradictions dans les rendus des deux jugements confortent ainsi les soupçons qui pèsent sur la réalité de la liberté de certains juges qui siègent au tribunal "Abane-Ramdane". Les magistrats qui ont décidé de maintenir en prison les détenus poursuivis pour port de l'emblème amazigh font donc exception. Alors que cette "exception" concernait uniquement, dans un premier temps, les tribunaux situés à l'extérieur d'Alger, elle touche désormais des juridictions de la capitale, faisant du tribunal de Sidi M'hamed la seule exception à la règle. Partout, désormais, les détenus retrouvent leur liberté après avoir passé plusieurs semaines en prison. Les jugements rendus en leur faveur les disculpent et prouvent une nouvelle fois que leur détention a été tout simplement injuste. Mais les deux juges du tribunal de la rue Abane-Ramdane n'entendent visiblement pas les choses de cette manière. Malgré les assurances du président du Syndicat national des magistrats, qui a assuré que les juges "n'ont pas reçu d'injonctions", beaucoup ne s'empêchent plus d'évoquer "la justice du téléphone". Si selon certains juristes, le prononcé du verdict est laissé à l'appréciation du juge, donc à sa seule conscience, d'autres font assumer ces décisions aux magistrats de siège. Ainsi, les juges du tribunal de Sidi M'hamed, qui ont rendu les jugements dans ce dossier, "sont des robots ramenés d'on ne sait où", a, par exemple, estimé l'avocate, Aouicha Bakhti, qui s'est constituée dans la défense de certains de ces détenus d'opinion. Selon elle, le juge du tribunal de Bab El-Oued a eu "le courage d'appliquer la loi". Car, sur le sujet, les juristes sont unanimes : aucun article de loi n'interdit le port d'un autre emblème que le drapeau national lors des manifestations publiques. L'argument est d'autant plus valable que l'emblème en question renvoie à l'identité berbère des Algériens ; un principe consacré dans la Constitution, dans le préambule et dans l'article 3 consacrant tamazight langue officielle. Il reste que, selon des juristes, la cour d'Alger, qui statuera en appel, devra probablement corriger cette anomalie. Mais entre-temps, les détenus sont privés de liberté. Ont-ils le droit de se plaindre ? Selon l'avocate Fetta Sadat, le seul recours possible pour l'instant est celui de faire appel. En revanche, l'avocate rappelle que sur le plan moral, le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) peut sanctionner un juge pour "manquement à la loi". Mais la juriste ne se fait pas d'illusion puisqu'elle estime, dans une déclaration à Liberté, que cela nécessite l'existence d'un CSM "indépendant du pouvoir exécutif". Avant le tribunal de Bab El-Oued, ceux d'Annaba, de Constantine, de Sétif, de Batna, d'Oran, de Mostaganem et de Batna ont déjà relaxé des détenus incarcérés pour port de l'emblème amazigh. La juge du tribunal d'Annaba est allée jusqu'à réclamer la restitution du drapeau à Nadir Fetissi, une preuve que cela ne constitue pas un objet de délit. Mais cela ne peut faire jurisprudence. "Seule une décision définitive rendue par la Cour suprême peut faire jurisprudence", explique Abdelhak Mellah, avocat et ancien magistrat. Les juges du tribunal de Sidi M'hamed devront statuer dans les prochains jours dans des affaires qui concernent une quarantaine de détenus incarcérés pour port de l'emblème amazigh.