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"Le mouvement citoyen annonce de grandes mutations sociologiques"
Rabah Sebaa, professeur de sociologie et d'anthropologie linguistique
Publié dans Liberté le 03 - 12 - 2019

Chercheur en épistémologie des sciences sociales et en anthropologie des langues à l'université Mohamed-Ben Ahmed d'Oran, Rabah Sebaa est l'auteur de plusieurs ouvrages, essais, chroniques, récits et nouvelles, ainsi que de nombreuses publications dans des revues internationales. Il est le fondateur de la revue "Confluences-Algérie" et, actuellement, directeur de la "Revue des Sciences sociales".
Liberté : La justice a été au cœur de l'actualité ces dernières semaines avec la multiplication des arrestations de manifestants. Comment analysez-vous le niveau de mobilisation citoyenne autour de cette question ?
Rabah Sebaa : La notion de justice demeure problématique en Algérie. Son contenu sémantique s'est toujours réduit à un appareil, pour ne pas dire à un appareillage. Toujours contrôlé et constamment actionné par des ressorts exogènes. Les derniers rendus concernant ces arrestations précisément le montrent bien. À Bab El-Oued, à Sidi M'hamed, à Annaba, à Mostaganem, à Tlemcen, etc. La multiplication des arrestations est perçue par les citoyens algériens comme une provocante injustice. D'où l'imposante "mobilisation citoyenne" inédite pour demander l'indépendance de cet appareil.
En fait, la confortable majorité des Algériens a toujours eu la conviction que cette "Justice" était structurellement injuste. Dès les premières années de son existence. Avec les emprisonnés, les exécutés et les exilés des années soixante.
Tous, injustement sacrifiés sur l'autel d'une cause dans laquelle ils ne se sont pas identifiés. Ils l'ont donc chèrement payé. Et, selon toute vraisemblance, cela continue.
La mobilisation citoyenne à l'endroit de cette "in-justice" ne pousse qu'à faire remonter à la surface la lie de la hargne refoulée, étouffée, scotomisée et différée par les Algériens, longtemps tenus dans le mépris. À présent, ils disent haut et fort, sans agressivité et sans violence, mais avec fermeté et détermination, que toutes les dérives, toutes les entorses, toutes les humiliations et tous les abus commis au nom de la "justice" ne sont plus justifiés, ne sont plus justifiables. Et c'est pour cela que chaque arrestation est, à présent, dénoncée avec force.
Il y a eu d'abord un nombre important d'arrestations ciblant les porteurs de l'emblème amazigh. Pourquoi autour d'une "sensibilité identitaire" et comment cela a-t-il été perçu au sein de la société ?
L'arrestation des porteurs de l'emblème amazigh n'est qu'un épiphénomène, dévoilant le prétexte fallacieux de la menace de l'unité nationale. Une funeste farce. L'une et l'autre n'ont absolument rien à voir avec la "sensibilité identitaire". Une panacée malmenée épisodiquement en fonction des conjonctures, des intérêts et des enjeux. Le fait est que, pour ce cas de figure, le Centre de décision, qui s'est déclaré publiquement comme étant l'Autorité tranchante du pays, a tenté un test : les Algériens dans leur grande majorité se reconnaissent-ils dans leur origine amazighe ? La réponse est tombée telle une guillotine sur le cervelet des apprentis-sorciers : "Nous sortirons avec ou sans l'emblème amazigh, notre détermination sera toujours la même." Cela dit, les tenants des pouvoirs successifs en Algérie n'ont jamais rien entendu à la dimension philosophique et culturelle de l'identité, pour une raison toute simple. Ils n'ont jamais rien compris à cette question. Et c'est précisément pour cela que la question identitaire, au sens large, a toujours évolué à leur insu. Et dans des directions qui leur demeurent inconnues.
Les arrestations se sont généralisées ensuite aux militants, aux activistes, aux citoyens les plus impliqués dans le hirak…
De toute évidence, nous nous trouvons face à une large opération d'intimidation. Et jusqu'à un certain niveau, il faut reconnaître qu'elle a produit les effets escomptés. Beaucoup de marcheurs s'abstiennent, depuis, de "vendredire". Mais cela n'a en rien impacté le caractère à la fois massif et déterminé de ces marches bihebdomadaires. Cette vague, soutenue, d'arrestations a eu dès le début pour objectif de "décerveler" le mouvement citoyen en neutralisant les leaders réels ou supposés au même titre que ceux qui risquent de le devenir. Les meneurs réels ou potentiels. C'est pour cela qu'elle ne s'est pas limitée exclusivement aux militants actifs ou à des associations phare. Des cyberactivistes isolés ont été interpellés. D'autres ont été arrêtés, puis relâchés. Par la suite, de simples citoyens, ayant montré ostensiblement leur engagement et leur implication dans ce mouvement citoyen, en ont fait les frais.
La mobilisation près de dix mois après reste intacte. Qu'est-ce qui la maintient aujourd'hui et quelles mutations, d'un point de vue sociologique, le hirak a-t-il produites ?
Neuf mois de gestation correspondent au terme d'une grossesse normale. Espérons que l'accouchement se fera sans douleur, pour la naissance d'une Algérie nouvelle. Ce mouvement citoyen qui se déroule en Algérie depuis le 22 février 2019 offre au monde l'un des contrastes les plus saisissants de l'Histoire. Ouvertement radical et fermement pacifique, il suscite enthousiasme et admiration. Interrogations également. Il s'agit, de toute évidence, d'un mouvement citoyen sur fond de processus insurrectionnel, au sens de demande de changement. Et si cette double dimension recoupe la notion de révolution, il s'agit alors bel et bien d'un élan révolutionnaire. Selon toute vraisemblance, nous nous trouvons face à un éveil de la conscience sociétale longtemps tenue dans un état d'engourdissement, voire de léthargie par divers moyens politiques, économiques ou répressifs. Là se trouve une grande mutation sociologique. Et c'est la première et la principale raison du maintien du mouvement.
Les citoyens algériens manifestent ensemble dans une société où tout est fait pour les diviser sur la question du genre, de l'âge, des croyances, de la stratification sociale et des engagements politiques.
Dans toutes les marches hebdomadaires se côtoient islamistes, laïcs, communistes, féministes, nationalistes… pour exiger la même revendication : le départ du système. Et cette communion est bien le signe d'une maturation sociologique majeure. Là se trouve la seconde raison du maintien du mouvement. Tout le monde s'accorde à souligner le caractère "pacifique" de ce dernier. Malgré le souvenir, encore vivace, de la décennie infernale conjuguant violence terroriste et répression d'un système totalitaire. Nous nous trouvons, à l'évidence, devant l'aboutissement d'un long mûrissement et non pas d'un prompt surgissement. Face à une longue et lente maturation sociétale qui prend ses racines dans la profondeur de la société algérienne longtemps opprimée. Cette double maturation s'accompagne, par ailleurs, de l'apparition d'un renouvellement de l'expression sociale.
Le mouvement citoyen et populaire a largement débordé ou transcendé les demandes classiques de satisfaction de conditions matérielles, pour englober les mises en question du système politique.
Dans la "révolution du sourire", cette dimension politique fait suite à un mûrissement des mouvements sociaux, qui ont capitalisé les traditions de lutte passées, syndicales ou autres, tout en intégrant les éléments qui font partie des avancées sociales, telles que l'élévation du niveau d'instruction, l'amélioration du niveau de vie ou encore le recours aux réseaux de communication démocratisés et plus accessibles au grand nombre. Le secret du maintien de ce mouvement citoyen est donc, fondamentalement, le signe d'une élévation de la conscience sociétale, formulant de nouvelles exigences, articulant ou conjuguant le sociétal au politique sur fond de demande, non négociable, de changement.
Cette demande se formule dans la jovialité qui habite les slogans et les mots d'ordre qui l'accompagnent. La dimension festive, qui est également prégnante, s'inscrit en faux sur toute velléité catastrophiste. Elle agit comme catharsis, mais également comme antidote à la violence. Ce qui explique, entre autres, que des milliers de marcheurs se retrouvent chaque vendredi et mardi pour exprimer la même demande dans l'ordre et sans dépassements.
En dehors de ces deux journées, ce sont les réseaux sociaux qui permettent de communiquer, de modérer et de diffuser largement l'information. Ce qui n'existait pas en octobre 1988. Et qui explique, entre autres, que des milliers de marcheurs se retrouvent chaque vendredi et chaque mardi pour exprimer collectivement leurs attentes dans le partage ordonné et la convivialité magnifiée.
Jusqu'où ce mouvement populaire inédit ira-t-il ?
Il est difficile de sérier ou de catégoriser toutes les conséquences de ce mouvement citoyen. Plus de quarante semaines successives, soit dix longs mois de marches bihebdomadaires, de contestations, de protestations, de réunions, de regroupements, ne sont pas parvenues à briser cette obstination du Centre de décision, qui s'apparente à une impudente provocation. Malgré les torts causés à toute la société. Il est tout à la fois loisible de constater, d'ores et déjà, tous les dégâts occasionnés à l'ensemble de la société. Des secteurs vitaux en situation de paralysie.
Des projets structurants en grande léthargie et toute projection majeure dans le futur sous profonde anesthésie. Comme conséquences fâcheuses d'un bras de fer entêté. La persistance de ce bras de fer est porteuse de périls car, loin de se limiter à un face-à-face peuple-tenants du pouvoir, elle précarise des pans importants de la société. Des secteurs vitaux comme l'éducation, la santé, la justice, l'économie en pâtissent. Sans que le moindre sursaut de conscience vienne mettre un terme à ce bras de fer.
La sauvegarde des intérêts et des privilèges d'une caste, ainsi que du système garant de ces intérêts prime l'intérêt d'un peuple et d'une nation entière. La poursuite de ce bras de fer est, indiscutablement, de l'ordre du schizophrénique.
Quels prolongements politiques peut-il avoir ?
Tout indique que la tendance est à la poursuite de ce mouvement citoyen et populaire. Avec ou sans la tenue de l'élection présidentielle programmée le 12 décembre prochain. Dans les deux cas de figure, le mouvement citoyen du 22 février continuera à revendiquer sa doléance principale, en l'occurrence la construction d'un Etat civil, avec la passation effective et l'exercice réel du pouvoir par des civils, à l'issue d'une période de transition.
Dans le cas de réalisation de ce scénario, nous pourrions assister au passage à une responsabilité collective multiforme redéfinissant la division des tâches au sein de ce mouvement citoyen, l'organisation de débats, la poursuite de la réflexion et la mise en place de mesures urgentes émanant des collectifs et des groupes de réflexion. Avec, sans doute, l'apparition de nouvelles formes d'organisation inédites, car cela fait déjà bien longtemps que les partis politiques conventionnels ont perdu toute crédibilité. Les Algériens, dans leur majorité, ont compris qu'il s'agit, en fait, de groupements et de regroupements d'intérêts conjoncturels, en vue d'objectifs, généralement à court terme, visant une parcelle de pouvoir. Ce qui explique qu'en dehors des parenthèses électorales, ils n'ont aucun rôle dans l'organisation de la vie autour de la cité. Ces groupements d'intérêts, aussi nombreux qu'artificiels, ne sont aucunement l'aboutissement d'une pratique politique éprouvée, fondée sur un socle sociétal leur garantissant une sève nourricière. En d'autres termes, ils ne sont pas le résultat d'un processus sociopolitique historiquement daté. Ils se fabriquent de façon spontanée au gré des conjonctures et des alliances politiques. Depuis la marche du 22 février, les manifestants demandent le départ de tous ces partis qui ont servi de caution pluraliste au régime.
Longtemps à l'écart de la chose politique, les jeunes générations montrent aujourd'hui une implication exceptionnelle dans le hirak. Comment expliquez-vous cet engagement ?
Avec ces jeunes générations, nous sommes face à une magistrale leçon d'apprentissage de l'avenir. Non seulement elles redonnent sens au contenu du politique, en le renouvelant, mais quelques figures neuves, fraîches et prometteuses ont déjà émergé. Certaines sont plébiscitées, d'autres sont en voie de s'imposer.
Malheureusement, beaucoup parmi ces figures sont emprisonnées. Cet état de fait, qui n'est pas nouveau, se réfère à une réalité autrement plus complexe.
La volonté manifeste d'obturation de l'émergence d'une élite critique sous forme d'intellectuels ou de figures politiques. En somme, une intelligentsia n'a pas pu se former historiquement et sociologiquement car les pouvoirs successifs en Algérie ont toujours veillé à tuer dans l'œuf toute velléité de constitution de cette intelligentsia. Tant et si bien que nous nous trouvons, comme je l'ai montré dans certains de mes travaux académiques, devant une intelligentsia de substitution, qui explique en partie la médiocrité du personnel politique dans notre pays. À présent, le renouvellement de l'élite politique, exigé par le mouvement citoyen, est l'expression d'une demande sociale. Elle n'a rien de commun avec la situation vaudevillesque où une soixantaine de partis agréés se bousculent pour quelques miettes de pouvoir à chaque échéance électorale et dont l'existence n'a strictement aucun impact sur la vie de la société.
Cette exigence de rupture politique est portée non seulement par les nouvelles générations, qui constituent la colonne vertébrale du mouvement citoyen, mais également par les différentes catégories sociales, qui sont devenues en Algérie un acteur politique incontournable. Aussi, l'une des premières lectures consiste à décrypter les sens et les significations non apparentes, mais s'exprimant unanimement comme exigence collective du départ immédiat de ce "système". C'est pour cela que les marches bihebdomadaires voient apparaître lentement, mais progressivement, quelques figures qui se détachent en se constituant figures-repères. Une forme de ré-appropriation du politique, longtemps considéré comme un univers perverti, durablement confisqué et farouchement dominé par une engeance honnie.

Entretien réalisé par : karim Benamar


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